Lutte contre l’essence frelatée au Bénin : retour à la case départ après une navigation à vue

Quatre mois environ après l’annonce de la lutte improvisée et sauvage contre l’essence de contrebande, le ‘’kpayo’’ continue d’inonder le marché pétrolier. Un nouvel échec qui contraint à un retour à la case départ.

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C’est désormais un secret de polichinelle. La lutte contre le commerce illicite des produits pétroliers frelatés, communément appelés ‘’kpayo’’, est un échec, comme l’avaient prédit certains observateurs avertis de la vie sociale au Bénin. Et le gouvernement semble le reconnaître enfin. En effet, quatre mois environ après son annonce improvisée, et un peu plus de quatre-vingt-dix jours de répression sauvage contre le ‘’Kpayo’’, le secteur informel continue de détenir la meilleure part du marché de produits pétroliers, et les bidons d’essence frelatée continue d’être servis dans les réservoirs de la plupart des engins à 2 roues et même des voitures. Il est même arrivé que le prix du ‘’kpayo’’ soit baissé, à un moment donné, à un niveau encore plus bas que celui d’avant la répression où les coûts élevés avaient contraint les populations à se rabattre sur les stations du secteur formel.

Si depuis quelques jours, les prix pratiqués dans le marché informel sont quasiment les mêmes que celui auquel l’essence est livrée à la pompe, il est à reconnaître que la lutte est un véritable fiasco. Mais qu’est ce qui explique ce nouvel échec de la lutte contre le ‘’kpayo’’ ?
Yao Hervé Kingbêwé

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Le «kpayo»  toujours à flots  au bord des voies de Cotonou

En  Novembre dernier, devant des centaines de femmes bénéficiaires de micro-finance,  Boni Yayi annonçait la fin de l’essence de contrebande. Après plusieurs mois de répression, la routine continue et le «Kpayo» court  toujours les rues de Cotonou. Constat.

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Carrefour le Bélier d’Akapkpa, non loin du poste de contrôle des policiers.  Il sonnait  huit heures du matin, ce lundi 25 mars 2013. Deux conducteurs de taxi-moto et trois jeunes hommes, en direction de Cotonou et visiblement en retard, se bousculent presque pour ravitailler leurs motos en essence de contrebande, communément appelée «Kpayo», installée au bord du trafic local, de façon peu discrète. Non loin, une autre station informelle, aussi  affairée que la première, mais plus exposée, avec plusieurs bidons de 50 litres remplis d’essence. «Il y en a, mon frère, si tu veux même 50 litres, je vais  te vendre çà», confirme le tenancier à un client qui se lamente.  Et pour justifier le choix de cette station informelle, «c’est à  475 fcfa le litre ici et plus de 500 fcfa à la pompe,  et on ne perd même pas le temps», a expliqué un client.

Dans la même journée du lundi 25 mars, le constat est identique dans le centre ville. Du marché International Dantokpa, où l’on compte de plus en plus de forces de sécurité, à Godomey, en passant par la place de l’étoile rouge et le carrefour «la vie», le «kpayo»  est présent. Avec une petite différence de prix. Ici, c’est plutôt à 500 fcfa. Seulement, malgré l’affluence, tous les vendeurs sont sur leur qui-vive. Et pour cause, ils ont reçu la visite des forces de l’ordre dans la journée du samedi 23 mars dernier. Et de source très informée, sur instruction du Chef de l’Etat, lui-même. Une visite qui n’a eu qu’un effet dissuasif dans l’heure. Cependant, à l’intérieur du pays, à Porto-Novo par exemple, les populations se ravitaillent même à moins de 400 fcfa le litre d’essence frelatée. Ainsi, après quatre mois de luttes intenses, et sous toutes les formes, l’essence de la contrebande dite «Kpayo» coule toujours à flots. Et ce, malgré les pertes en vies humaines, consécutives au transport du produit par les voies fluviales transfrontalières.
Camille A. Segnigbindé

Improvisation et impréparation

«A naviguer sans repère, on se perd». Cette maxime, le gouvernement l’a appris à ses dépens, à en croire des analystes de la société béninoise, en enregistrant une fois encore un échec dans sa lutte contre le commerce illégal des produits pétroliers. Dans le communiqué du Conseil des ministres du 20 mars dernier, le gouvernement a reconnu, enfin, que «des difficultés demeurent», aveu d’échec, dans la lutte improvisée contre le ‘’kpayo’’. Ce nouvel échec n’étonne guère les observateurs, tant pour eux les préalables mêmes de cette lutte ont été occultés. Si le gouvernement trouve d’autres noms aux difficultés, les vrais raisons de l’échec sont l’improvisation et l’impréparation.

En effet, s’il est vrai qu’il y avait eu par le passé, des tentatives, la lutte actuelle entamée il y a quelques mois, est de la pure improvisation. Qu’il vous souvienne que son annonce a été faite par le Chef de l’Etat dans un grand cafouillage, alors que rien ne présageait cela, lors d’une rencontre avec les femmes en novembre dernier.

Une improvisation, sans doute, à laquelle s’est ajoutée l’impréparation à la lutte. En effet, sans avoir satisfait aux préalables de la lutte, notamment la disponibilité de produits pétroliers dans le circuit formel, on a entamé la répression, oubliant, comme le précise le Conseil des ministres du 20 mars 2013, que dans certains départements les stations-services sont quasi inexistantes.

Et comme «tirer à hue et à dia» ne pouvant conduire qu’à l’échec, on se retrouve sans surprise à revenir, plusieurs mois après, sur ce qui est préalable. Vraiment déplorable.
Yao Hervé Kingbêwé

A phénomène social, une lutte sociale

Vieille de plusieurs décennies, la commercialisation illégale des produits pétroliers est un phénomène de société dont la lutte ne saurait se résumer en une répression discriminatoire et sauvage.

Un phénomène social. Le commerce illicite de produits pétroliers au Bénin est un phénomène dont le début remonte à plus de quatre décennies. Selon des statistiques de la direction générale de la société nationale de commercialisation des produits pétroliers (Sonacop), environ 52000 individus sont directement impliqués dans la commercialisation du ‘’kpayo’’. Et dans un élément d’enquête de la journaliste de la télévision nationale, Abiath Oumarou, sur ce commerce au Bénin, on se rend compte que le ‘’kpayo’’ est une tradition, et sa commercialisation se transmettait, dans certains milieux,  de génération en génération.

Dans le contexte général de chômage des jeunes, ce commerce pourtant néfaste pour l’économie nationale et aux multiples conséquences environnementales et sanitaires, est un moyen de survie, un véritable fait de société. La lutte contre ce commerce ne saurait se résumer en une répression discriminatoire (parce qu’épargnant certains départements, notamment l’Ouémé et le Plateau) et sauvage (avec des morts).

Une lutte sociale. «A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle» dit un adage. Dans le cas du commerce illégal de produits pétroliers, on est bien tenté de dire «à phénomène social, lutte sociale». Le caractère social du ‘’kpayo’’ impose, en effet, une réponse qui doit tenir compte de différents aspects. La sensibilisation, encore faible, la proposition d’une solution alternative aux acteurs de la filière, et surtout la disponibilité de l’«or noir» dans le circuit formel à travers la construction de stations-services dans tous les départements et un prix acceptable qui tient compte du Smig, sont autant d’actions sociales qui, selon plusieurs observateurs, sont nécessaires pour l’éradication du phénomène, sans une grande répression encore plus sauvage.
Yao Hervé Kingbêwé

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