La dictature de l’obscurité

Quelle vertu trouver au flou? Depuis des années l’essentiel de ce qui se fait dans nos pays s’entoure de ténèbres et d’obscurité. Nos performances, ou tout ce que nous tenons pour telles, baignent dans l’imprécision et l’approximation.

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Plus c’est incertain et vague, mieux cela vaut. Le flou serait-il le compagnon fidèle du sous-développé et l’un des éléments marquants du sous-développement ? Pourtant le flou, c’est le règne de l’ignorance. Le flou, c’est la dictature de l’obscurité.

L’informel marquera notre toute première escale. Il croît et se développe sur le flanc de notre pays comme une plaie purulente, rétive à tout traitement. Ce sont des millions de nos compatriotes qui travaillent à ciel ouvert et qui justifient de revenus certains. Mais le paradoxe, c’est que le travail qu’ils font est invisible et l’argent qu’ils gagnent est sans trace. Des citoyens-travailleurs, mais à comptabiliser comme des fantômes dans les circuits économiques du pays. Avec des revenus qui se perdent dans le clair-obscur des souterrains.  La fraude à la clé. La contrebande comme support. Des trafics en tous genres pour lubrifier l’ensemble du système.

Les statistiques marqueront notre deuxième escale. Le monde moderne en a fait l’outil scientifique d’appréciation de nos performances et des nos avancées, mais également l’instrument de mesure de nos reculs et de nos retards. Aucun décideur ne prend des décisions qui engagent l’avenir de son pays, sans avoir les yeux rivés sur les statistiques.  Or, ce n’est faire injure à personne que de dire que les statistiques, sous nos latitudes, sont affectées d’un relativisme dommageable à leur fiabilité et à leur crédibilité. La formation de nos statisticiens mériterait d’être revue, corrigée et renforcée. Des moyens conséquents devraient être dégagés pour créer les meilleures conditions de travail et stimuler l’ardeur au travail. Dans les conditions actuelles de leur production, nos statistiques restent comme des cache-sexe, voile pudique jeté sur notre nudité scientifique ou comme des cache-misère, décor en trompe-l’œil pour sauver les apparences. En matière de statistiques, nous en sommes encore à imiter, sinon à singer les autres. Notre modèle statistique est à créer.

Les enquêtes marqueront notre troisième escale. Nous incluons, sous cette rubrique, les sondages, les mesures d’opinion. Nous sommes dans un domaine de science. Ici, les techniques les plus modernes, les technologies les plus éprouvées et de dernière génération réduisent le subjectif et restituent à la science toute sa dimension impersonnelle et universelle. Rien, chez nous, ne se plie encore à cette exigence et à cette rigueur de la science.  Plutôt que de nous fier à la comptabilité quasi infaillible des machines, nous préférons, dans le cas des élections, par exemple, confier le sort des urnes au vote de nos morts, ainsi soustraits à leur repos éternel. Le recensement général de la population est en cours dans notre pays. Leurs résultats seront connus sous peu. Ils reflèteront l’homme béninois. Celui-là qui a l’art de dribbler la science et de bouleverser les plans de Dieu. N’a-t-il pas l’art et la science de faire tomber la pluie ou de l’arrêter?

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Les indicateurs économiques marqueront notre troisième et dernière escale. Ces indicateurs ont pour dénominateur commun d’être conçus et élaborés sans nous, parfois même contre nous. Mais c’est à l’aune de ces indicateurs, entre autres, le taux de croissance, le revenu en dollar, par jour et par tête d’habitant, ou tout récemment l’Indice du développement humain (IDH), que nos économies sont appréciées, que nos pays sont classés, que notre niveau de développement économique est déterminé.

Remarquons que tous les éléments que nous venons d’énumérer, efficaces à tous égards sous d’autres cieux et sous d’autres latitudes, sont frappés de la mention «nul et du nul effet», dans le contexte africain. Faut-il y voir la sanction de notre manque d’ardeur pour chercher et pour trouver ? C’est vrai que nous nous plaisons à rester à la remorque des autres. C’est vrai que nous sommes tout à notre aise pour assumer notre destin de consommateurs passifs. Le tube digestif, plutôt que le cerveau. La panse plutôt que la pensée. Si personne ne change personne, il n’est que temps que nous changeons nous-mêmes. Alors, le Bénin changera. Et nous changerons le monde.

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