La révision introuvable

Nous sommes à un carrefour délicat ou à virage dangereux de notre évolution politico-institutionnelle. Les raisons de notre « fatigue démocratique » sont multiples ; elles sont aussi bien politiques, existentielles que socio-anthropologiques. 

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Les symptômes de ce malaise existentiel abondent et se déclinent à plusieurs niveaux de la réalité systémique de notre Nation :        Après plus de cinquante ans de notre accession à l’indépendance, c’est la première fois qu’est brandie contre des citoyens béninois l’accusation de vouloir empoisonner le Président de la République ; pas de le renverser par un coup d’Etat ou par le moyen d’élections frauduleuses, mais de l’envoyer ad patres par des moyens occultes criminels !

·        C’est la première fois que ces deux grandes institutions de l’Etat, dont l’une ne peut exister sans l’autre, à savoir la police et la magistrature, entrent en guerre ouverte ; avec des péripéties cocasses. Comment notre Justice peut-elle exister sans notre Police ? On a même menacé d’obliger par la force le Directeur général de la Police Nationale et son adjoint à comparaître devant  le juge ! Qui va les contraindre, sinon des agents de la Police ? A moins, qu’on les ait pris en flagrant délit ; ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.

·        C’est la première fois que nous savons que notre Président de la République ne peut plus rempiler, sauf par extraordinaire. Aussi est-il devenu le soliveau de la fable de La Fontaine : Les grenouilles qui demandent un roi. On ne le voit déjà plus, on a les yeux rivés sur son prédécesseur, et évidemment, on fait les choses à la béninoise : personne n’ose se déclarer ou déclarer soutenir l’un des probables candidats à la magistrature suprême, mais beaucoup ont déjà fait leur choix, et n’attendent que le moment propice pour constituer un mouvement de soutien !

Il est inévitable dans ces conditions que notre Nation s’affaisse dans tous les domaines. Le délestage est sans précédent, le système éducatif est en ruine de même que le système des soins, l’Administration est au ralenti, de même que les sociétés d’Etat et d’économie mixte. Les opérateurs économiques se plaignent d’autant plus violemment qu’ils sont des milliardaires. Mais ce qui est plus grave, la classe politique, de l’opposition à la mouvance, est tombée dans une léthargie incroyable. Les organisations de la société civile qui courageusement la relayaient se sont tues à leur tour, frappées par une catatonie subite.  Dans cette atmosphère délétère, un projet de révision de notre Loi fondamentale ne peut que paraître suspect. Pourtant, ce n’est pas une nouveauté que de vouloir réviser notre Constitution ; il y eut plusieurs séminaires dans ce sens depuis 1996. En effet, depuis la chute du Président Nicéphore SOGLO, tous ses partisans qui croient que cela est dû à la Cour Constitutionnelle, ont multiplié des réflexions et des colloques sur ce « monstre institutionnel » qu’est notre Cour Constitutionnelle. Or, dans les nouveaux projets, personne n’a pipé mot sur les pouvoirs exorbitants de la Haute juridiction. Mon ami Olivier-Lucien GUEKPON l’a dit dans sa dernière chronique. Bah ! C’est une idée fausse que de croire que Nicéphore Dieudonné SOGLO aurait perdu l’élection présidentielle de 1996 parce que dès janvier 1996, il s’était mis à dos les 7 membres de la Haute juridiction après le ramdam entrainé par l’invalidation de l’élection de Georges GUEDOU aux législatives de 1995 : le Dah d’Avogbanna avait mobilisé une poignée de voyous pour manifester violemment contre la Cour Constitutionnelle et surtout sa présidente, Madame Elisabeth POGNON, une soi-disant togolaise. Cette idée d’une Cour Constitutionnelle hyperpuissante pouvant à volonté décider de celui qui occupera le Palais de la Marina est certes solidement ancrée dans la tête de tous les Béninois, mais ce n’est qu’une idée reçue ; la Haute Juridiction n’a jamais eu à proclamer les résultats d’une élection qui contredisent ceux qui ont été centralisés à la CENA. La bêtise de la CENA 96 est de n’avoir pas voulu rendre publics les résultats compilés à son niveau et qui donnaient largement gagnant le Général Mathieu KEREKOU !

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Cependant, force est de reconnaître que la Cour Constitutionnelle que nous a léguée la Constitution du 11 décembre 1990 est unique parmi les hautes juridictions en matière constitutionnelle de l’espace francophone. Elle occupe une place centrale dans notre édifice institutionnel. En effet, au terme de l’article 114 de la Constitution du 11 décembre 1990, elle  n’est pas seulement la plus haute juridiction en matière constitutionnelle et, à ce titre, est juge de la constitutionnalité des lois. Elle a en outre les prérogatives suivantes :

·        Elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques ; à ce titre, elle reçoit directement les doléances de tous citoyens dont les droits personnels et publics sont violés.

·        Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.

·        Elle n’est pas seulement juge du contentieux électoral, mais veille à la régularité de l’élection du Président de la République ; outre qu’elle examine les réclamations comme juge du contentieux électoral dans les élections législatives et présidentielles, elle statue aussi dans ce dernier cas sur les irrégularités qu’elle aurait pu, par elle-même relever et proclame les résultats du scrutin (alinéas 2 et 3 de l’article 117 de la même Constitution). Elle joue de ce fait un rôle important dans la compilation et la centralisation des résultats.           

On peut dire que notre Cour Constitutionnelle a des prérogatives qu’aucune haute juridiction de l’espace francophone tout au moins, ne détient. Evidemment, elle a usé et abusé selon moi de ses importantes prérogatives. Passons en revue quelques-unes de ses décisions critiquables :

·        En 1996, beaucoup de ses décisions, toujours favorables au candidat Mathieu KEREKOU pendant l’élection présidentielle de 1996, ont amené certains membres de la CENA à la dénoncer publiquement. L’affaire des bureaux de vote fictifs ou pirates du Borgou auraient dû la conduire à annuler le scrutin, comme lors des élections législatives de 1995 !

 

·        En 2001, excipant du fait qu’elle est «l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics », elle avait imposé à l’Assemblée Nationale, la clef de répartition de ses représentants à la CENA.

·        En 2006, elle s’était derechef arrogé le pouvoir de voter des lois, en annulant pour « inconstitutionnalité », la durée légale de résidence des candidats à une élection présidentielle votée par l’Assemblée Nationale. Cette loi aurait en effet éliminé ipso facto Boni YAYI, alors Directeur Général de la BOAD, de la course à l’élection présidentielle de 2006 !

Pardessus toutes ces décisions surprenantes, la Haute Juridiction a pris une célèbre décision que j’étais parmi les rares citoyens béninois à critiquée. Les députés de la législature en cours en 2006, s’appuyant dûment sur les articles 154 et surtout 155 de la Constitution avait élaboré une proposition de la révision de la Constitution qui a été, très constitutionnellement, « approuvée à la majorité des quatre cinquièmes des membres de l’Assemblée Nationale ». Or, se prononçant sur la constitutionnalité de la Loi constitutionnelle n° 2006-13 portant révision de l’article 80 de la Constitution du 11 décembre 1990 portant modification de la durée du mandat des députés, la Haute Juridiction a sorti la décision DCC-06-074 du 08 juillet 2006 qui a cassé pour inconstitutionnalité cette Loi constitutionnelle votée par l’Assemblée nationale, qui pour moi était juridiquement inattaquable, parce que on ne plus conforme à la Constitution du 11 décembre 1990, la nôtre. On lit en l’occurrence ceci dans cette décision : « Considérant que ce mandat de quatre (4) ans, qui est une situation constitutionnellement établie ( ?), est le résultat du consensus national dégagé par la Conférence des Forces Vives  de février 1990 et consacré par la Constitution en son Préambule qui réaffirme l’opposition fondamentale du peuple béninois à…la confiscation du pouvoir ;… » A partir de cette célèbre décision, toutes les portes sont ouvertes aux abus, parce que la Cour Constitutionnelle suivante n’a pas manqué d’exciper de ce prétendu consensus dégagé à la Conférence des Forces Vives de la Nation, pour indiquer des articles de la Constitution qu’on ne saurait réviser…parce qu’issus du « consensus » dégagé à la Conférence nationale ! Ce faisant, la Haute Juridiction nous a placés dans un imbroglio juridique inextricable. Certes, cette révision constitutionnelle posait de sérieux problèmes d’éthique politique (elle était politiquement incorrecte après le raz de marée (75% des électeurs) qui avait porté Boni YAYI au pouvoir, de philosophie morale et politique, et risquait d’avoir de sérieuses conséquences socio-politiques en ce qu’elle s’analysait comme une manœuvre consistant à priver les nouveaux soutiens du Président de la République élu de leur volonté légitime de prendre d’assaut l’Assemblée nationale ; mais faire désormais du « consensus un principe à valeur constitutionnelle », c’est ouvrir la Boîte de pandore dans laquelle vont s’engouffrer tous les opportunistes, c’est donner du grain à moudre à tous les opposants, réels ou cachés,  à la politique du régime YAYI. Ce jargon de nos 7 sages est désormais une arme à double tranchant qui sera toujours brandie par toutes sortes de poujadistes pour dénier au Président de la république, le droit constitutionnel de prendre l’initiative de procéder à une quelconque révision de notre Loi fondamentale. Désormais, il ne peut le faire sans un large consensus du peuple, seul détenteur de la souveraineté nationale. Comment l’obtenir alors? En faisant comme en 1990, c'est-à-dire mettre sur pied un comité constitutionnel qui va recueillir les avis de toutes les Forces Vives de la Nation sur l’avant-projet , avis qui seront ensuite débattus lors d’une Conférence Nationale Constitutionnelle qui à son tour dégagera un consensus sur les grandes modifications à apporter à notre Loi Fondamentale ! Procéder autrement, c’est-à dire limiter les prérogatives de l’initiative de la révision seulement au Gouvernement et au Parlement, c’est clairement violer l’esprit de la Décision DCC-06-074 du 08 juillet 2006. Aussi est-ce pour les vrais patriotes dont je me targue d’être, la seule manière de sortir de l’impasse. C’est d’ailleurs la position de plusieurs partis membres de la Mouvance Présidentielle, comme la Renaissance du Bénin.

   Eh oui ! On avait joué à la chauve-souris : les acteurs politiques adorent ce jeu. C’est comme ça que nous avions mis dans notre Constitution, en étant les seuls au monde, une disposition limitant à 70 ans l’âge plafond pour être  candidat  à l’élection présidentielle ; à l’heure où de part les progrès de la médecine un homme de 70 ans, est en parfaite santé et en pleine possession des ses facultés physiques et mentales : Robert DOSSOU a 74 ans, mais comme la plupart des Béninois, je me demande pourquoi il n’a pas pu rempiler à la tête de la Cour Constitutionnelle. En nous accrochant à cette mesure stupide prise à un moment donné pour éliminer de la course de l’élection présidentielle de 1991, les quatre anciens leaders dont tout le monde craignait le retour au pouvoir, nous nous sommes mis au cou un joug étouffant. Ne me dites pas moi qui était alors un acteur politique actif parce que chef d’un parti politique, que la limitation d’âge est une décision issue d’un consensus obtenu à la Conférence Nationale ; ce serait littéralement se foutre du monde ! 

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