Le temps des débiteurs

Qui paye ses dettes s’enrichit. C’est la sagesse des nations qui le dit. Parce que celui qui paye ses dettes se libère, tout au moins, des pressions de ses créanciers. La paix du cœur qui en résulte vaut de l’or, signe et symbole de richesse.

Publicité

Voilà pour le principe. Qu’en est-il aujourd’hui et au Bénin ? Beaucoup de nos compatriotes sont des débiteurs invétérés. Et ils sont fiers, pourrait-on dire, de l’être. Rien, comme l’œil de la conscience, ne les appelle à l’ordre, ne leur rappelle leurs engagements.

Pourtant, il y a quelques décennies, sur la foi du témoignage des anciens, on ne pouvait garder par devers soi l’argent d’autrui et dormir du sommeil du juste. Aucun débiteur n’avait   le courage de défier son créancier. Il se serait plutôt laissé écraser, à sa grande honte, sous le poids de la faute.   

Premier exemple. L’Etat croyait bien faire en instituant un fonds d’aide et d’assistance aux jeunes porteurs de projets d’affaires et d’auto-emploi. La plupart de ces jeunes ont empoché les sous sans mettre en place quelque chose qui ressemble à un emploi. Des millions de nos francs sont perdus, engloutis dans les profondeurs de l’ignorance des uns, évaporés dans les chimères et l’irresponsabilité des autres.

Deuxième exemple. Des établissements financiers de la place ont consenti des crédits à hauteur de plusieurs millions de nos francs à nombre de nos compatriotes. Ceux-ci, au moment d’exécuter leur obligation, se sont débinés, s’étant fait porter aux abonnés absents. Comment alors leur faire rendre gorge ?

Publicité

Les créanciers ont recours à divers moyens et méthodes. Le ministère des Finances faisaient déployer, naguère, des banderoles portant l’objet du délit sur les façades des maisons. Incontestablement, les toutes premières banderoles ont fait mouche. C’était nouveau. C’était inédit. Il fallait stigmatiser en quelque sorte le débiteur et le livrer au mépris de l’opinion. Mais, dans une société comme la nôtre où celui qui passe pour un héros n’est pas forcément qui l’on croit, le débiteur devient vite, comme on dit en Côte d’Ivoire, «le cabri mort qui n’a plus peur du couteau».

Aux banderoles ont succédé, depuis, de longues listes de débiteurs, des listes débitées à longueur de temps et aux heures de grande écoute sur les ondes de nos radios. L’initiative cache à peine la volonté de pointer du doigt certains de nos compatriotes indélicats. Puisqu’ils se sont comportés, estime-t-on, comme des gens sans dignité, incapables d’honorer leur parole, de respecter leur signature, il convient de les donner en pâture à l’opinion. Avec l’espoir d’appeler la honte sur le débiteur, d’attirer sur lui le regard dépréciatif des siens, de ses proches, de ses amis. Le créancier attendait ainsi de voir le débiteur rendre les armes, pour qu’il s’avise de rendre à son propriétaire son bien et de s’interdire de garder par devers lui le bien d’autrui.

La méthode mérite d’être évaluée. En tous cas, à en juger par quelques indices empiriques, il semble qu’elle n’a pas comblé l’attente de ceux qui l’ont fait breveter. Car si les choses allaient bien, les listes de débiteurs se soulageraient, au fur et à mesure, des noms de ceux qui se mettraient à jour. Ce qui, actuellement, ne semble pas être le cas. De toute évidence, les méthodes de la banderole et des communiqués radio pour traiter la dette et pour corriger le débiteur n’ont pu être le sésame attendu, la panacée espérée. La honte qu’on a cherchée à répandre sur le délinquant l’a effleuré à peine. De l’eau sur les plumes d’un canard. Pourquoi en est-il ainsi ?

Il faut y voir le résultat d’une mutation sociale et d’une inversion des valeurs. Etre débiteur, dans le Bénin d’aujourd’hui, ce  n’est pas loin d’une fonction sociale assumée comme telle et sans vergogne. Le débiteur se donne des droits et fait montre d’une audace sans pareille. Et c’est le créancier qui doit reculer, se faire tout petit et adopter un profil bas. C’est proprement le monde en envers. Exactement comme si l’on cherchait à accréditer l’idée selon laquelle les honnêtes gens et les gens vertueux vont en enfer, tandis que la fripouille est gratifiée d’un passeport, visa en sus, pour le paradis. Rien ne se serait passé ainsi en ces temps-là, du titre des mémoires du Président Emile Derlin Zinsou. C’est vrai : le monde change. Imposons-nous le devoir de le changer positivement.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité