Se mettre désormais en rouge, tous les mercredis, pour marquer son désaccord face au projet de révision de la constitution du 11 décembre 1990. Tel est la nouvelle initiative de Me Joseph Djogbénou, président du mouvement Alternative citoyenne, un mouvement de défense des droits de l’homme.
Dans un entretien qu’il a accordé à votre journal, l’avocat a expliqué le concept « les mercredis rouges » et ses objectifs. Un entretien exclusif dont nous vous proposons l’intégralité.
La Nouvelle Tribune : vous venez d’initier une nouvelle forme de mobilisation pour aller contre la révision de la constitution et tout ce qui, selon vous, ne marche pas dans le pays. Une initiative que vous avez dénommée «les mercredis rouges». Quel est le contenu de ce nouveau concept?
Me Joseph Djogbenou : les mercredis rouges sont des rendez-vous qui consistent à exprimer dans les tenues qu’on porte les opinions que l’on a et par rapport auxquelles on n’a pas d’espace public d’expression. Vous savez bien que dans une société démocratique, les médias, notamment les médias publics, sont les lieux d’expression des opinions, et que pour mettre en œuvre cette expression plurielle des opinions, il est attendu d’un Etat qu’il organise des débats contradictoires partout. Il est attendu de l’organe de régulation que ces débats contradictoires soient organisés. Mais ce que nous constatons, c’est que sur des questions d’intérêt majeur, notamment sur la question de la révision de la constitution, nous n’avons pas de débats contradictoires à la télévision nationale, nous avons très peu de débats contradictoires de qualité sur les autres chaînes. Et nous avons une campagne qui est organisée par le président de la République à l’intérieur du pays, avec ses ministres et ses partisans. C’est tout à fait normal que ses partisans s’expriment, mais c’est tout aussi normal que, dans la même mesure, ceux qui ne sont pas d’accord avec le projet, et qui ont aussi des raisons de ne pas l’être, puissent s’exprimer. Alors comment s’exprimer ? Est-ce qu’il faille prendre des armes ? Nous nous sommes dit non. Est-ce qu’il faut occuper les rues ? On craint bien que le Dgpn et ses agents n’écrasent toutes les personnes qui prendraient les rues. Mais la pensée est une énergie, et si elle n’est pas exprimée, elle devient cancérigène. Alors nous avons compris qu’il faille exprimer cela d’une manière ou d’une autre. Et donc les mercredis, dans nos tenues, nous allons porter désormais des vêtements de couleur rouge. D’abord, pour celles et ceux qui sont contre la révision de la constitution ; quels que soient les motifs de leurs préoccupations légitimes contre cette révision. Et celles et ceux qui sont contre par exemple le traitement discriminatoire et frauduleux des concours d’accès à la fonction publique. De celles et ceux qui sont contre tout ce qui est relatif à la gestion de la cité. De celles et ceux qui sont contre par exemple des enlèvements de personnes, dont on ne sait à ce jour, quelles en sont les raisons, les motivations et les finalités. Et pour beaucoup d’autres préoccupations encore. Et donc, nous avons considéré qu’il faille organiser cette manifestation qui est d’abord pacifique, qui est une réponse individuelle de chacun aux préoccupations de la société et qui ne donne pas à la police nationale, à la gendarmerie nationale et aux autorités administratives des compétences, des pouvoirs de traquer, de discriminer et de traiter de la manière la plus malheureuse. Je voudrai ajouter que l’initiative n’a même pas la prétention de mobiliser tous les Béninois. Si parmi vos lecteurs, il y en a qui considèrent que se levant le matin et en allumant sa télévision, on voit Boni Yayi, à midi on allume, on a encore Boni Yayi, le soir, on veut se reposer et se distraire mais on a encore Boni Yayi en campagne. Si cela est satisfaisant, qu’ils ne portent pas les tenues de couleur rouge. Ceux qui considèreront que la révision de la constitution est parfaite et qu’il n’y a pas une seule virgule qui pose problème, on ne les associe pas. Ceux qui considèrent que les personnes qui sont enlevées, le sont pour la bonne cause de la société, qu’ils ne portent pas le rouge. Mais celles et ceux qui considèrent que ça ne va pas dans ce pays et qu’on n’a pas les moyens de le dire, on n’a pas les lieux pour le dire, qu’il y a comme une discrimination, quelle qu’en soit sa nature ; eh bien, qu’ils soient du nord ou du sud, de l’est ou de l’ouest, qu’ils portent comme nous un vêtement de couleur rouge.
Il existe quand même plusieurs autres façons de s’exprimer mais vous avez préféré vous habiller en rouge. Croyez-vous que cette méthode puisse vraiment porter votre message, non seulement, vers la population, mais aussi, vers les autorités concernées?
C’est d’abord un moyen d’identification de celles et ceux qui ne sont pas d’accord. Il faut désormais s’identifier, et de façon pacifique. Il faut faire en sorte que les autorités publiques réalisent qu’il y a vraiment des personnes qui ne sont pas d’accord. Quand vous allumez encore une fois la seule chaîne qui a une couverture nationale au frais du contribuable, vous ne pouvez pas identifier ces personnes là. Il faut bien que nous puissions nous identifier avec du rouge assez franc, ce rouge qui pourra permettre de dire qu’il y a des êtres humains qui souffrent. Maintenant, que chacun mobilise autour de soi pour cette réponse. Cela ira sans doute de façon progressive. On n’attend pas que ce mercredi tout le peuple béninois se mette en rouge. Mais, de façon progressive, que nous créions ce phénomène de mode là. Nous pouvons aller au travail dans cette tenue, nous pouvons aller au culte dans cette tenue, nous pouvons vaquer à nos loisirs dans cette tenue. Il suffit juste que nous mettions du rouge, une fois par semaine, les mercredis. C’est une manière de consacrer une journée à la République et de dire ce que nous pensons.
Selon les articles 154 et 155 de la constitution du 11 décembre 1990, c’est aux députés que revient la décision d’aller ou pas à une révision de la constitution. Comment ce concept «les mercredis rouges» peut-il influencer la décision des représentants du peuple?
Si on s’y met correctement, avec intelligence, je crois que ça doit porter ses fruits. Et ces députés qui sont aussi des citoyens béninois, sentiront ou verront la couleur rouge. Et avec ce rouge, il pourront voir là où se trouve vraiment l’intérêt de la population. Je pense que les citoyens ont des voies pour réagir. Et c’est l’une de ces voies que nous proposons. Nous n’allons pas croiser les bras, remplis d’inquiétudes et de peurs, considérant que tout est fait et que nous allons subir. Thomas Sankara avait l’habitude de dire que « l’esclave qui ne se révolte pas, ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort ». Et donc, de ce point de vu, il faudrait que chacun réagisse. Je ne me pose pas la question de savoir les leçons que l’autre va tirer de mes réactions. Mais, l’histoire retiendra que certains ont pu réagir à leur manière, en dépit des difficultés, en dépit des obstacles, en dépit des craintes existentielles qui pèsent sur les actions citoyennes dans ce pays.
Et justement, parlant de craintes existentielles qui pèsent sur les actions citoyennes, ne redoutez-vous pas le fait que des citoyens éprouvent une certaine réticence à s’afficher ouvertement, en tenues rouges, surtout dans le contexte sociopolitique psychotique qui est désormais le nôtre?
Qui craint de souffrir, souffre déjà de ce qu’il craint, disait un auteur très reconnu. Nous craignons tellement des choses, que nous souffrons déjà de ce que nous craignons. Il faut arrêter d’avoir peur. Et puis, quoi qu’il en soit, il vaut mieux subir aujourd’hui et mieux vivre demain que de subir tout le temps. La question à laquelle nous devons trouver réponse, c’est de savoir si nous voulons seulement subir aujourd’hui et nous libérer demain ? Ou bien si nous voulons subir tout le temps?
Il n’y a plus ce jour là désormais où dans l’entourage du chef de l’Etat, on n’entende ou on ne voie des gens essayer de démontrer ou dire que la révision de la constitution proposée n’a rien d’opportuniste. Le chef de l’Etat lui-même, à plusieurs reprises a confié qu’il est entrain de conduire son deuxième et dernier mandat. Mais, pourquoi demeurez-vous toujours sceptique, malgré toutes ces garanties?
Depuis 2006 jusqu’à aujourd’hui, faites un peu le point des promesses et de leurs prises en compte après, et vous comprendrez. Des réformes entamées et leurs niveaux de réalisation. Rien que des promesses verbales, comme la promesse de ne pas rester au pouvoir. Les réformes sur le PVI, les réformes sur le coton, l’OCBN, la route Akassato-Bohicon a été déjà lancée plusieurs fois. Quels sont les niveaux de réalisation de ces promesses ? Lorsqu’on échoue, pour tant de promesses, est-ce que c’est pour la révision de la constitution qu’on va réussir ? C’est d’abord par rapport au crédit que vous dégagez par rapport à votre propre signature. Est-ce que ce crédit est suffisant aujourd’hui ? Un chef d’Etat qui n’est pas partisan et qui se met au dessus de la mêlée devrait faire appeler ceux qui sont contre la révision, pour en discuter sur la chaîne nationale. Et moi je n’ai pas confiance. Même une promesse écrite quelle que soit sa nature ne me convainc pas. La question doit pouvoir se poser du côté des priorités qui s’imposent à nous. Plus de 30.000 admis au baccalauréat, il faut qu’on se demande si nous avons des universités pour les accueillir. Quel sera leur sort dans trois ou quatre ans ? Voilà les priorités et non le fait d’aller à l’intérieur du pays, sur des bases fantaisistes, pour faire croire que sans la révision de la constitution, le Bénin disparaîtra. Je veux ajouter pour finir que chacun de nous est la solution pour empêcher cette révision de la constitution. Et la solution c’est de porter une tenue rouge tous les mercredis. Et le premier mercredi c’est bien sûr ce mercredi 17 juillet 2013. Je vous remercie.
Réalisation : Emmanuel E. Creppy
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