Face à la révision de la Constitution : la voix du peuple

Le projet de révision de notre Loi fondamentale marqué du sceau de la  démocratie  est  un événement à caractère national qui n’est toutefois pas de même nature que les élections législatives et présidentielles  dont nous maitrisons les stratégies, les méthodes et les rouages.

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L’on peut comprendre alors que l’opération déroute tant le citoyen que la classe politique et qu’elle soit l’occasion d’inquiétude, d’effervescence et de dérapage même. Pourtant nous ne devrions pas traiter une révision constitutionnelle comme nous traitons une élection et c’est malheureusement ce que nous sommes en train de faire.

Un débat faussé

Le débat est faussé dès l’instant qu’il s’est fait partisan. Le projet de révision qu’a soumis le Chef de l’Etat à  l’Assemblée nationale  fait polémique dans la mesure où il se  fait que ses propositions sont fortement appuyées par les forces politiques de son obédience tandis que  celles de  l’opposition se rebiffent  et contre attaquent durement ; et nous nous retrouvons dans  le schéma classique d’une campagne électorale. La   révision d’une Constitution est pourtant un sujet d’intérêt national qui devrait rassembler tous les citoyens puisqu’il  est sensé refléter les aspirations du peuple et la manière dont ce peuple entend que ceux à qui il donne délégation pour gérer les affaires du pays  le fassent. L’on convient toutefois que les citoyens puissent porter des regards différents sur certains aspects des amendements proposés mais tout cela devrait être négocié dans un climat apaisé et faire l’objet d’un consensus d’autant plus qu’il s’agit du texte qui devra nous gérer tous : cela parait si simple de prime abord et pourtant…

Le débat est également  faussé parce que les sous-entendus politiques prévalent. Partira ou  partira pas ; continuation de la République ou nouvelle république. Voila les deux pôles qui ont restreint le débat et l’ont orienté  d’emblée sur le champ politique ; l’ornière dans laquelle les hommes politiques font le débat et entrainent le peuple. Le peuple devrait faire cependant l’effort de se soustraire  aux manœuvres des politiciens  et prendre la liberté d’exprimer ses propres volontés que nous pensons pouvoir synthétiser comme suit dans la mesure où nous avons amplement développé les thèmes dans diverses réflexions.

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Au niveau du préambule

Dans une Constitution, le préambule mentionne d’ordinaire les motifs mêmes de sa rédaction et ses fondements. Il situe les environnements dans lesquels la politique publique se doit  d’évoluer ; il pose les principes fondamentaux nécessaires  à l’élaboration des lois de la République et oriente le législateur ; il pose les aspirations du peuple. Non seulement il a même valeur juridique que tous les articles qu’il annonce mais encore il imprime, à notre avis, une grande solennité au document. A ce titre nous suggérons qu’y figurent les principes directeurs  qui suivent :

– Le principe de la recherche du  bien-être social

Le bien-être social est la raison principale de toute politique publique. C’est un droit du citoyen  et  fondamentalement un devoir d’Etat ; c’est pourquoi nous suggérons qu’il fasse parti du préambule nonobstant les dispositions de l’article 8 qui dispose que l’Etat doit assurer au citoyen l’égal accès à la  santé, à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation professionnelle et à l’emploi. L’homme n’a qu’une seule aspiration fondamentale : son bien- être. Tout le reste ne devrait-être que moyens pour y parvenir. Que ce bien-être soit absent du préambule d’une  Constitution  notamment d’un pays en développement gêne l’entendement

– Le principe de la solidarité nationale

La solidarité nationale bien comprise est facteur de développement ainsi que la preuve en est faite par les opérations de solidarité qui se déroulent avec succès dans le pays que ce soit dans le domaine de la santé ou dans celui de la formation. Nous suggérons alors que dans notre devise ternaire le terme fraternité soit remplacé par celui de solidarité. La fraternité ne construit pas un pays c’est la solidarité qui le construit. Il est au demeurant  symptomatique que  notre Constitution n’ait pas fait appel  une seule fois  à cette notion alors que de par le monde entier la solidarité est devenue une valeur politique prisée en termes de développement  social et économique. Nous constatons que le projet de révision n’en fait pas mention on plus

– Le principe et la  détermination de la lutte contre la corruption

La corruption est la gangrène qui ronge notre pays et j’ai entendu dire que 15% de nos ressources  sont touchés par la corruption. La détermination à lutter contre le fléau devrait être mentionné de manière solennelle au niveau du préambule ; d’autant que, sur ce chapitre également, nulle part dans la Constitution il n’est question de lutte contre la corruption.

Nous avons donc une Constitution qui ne fait pas mention des principes  directeurs susvisés que nous pensons pourtant pouvoir contribuer efficacement à la bonne gouvernance du pays  et qui, en matière de la lutte contre le fléau dominant qu’est la corruption, n’a en aucun endroit traité de la préservation du bien public ; ni dans le préambule ni dans le corps du texte si ce n’est par rapport aux fonctions ministérielles. Il est heureux cependant que sur ce point le projet de révision ait fait mention de la détermination  du peuple béninois à lutter contre la corruption.

Au niveau de l’Exécutif : le contrôle du peuple

Nous suggérons dans ce cadre

– La tenue d’élections  législatives  à mi- parcours de la magistrature suprême.

Dans les circonstances actuelles lorsque nous votons pour l’élection du  Président de la République, c’est pratiquement  un chèque en blanc que nous lui signons pour cinq ans.  Pendant toute cette période nous sommes condamnés à le regarder faire sans aucune possibilité d’intervention si ce n’est d’attendre les prochaines élections présidentielles.  Pour remédier à cette situation nous suggérons que les élections présidentielles et législatives soit nettement démarquées ; que les législatives se tiennent à mi-parcours de la magistrature suprême au lieu qu’elles soient pratiquement concomitantes à une année près comme c’est le cas actuellement. Les législatives permettront ainsi de sanctionner positivement ou négativement le parti du Chef de l’Etat, lui envoyant ainsi un signal fort. C’est ainsi que procèdent les démocraties avancées et nous pouvons prendre la graine chez elles. La démocratie ne consiste pas seulement à glisser le bulletin de vote dans l’urne.

– Une justice égale et impartiale

En ce qui concerne les membres du gouvernement  le peuple ne comprend toujours pas pourquoi un ministre qui détourne des fonds publics bénéficie d’un traitement particulier à la faveur de l’article 136 et qu’il   ne soit pas justiciable de la juridiction de droit commun. Outre le fait que la Constitution actuelle prévoit qu’il soit traduit devant une juridiction  particulière, sa poursuite n’est autorisée que sur autorisation de l’Assemblée nationale et à la majorité qualifiée des 2/3. Cela n’est pas juste et, à notre sens, aucune explication ne peut  convaincre de son bien-fondé ; c’est, pensons-nous, ni plus ni moins une prime à la mauvaise gouvernance et un pied de nez au citoyen qui gagne son pain à la sueur de son front.

– Une déclaration des biens sur constat d’huissier

Par ailleurs et contrairement à ce qui est stipulé à l’article 52 de la Constitution, la déclaration des biens des ministres ne devrait plus se faire sur l’honneur mais sur constat d’huissier tant à la prise qu’à la cessation de leurs fonctions. Le citoyen a soif de transparence et il y a belle lurette que la déclaration sur l’honneur a perdu tonte toute crédibilité  aux yeux de  l’opinion publique.

Au niveau du  Législatif

Nous suggérons

– La prestation de serment  du Président de l’Assemblée nationale

C’est à l’Assemblée nationale que se trouve la souveraineté nationale et il serait innovant que son Président prête serment ; certes en des termes et des engagements différents de celui du Président de la République. De plus le serment renforcera sa stature de  deuxième personnalité de l’Etat et le respect que l’exécutif doit au législatif.

– La  fidélité d’obédience dans l’hémicycle

La ‘’ transhumance politique’’  est non seulement une injure aux électeurs mais encore une menace à la stabilité politique  nationale ; et point n’est besoin d’épiloguer sur le sujet pour se faire comprendre.  Nous voulons indiquer  par ailleurs que l’on ne peut attendre des députés ni qu’ils consignent l’illégitimité de la pratique  dans leur règlement intérieur ni qu’ils légifèrent en ce sens. L’on comprend qu’ils ne veuillent  pas se faire hara-kira ; il convient alors de leur imposer le principe de fidélité d’obédience dans la Constitution.

– La déclaration des biens

Si les membres du gouvernement déclarent leurs biens, il n’y a pas de raison que les députés ne se plient pas à cette formalité. Au demeurant, n’est-ce pas eux qui ont voté la loi  anti corruption?  Il sied donc qu’ils donnent le ton. N’est-ce pas eux qui par le truchement du bureau de l’Assemblée  donnent  au Chef de l’Etat leur avis sur la nomination des ministres? Il convient qu’ils soient alors  au-dessus de tout soupçon. L’argument qui consiste à objecter  que les députés ne gèrent pas des fonds publics et qu’il n’est pas utile qu’ils déclarent leurs biens ne tient pas la route ; en effet point n’est besoin de gérer des fonds publics pour se  laisser corrompre

Au niveau des instances

Nous sommes une société de crises successives ; aussi avons-nous proposé en temps opportun la création d’un collège de médiation avec à sa tête un Grand médiateur de la République.

– L’organe

Le Médiateur de la République actuel n’a de fonction que d’ordre administratif et aucune instance officielle n’est prévue pour les conflits autres qu’administratifs. L’organe de médiation politique que nous suggérons sera composé de membres  de droit et de membres désignés. Les membres de droit seront tous les anciens Présidents de la République,  le Président de la Cour Suprême, le Président de la Haute Cour de justice, le Président de l’Assemblée nationale, les Présidents des différentes commissions de ladite assemblée et les maires en fonction dans les cinq plus grandes communes  du pays. Les autres membres pourraient être : deux représentants des églises, un représentant de la religion musulmane, un représentant des religions endogènes, un représentant des centrales syndicales  et un représentant des Sages ; tous proposés par le  Grand Médiateur au Chef de l’Etat en raison de leur  probité et nommés par décret présidentiel.

– Le fonctionnement

Institution de l’Etat, le collège siégera  sur  convocation du Grand Médiateur de la République ou sur requête de plus de la moitié des membres de droit chaque fois que la paix sociale sera menacée. Concrètement l’on peut envisager deux organisations. Dans un  cas de figure l’on peut concevoir que  le  Grand Médiateur de la République ait deux catégories d’attributions : l’une administrative et permanente ;  l’autre politique et ponctuelle en cas de tension extrême menaçant la paix sociale quel qu’en soit le caractère. Dans l’autre cas, l’on peut envisager deux médiateurs l’un pour les affaires à caractère administratif, l’autre pour celles à caractère non administratif étant entendu que le titre de  Grand Médiateur de la République reviendra à ce dernier.   Au reste, nous  estimons que pour jouer efficacement son rôle, le Grand Médiateur de la République devra  être un homme de rassemblement, une personnalité médiane sachant naviguer entre les institutions et les positions partisanes pour parvenir à la conciliation. Il devra inspirer impartialité, respectabilité et confiance au peuple entier.

Nous suggérons la création du collège de médiation depuis Février 2012 à la faveur de différentes  réflexions notamment celles  portant  ‘’ Colère et confessions du Chef de l’Etat : décryptage à froid et enseignements’’. Emballement politique et  embrouille  dans la Cité : pour un collège de médiation républicaine et un Grand Médiateur de la République’’ et ‘’ Gestion du pays par temps de crises’’ L’actualité nous ramène à la réalité que nous sommes effectivement une société de crises. Nous y voici encore  une fois de plus avec ce projet de révision de la Constitution sans existence d’un organe conciliateur. Nous entendons dire  que les  anciens présidents de la République se préparent à s’entremettre. Est-ce la bonne solution en la circonstance ; uniquement des hommes politiques, qui plus est pour certains sont impliqués dans le débat, pour régler  ce problème qui a basculé totalement dans le champ politique ? Sans jouer au devin ni à l’exégète, il convient de prévenir le public qu’il s’attende à ce que  les fondamentaux à savoir la limitation du  mandat du Président de la République ainsi que la limitation de l’âge  pour briguer la magistrature suprême soient sacrifiés sur l’autel des négociations politiques  menées par des hommes politiques uniquement. L’opposition trouvera à n’en pas douter  son compte pour ce qui sera de la modification de l’âge et le parti au pouvoir le sien dans le nombre de mandats. Et le peuple en aura pour son compte.  Je ne sais si nous devons croiser les doigts pour qu’il en soit ainsi ou pour qu’il n’en soit jamais ainsi.

En de hors de la lutte contre la corruption et l’imprescribilité des crimes économiques nous constatons que le projet de révision n’a pas pris en compte l’ensemble de nos préoccupations. Peut-être ne sont-elles pas dignes d’intérêt. Elles résultent pourtant des réflexions qu’on menées le groupe d’action dont la direction nous a été confiée et qui s’est  penché résolument sur la question. Nous aimons à penser toutefois que les amendements à la Constitution ne sauraient être le fait de la seule initiative du  chef de l’Etat ni des appréciations des députés mus par des intérêts divers. Si le projet de révision vise entre autres l’exercice de l’initiative populaire, peut-être devrait-on commencer par donner effectivement la parole au peuple et l’entendre précisément  à l’occasion de la présente opération de révision de la Constitution ; lui qui n’a d’autre intérêt à défendre dans cette révision que l’adéquation de son texte à ses légitimes aspirations. Que ne pourrait-on élargir généreusement le travail de sensibilisation  qu’accomplit l’Etat et qui malheureusement pour diverses raisons n’atteint pas le grand public,  mettre à contribution tous les ONG  qui pullulent dans le pays  sous différents prétexte. Le Ministère chargé des institutions  pourrait les inviter  formellement et de façon péremptoire  à y retirer copie de la seule lettre de transmission  du Président de la République à l’Assemblée Nationale qui expose les motifs à savoir l’historique, la structure du texte de la révision portant les amendements qu’il propose. La substance du document ne tient qu’en deux pages. Deux seuls pages pour faire du concret et l’économie de tant de redondance qui submerge l’actualité, embrouille et emberlificote le citoyen. Les ONG devraient pouvoir faire leurs observations par écrit ; elles peuvent bien jouer cette partition : elles en ont le devoir. La raison déclarée de leur existence n’est-elle pas d’aider l’Etat ? c’est la bonne opportunité d’en administrer la preuve.

Ambassadeur Candide Ahouansou
Président de l’ONG Groupe d’Action pour une Meilleure Qualité de Vie

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