Gestion du pays par temps de crise : le défaut d’instance de médiation et suggestions

Le Directeur général de la Police nationale a été interpelé par un magistrat. La chose n’est pas coutume dans notre pays et, sauf déficit d’information de ma part, c’est un fait d’exception dans les annales juridiques nationales.

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 Que se serait-il passé si, pour une raison ou une autre, le chef de la police n’avait pas obtempéré ; à quelle nouvelle tension sociopolitique n’aurions-nous pas été soumis une fois de plus ? Il aurait suffi que le syndicat des policiers et celui des magistrats manquent de retenue. L’éventualité donne matière à réflexion sur la gestion du pays par temps de crise

La démarcation entre la personne physique interpelée, officier de police de son état tout de même, et la police en tant qu’institution dont elle relève, bien que légitime, parait néanmoins spécieuse à l’entendement du citoyen ordinaire qui a du mal à en saisir toute la nuance. Voici donc en fait face à face les deux forces responsables et garantes de l’ordre dans le pays ; de surcroît corrélativement dépendantes l’une de l’autre, qui se mesurent avec comme toile de fond, l’arrestation d’un juge rattrapé par la police alors qu’il s’apprêtait à quitter le territoire immédiatement après avoir rendu une ordonnance de non- lieu dans une affaire qui intéresse la Nation entière. Mélodrame du ‘’rira bien qui rira le dernier’’ pourrait-on dire.

Le manque de culture de prévision

Il est de notoriété bien établie que la culture de la prévision nous fait défaut en toutes choses. L’anticipation n‘est pas notre fort quelque soit le domaine public envisagé et nous en payons le prix principalement dans le domaine économique. Nous n’avons pas propension à devancer l’événement ; nous affectionnons l’attendre, puis faire feu de tous bords pour l’affronter avec plus ou moins de réussite. Nous devrions, au demeurant, reconnaître honnêtement que, pour une bonne part, ce que nous appelons avec des fois un tantinet de gêne intellectuel, réhabilitation et réforme auquel du reste il est fait face sous forme de projet à grands frais, n’est en fait qu’aveu de manque de prévision ; soit par déficit d’imagination soit par défaut d’une politique de gestion prévisionnelle ou d’entretien. C’est une tare que nous trainons de génération en génération, à laquelle il convient de mettre fin par l’enseignement civique et des décisions hardies tant administratives que politiques. Sans prévention l’on est toujours surpris par les événements et tout événement se transforme rapidement en crise.

Une société de crises et d’inquiétudes

En fait notre société en est une qui avance par crises successives. Autant politiquement que socialement nous sommes une société de crises. L’assertion n’est guère téméraire : c’est le constat de ce qu’est le climat sociopolitique dans notre pays depuis son accession à la souveraineté. La série des coups d’Etat débutée par le colonel Christophe Soglo, l’expérience inédite d’un régime de gouvernance à trois têtes baptisé Conseil présidentiel et brutalement stoppé en plein exercice par les forces armées; celle tumultueuse d’un régime parachuté d’ailleurs de toutes pièces et qui a échu dans la débâcle économique; l’agression extérieure, les grèves dures qui n’ont pas hésité à paralyser le pays pendant des mois ; celles à répétition des magistrats sensés garantir l’ordre pourtant et qui finissent par déranger ; la fronde des enseignants et le bras de fer qui s’en était suivi avec l’Etat; les résistances aux programmes de réformes ; les frictions entre le chef de l’Etat et les hommes d’affaires, la cabale autour du programme de vérification des importations et celle autour du projet de révision de la Constitution, les scandales financiers ;. La colère du Président de la République relayée à profusion par les médias ; les soupçons de tentative d’empoisonnement et ceux de coup d’Etat, la panique générée dans les rangs des maires et des hommes politiques à l’occasion de la décision de vérification de la gestion des Fonds FADEC qui n’est qu’illustration du défaut de contrôle de gestion en temps opportun, le poids des rumeurs couronnant le tout, se constituant en vérités de société donnant le change à la vérité tout court complètent le tableau d’une société où tout parait improvisation et occasion de conflit générant stress et peur. Le peuple entier a retenu son souffle et a croisé les doigts dans l’attente de la décision de la Chambre d’accusation de la Cour d’appel du tribunal de première instance de Cotonou, sur l’ordonnance de non-lieu du magistrat dans l’affaire concernant la tentative d’empoisonnement du Chef de l’Etat ; la décision est tombée dans un climat de grève des magistrats ; et la peur est toujours là . Nous sommes décidemment une société en tension continuelle et cette tension est d’autant plus inquiétante et stressante que le citoyen a la pleine conscience du défaut de dispositif légal pour y faire face.

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Le défaut d’une instance de prévision et de gestion des conflits

Il est heureux que ayons un ministère en charge de la prospective ; mais il sied de reconnaître que la logique perspective dans laquelle évolue ce département ne semble concerner que l’analyse et le développement économiques. Il est vrai qu’au niveau de la Primature des efforts sont faits et des séminaires organisés pour renforcer les capacités d’analyse de l’ensemble des agents responsables de la prospective dans les différents ministères sectoriels ; mais tout cela ne concourt qu’à la seule prévision en termes de développement économique et non point en ceux de préservation de la paix. Et nous savons bien qu’il n’est point de réel développement économique sans paix ni stabilité politique. Nous ne disposons pourtant d’aucune structure susceptible de prévenir les conflits par temps de paix ni de les gérer par temps de crises sociopolitiques spécifiques d’envergure nationale. L’on pourrait objecter cependant l’existence du Réseau ouest africain pour l’édification de la paix (WANEP-BENIN) ainsi que les compétences de la Cour suprême aux termes de l’article 131 de la Constitution. Mais il convient de reconnaître que la première instance, organe sous-régional décentralisé, joue plutôt un rôle de prévision de la paix en terme général mais non point spécifique en cas de crises aigüe ; tandis que la seconde ne s’intéresse qu’aux contentieux des élections communales.

Le défaut d’un organe de conciliation

De graves conflits ont pu ainsi secouer notre pays sans qu’aucune institution officielle n’ait pu s’entremettre pour ramener la paix ; et les cas se sont bousculés. Le plus grave d’entre eux, à notre sens, a été la crise politique qui a failli emporter l’unité de la Nation toute entière avec à la clé les vicissitudes de la LEPI et en filigrane l’élection présidentielle. Les protagonistes étaient livrés à eux-mêmes tout simplement sans aucun tampon et nous avions la nette impression d’aller à la dérive. Alors dans la panique, tout le monde s’y était mis à l’abracadabra et pêle-mêle. L’Eglise, bien que nous soyons un Etat laïc ; la communauté internationale bien que nous soyons un Etat souverain : une mission conjointe Nations-Unies-Union africaine-CEDEAO ; les anciens Chefs d’Etat Emile Derlin Zinsou et Nicéphore Dieudonné Soglo avec une série de réunions de concertation politiques ; les Sages et j’en omets certainement. Tout ce monde était au chevet de l’Etat parce qu’aucune institution officielle n’était prévue pour faire face à pareille situation ; véritable désordre diplomatique à l’interne, reflétant la panique réelle qui s’était emparée de la société entière.

L’impossible conciliation sans organe conciliateur

De tout ce désordre d’adultes en mal de solution devant une crise de telle importance et envergure, une voix s’était élevée : celle des enfants. Ces innocentes créatures étaient venues supplier messieurs les politiciens au sortir d’une messe célébrée en l’église Saint-Michel à leur intention pour que le Tout puissant les éclaire et leur fasse prendre toute la mesure de la gravité de la situation que traverse le pays. Et tout citoyen avec un brin de sensibilité accroché à son cœur n’a pu rester sans émotion devant ce spectacle d’enfants, adjurant des adultes de ne point s’entredéchirer au risque de les entrainer dans l’abîme. Nous voulons vivre leur avaient-il crié, déployant sur le parvis de l’église, la banderole qui portait leur complainte et leur innocente aspiration. Quel qu’ait été l’instance qui a organisé telle manifestation juvénile, ce fut, à mon sens, un coup de génie. Gageons que cet instant a tout de même pu ébranler plus d’un d’entre messieurs les politiciens qui défilaient tout penauds- le terme ne tient rien de la discourtoisie- devant ces enfants venus remettre leur vie entre leurs mains. Ces journées d’inquiétude généralisée où tout le monde se terrait, retenait son souffle et se refugiait dans la prière devraient rester présentes dan nos esprits : nous avions frisé le pire. La mémoire politique ne peut être courte parce qu’elle bâtit l’histoire de la Nation. En définitive, nous pouvons convenir que les facteurs qui ont le plus pesé dans la résolution de cette crise sociopolitique gravissime ont été la pression morale des enfants et celle de la rue sur les décideurs. Il y a là matière à un bon mémoire de sciences politiques et sociales.

Naguère nos hommes d’affaires ont été en délicatesse avec le Chef de l’Etat. Il sied de ne point occulter le fait que la situation n’a pu être dénouée que grâce à la médiation d’une personnalité du monde des affaires dépêchée depuis le Sénégal, si je ne m’abuse, venue prêter main forte à ses collègues béninois et conduire la mission de bons offices qui devait intervenir auprès du Chef de l’Etat…. Depuis le Sénégal, disons-nous bien, pour venir régler nos problèmes ! Nous avions trouvé la chose humiliante en son temps bien qu’elle ait été en définitive efficace de quelque manière. La médiation de la République ne pouvait jouer un rôle en pareille occurrence

Un Médiateur de la République aux attributs limités

Le Médiateur n’a pu faire grand-chose face à toutes ces situations. Cette haute personnalité aurait bien pu se faire entendre mais pour ce faire elle aurait e joué une partition qui n’était visiblement pas la sienne et qui aurait sonné faux alors. Il avait, à n’en pas douter, l’étoffe et l’expérience en similaire affaire qui convenaient pour calmer les esprits mais il lui manquait les attributs en la circonstance : en effet il n’a de compétence que d’ordre administratif. Sa mission consiste à recevoir les réclamations des administrés relatives au fonctionnement des administrations centrales de l’Etat, des collectivités décentralisées et des établissements publics. Il lui revient de les étudier et de les traiter afin d’y apporter des solutions équitables. Il a également pouvoir de suggérer au Chef de l’Etat des propositions tendant au fonctionnement normal et à l’efficience des services publics. A notre connaissance, c’est dans ce seul schéma que s’exerce juridiquement la médiation dans notre pays et le Médiateur ne peut aller au-delà dans ses présentes prérogatives. Vide d’organisme de conciliation alors en situation de crise sociopolitique ; aussi avions-nous déjà, prévoyant la survenance de tel événement, suggéré dans notre réflexion intitulée : ‘Emballement politique et embrouille dans la Cité ‘’ la création d’un collège de médiation républicaine et l’institution d’un Grand Médiateur de la République dont nous rappelons les termes de référence.

L’organe de médiation politique que nous suggérons

Le collège de médiation que nous suggérons sera présidé par le Médiateur de la République. Les membres de droit seront tous les anciens Présidents de la République, le Président de la Cour Suprême, le Président de l’Assemblée nationale, les Présidents des différentes commissions de ladite assemblée et les maires en fonction dans les cinq plus grandes communes du pays. Les autres membres pourraient être : un représentant de l’Eglise catholique, un représentant de la religion musulmane, un représentant des religions endogènes, un représentant des centrales syndicales et un représentant des Sages ; tous proposés par le Médiateur au Chef de l’Etat en raison de leur probité et nommés par décret présidentiel. Institution de l’Etat, le collège siégera sur convocation du Médiateur de la République ou sur requête de plus de la moitié des membres de droit.

Il sera alors conféré au Médiateur, le titre de Grand Médiateur de la République qui aura ainsi deux catégories d’attributions : l’une administrative et permanente telle qu’il l’exerce actuellement ; l’autre politique et ponctuelle en cas de tension extrême menaçant la paix ; que ladite tension soit de caractère politique, économique, financier ou social. Au reste, nous estimons que pour jouer efficacement son rôle, le Grand Médiateur de la République devra être un homme de rassemblement, une personnalité médiane sachant naviguer entre les institutions et les positions partisanes pour parvenir à la conciliation. Il devra inspirer impartialité, respectabilité et confiance au peuple entier.

Et pourquoi n’envisagerait-on pas d’inclure telle institution dans notre Constitution ; ne serait-elle pas autant organe stabilisateur de la paix que l’est en fait la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication qui y figure? Il est de notre conviction que le générique ‘’Nul n’est au-dessus de la loi devrait être tempéré comme suit : ‘’Nul n’est au-dessus de la loi mais la paix est au-dessus de la loi’’. Les jurisconsultes et les constitutionnalistes devraient en tenir grand compte dans le remodelage de notre Loi fondamentale car c’est une réalité sociopolitique que nous sommes fondamentalement et jusqu’alors une société de crises. Puisse notre proposition titiller l’entendement de nos hommes politiques ! Il en va de la stabilité politique, sociale et morale de notre pays.

Ambassadeur Candide Ahouansou
Président de l’ONG Groupe d’Action pour une Meilleure Qualité de Vie

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