Quand des étudiants se mêlent à la pègre locale

Et c’est ce que je fais à travers ces mots que je tiens à partager avec vous. C’est ce sentiment d’indignation qu’ont dû ressentir des milliers de téléspectateurs à la vue de ces jeunes gens présentés le soir du vendredi 21 juin, sur le petit écran d’une télévision de la place.

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Mêlés à la pègre locale, nos étudiants sont allés voler le coffre-fort rempli des millions de la sueur des Chinois installés dans la Cité des Kobourous à Parakou. On peut reprocher aux Chinois ce qu’on veut. Mais quand ils s’installent  sous vos fenêtres, pendant que nous, nationaux  ronflons à poings fermés, ils sont déjà debout à l’œuvre. Un peuple de bâtisseurs à qui leur leader bien aimé, Mao Tsé-toung, réussit à faire aimer le travail, le travail bien fait.

Ils sont à l’œuvre, sous le chaud soleil et la pluie, bâtissant routes, ponts, stades et tours ministérielles pour les Béninois, les Gabonais, les Congolais, les Angolais… Ils sont partout en Afrique.

Et voilà que des lascars profitent de leur repos bien mérité pour aller les déposséder de leurs biens chèrement acquis. Quelle honte! Quelle avanie! Le comble de cette éclaboussure, c’est que  des étudiants s’acoquinent à la pègre locale pour s’illustrer dans de si basses besognes, des futurs cadres de la Nation !

Je n’en crois pas mes oreilles et mes yeux. Heureusement que les forces de l’ordre, pour une fois, ont jugé de la gravité du  fait, et, en tant que présumés coupables, elles se sont gardées de les présenter le visage découvert. Cela aurait pu être tes fils ! Ou les miens ! Les vôtres !…

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Le ver est dans le fruit

Comment ont-ils pu atterrir dans ce guêpier? Comment les parents n’ont-ils pas vu venir cette catastrophe, pour vite canaliser ces élans destructeurs chez leurs progénitures? Appât du gain facile, étalage de choses matérielles qui dépassent leurs moyens ?  Le ver est dans le fruit. Les parents que nous sommes doivent s’interroger sur le pourquoi et le comment de cette affaire. Des étudiants participant activement à un hold-up? Eh oui, le mot est lâché. Etudiants braqueurs ! Voleurs ! Gangsters ! Leur projet de futurs cadres de la Nation est désormais derrière eux. Nous devons faire notre autocritique, nous adultes possédant quelque autorité, quelque parcelle de pouvoir dans ce pays. Quel modèle de société bâtissons-nous et présentons-nous  à notre jeunesse? «C’est à l’image du pays», a répondu un collègue, lorsque regroupés en salle de correction du BEPC, on s’interrogeait sur la raison pour laquelle des jeunes du quartier pouvaient faire disparaître huit motos lors de l’examen national du BTS.

– A l’image du pays ! Pareil propos  fait froid dans le dos.

Dans notre pays, seul l’argent est roi, et seuls les possédants ont droit de cité. Les relations familiales, amicales ou professionnelles sont rythmées par ce poison qu’on appelle l’argent. Si vous en avez, on le constate à travers trois choses visibles à l’œil nu : grosse caisse (bagnole), grosse maison et promotion professionnelle (peu importe les voies et moyens pour l’acquérir) pourvu qu’on appelle mon nom en Conseil des ministres; pourvu que je sois le bras droit du patron ou de la patronne, quitte à jouer le rôle de délateur hors classe dans le service… Le zèle mis dans la profession, fait défaut dès qu’il s’agit de la famille. Le père de famille n’étant jamais disponible (il court après l’argent et les promotions), les enfants livrés à eux-mêmes, et au meilleur des cas à l’autorité peu écoutée de leur mère, se retrouvent, un beau jour, embarqués dans des affaires sordides. A qui la faute ?

Quel modèle de société offrons-nous à notre jeunesse ? L’argent ! Encore l’argent ! Toujours l’argent ! L’argent a tout envahi. L’argent a mis à mal toutes les valeurs auxquelles nos parents étaient attachés et qu’ils nous ont léguées. Me vient toujours en esprit cette phrase fétiche de mon père pour un oui, ou un non: «Mon verre est petit, mais je bois dans mon verre». Lorsqu’on vous a seriné cette  sentence durant toute votre jeunesse, vous êtes formaté pour réfléchir et vous interroger avant de poser chaque acte important de votre vie. C’est votre repère. Et tous les hommes et femmes de ma génération ont eu ce type de repères, héritages de parents pour qui l’argent n’était qu’un moyen, un outil dont ils se servaient pour construire notre avenir.  Jamais on ne pouvait s’attendre à découvrir parmi nous des bandits, des voleurs de coffre -forts, des gaymans… Parce qu’on n’avait pas de gros besoins et on se contentait du peu que les parents nous offraient. Aujourd’hui le pays est gâté et l’argent  a pourri notre jeunesse. L’étudiant non boursier veut la dernière moto, le dernier PC. Et les portables, alors là !

Changer le modèle de gouvernance

Je reviens toujours sur cette rengaine, la parité. Nos gouvernants doivent aujourd’hui accepter que la gouvernance masculine a vécu et qu’il est temps d’expérimenter l’accès égalitaire hommes/femmes aux postes administratifs et aux postes électifs. Pour l’avènement d’une société dans laquelle nos enfants pourront  retrouver des repères  d’humanisme, d’amour, d’éthique, d’honnêteté et de dignité. La course à l’argent et au pouvoir, à laquelle se livrent les hommes, a détruit toutes les valeurs sociales qui cimentaient la société humaniste érigée par nos ancêtres. Comme le disait quelqu’un : «Nos parents s’aimaient beaucoup et s’entraidaient. Aujourd’hui c’est le chacun pour soi qui est la loi du plus grand nombre». Ca fait pitié, mais c’est la réalité.

Dans la nouvelle société, nous aurons beaucoup de femmes dans les Conseils communaux. Elles auront à cœur de recenser les problèmes de leurs sœurs (s’il s’agit bien d’une élection de proximité, qui d’autre que la femme peut mieux régler les problèmes des femmes ?), et les aider à les résoudre (autonomisation des femmes, éducation au leadership féminin, développement communautaire, santé familiale, modèles par l’exemple pour les jeunes générations etc.)

Voilà la société qui serait profitable  à tous : en particulier à notre Etat qui pourra posséder un plus grand nombre de ressources humaines formées et conscientes des responsabilités que la Nation leur a confiées. Moins encline aux détournements et à la corruption, la femme s’occupe mieux de sa tâche lorsqu’on lui  confie des responsabilités. Très peu parmi notre genre, ont fait de l’argent le but de leur existence. Si pareille gouvernance peut changer le visage de notre société, alors que nos gouvernants y réfléchissent sérieusement. Seule la volonté politique peut changer la donne. Pour qu’on arrête le désastre ; afin que nos enfants ne se transforment pas tous en gangsters parce qu’ils veulent avoir beaucoup d’argent, et frimer comme les enfants des riches qui sont les seuls modèles qu’on leur offre.

Aujourd’hui, il s’agit de deux étudiants enrôlés dans ce gang de voleurs de coffre-fort. On a épargné la honte à leurs familles en ne les présentant pas à visage découvert. A qui le tour demain ? Arrêtons le massacre. L’heure est grave. Nous sommes tous coupables.

Quand l’anormalité devient la norme

Toute mutation sociétale induit des bouleversements positifs et négatifs. Lorsque le négatif l’emporte, alors la société est malade et il faut rechercher des remèdes draconiens. Nous en sommes là. Sinon comment comprendre qu’un enseignant compose à la place d’un élève au BEPC ? On me répondra qu’en France, une mère a composé en anglais à la place de sa fille. A chaque peuple ses problèmes liés aux valeurs qui sont défendues. Lorsqu’on vote des lois qui enfreignent les lois de la nature, qu’on ne soit pas surpris que le ciel nous tombe sur la tête. Et que cela serve de leçons à nous Africains qui vivons toujours  en harmonie avec Dieu et tout ce qu’il a créé pour notre bien-être.

Aucune intention de m’ériger en donneuse de leçons ; mais à voir les comportements qu’adoptent certains hommes en politique, j’entends dire autour de moi : qu’en pensent leurs familles ? Ont-ils des enfants ? Sont-ils fiers de leur père ? A quel prix tant de gesticulations ? De marchandages ? De vomissures ravalées ? De salissures ? De chiures ? Ca gêne ! Ca gêne tellement que tout ceci bat en brèche des siècles de fondation d’une éducation africaine que nos parents nous ont inculquées et dont le ciment repose sur la dignité. Quel modèle de citoyens enseignons-nous aux enfants si nous-mêmes nous ne savons plus ce que nous sommes ; d’où nous venons et où nous allons. Tout ce qui est notre repère c’est l’argent. Pourvu qu’il tombe, même des mains du diable. En politique, c’est là que l’innommable s’accomplit. Et comment voulez-vous associer la femme à cette forme de gestion ? Dépositaire des valeurs éthiques de la société, la femme ne peut se permettre au nom d’une émancipation quelconque de mettre entre parenthèses ce qui fait son être intrinsèque.

Ne jamais travestir ses convictions

Telle est la position de cette grande dame, Simone VEIL qui refuse de faire la politique politicienne pour avoir un poste de décision dans son pays. Elle écrit en substance à la page 288 de son roman "Une vie" : «J’ai ainsi quitté l’UDF sans regrets. Je devrais plutôt savoir gré à François Bayrou de m’avoir pratiquement mise à la porte. Tout bien pesé, je n’étais pas faite pour de telles pratiques. Je manque de la souplesse nécessaire et, de surcroît, je suis incapable de travestir mes convictions. A partir de ce moment, je n’ai plus fréquenté aucune formation politique, UDF ou autre, et je ne m’en suis pas plus mal portée. Qu’aurais-je pu y apprendre, qu’aurais-je pu y faire ? Rien. Je n’ai jamais eu le désir de faire carrière et entends rester fidèle aux principes qui sont les miens. La politique me passionne, mais dès qu’elle devient politicienne, elle cesse de m’intéresser.» 

Ces propos m’ont tellement remuée que j’ai voulu les partager avec mes compatriotes. Quand on travestit ses convictions, on se renie. Quand on constate la ferveur populaire qu’il y a en ce moment autour de ce grand homme qu’est Mandela, on a souvenance que cet homme n’a jamais travesti, ni renié ses convictions. Jusqu’au dernier moment, il a refusé de sortir de prison, tant que F. De Klerk n’acceptait pas ses conditions à lui, à savoir la liberté et l’égalité pour son peuple. Voilà pourquoi, malgré le temps, le peuple sud-africain n’oublie pas le sacrifice de ce grand homme. C’est dire que tout passe ; seules les valeurs restent. Et si tout passe, seuls nos enfants resteront nos richesses demain. Alors, accordons-leur les soins qu’il faut pour en faire des citoyens dignes sur lesquels la Nation s’appuiera quand nous ne serons plus là. Que nous soyons fiers d’eux, autant qu’ils l’ont été de nous. Autant nous n’allons pas détourner le regard parce que les voisins nous montrent du doigt, les ayant découverts la veille dans le lot des cinq braqueurs que la police a arrêtés, autant nous n’allons pas permettre, par nos agissements, qu’ils soient la risée de leurs camarades en cours de récréation. Ça peut achever un enfant, l’indignité d’un parent…

Pour finir, je souhaite à nos enfants de bonnes vacances. Des jeux, beaucoup de jeux et de la lecture pour nourrir l’intellect, afin qu’il ne pourrisse point. Le livre est un monde ; les enseignants doivent recommander aux apprenants des livres d’une bonne qualité littéraire pendant les vacances. Pour affronter la nouvelle année scolaire. Bonnes vacances à nos chers enfants!

Fassinou Allagbada
Professeur de Lettres- Ecrivain

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