Régionalisme Nord-Sud et vrais régionalismes

(facteurs déterminants de la dynamique socio-politique du Bénin de 1951 à nos jours)  « Mon pays va mal» s’écria le colonel Lucien Glèlè. La même semaine, dans la Nouvelle Tribune du vendredi 19 juillet, l’archiprêtre Alphonse Quenum renchérit, cette fois en s’attaquant à un mal rampant dans notre pays,

Publicité

 l’opposition Nord-Sud que nous appelons improprement régionalisme. Les idées que nous allons développer ici s’inspirent largement de la conférence que le Professeur Dénis Amoussou-Yéyé a donnée le samedi 20 juillet, à l’occasion d’une rencontre organisée par la JCI Cotonou sur ce thème.  Il arrive souvent en sciences sociales ce paradoxe décrit par les Anglo-saxons sous le nom de self-made prophecy : «la prophétie qui se réalise d’elle-même», ou plus scientifiquement  nommée, la loi de la régularité : l’idée que nous nous faisons d’une réalité sociale, culturelle ou personnelle, finit par donner une existence caractéristique de cette réalité, selon l’idée même que nous nous en faisons. Il en est ainsi de ce pur cliché qu’est le «régionalisme» Nord-Sud, monté de toutes pièces en 1951 lorsqu’il s’était agi d’élire un deuxième député à l’Assemblée Nationale française, et qui est malheureusement devenu un leitmotiv récurrent dans notre actualité nationale.

Le dictionnaire Robert définit le régionalisme comme «mouvement ou doctrine affirmant l’existence d’entités régionales et revendiquant leur reconnaissance.» Quant à la région, elle est définie comme une étendue qui doit son unité  à des causes naturelles (climat, végétation, relief) ou humaines  (peuplement, économie, structures politiques ou administratives).  Si nous partons de ces définitions et des réalités historiques d’autres nations, nous pouvons affirmer qu’il ne peut  exister seulement deux régions dans un seul et même pays, le nôtre en l’occurrence, mais plusieurs régions. L’exemple que nous connaissons le plus est la France : elle a au moins une trentaine de régions à qui on a même conféré une certaine autonomie administrative (régionalisation). Pourquoi voudrions-nous que le Bénin soit le seul pays au monde à avoir deux régions, le Nord et le Sud, alors que, du point de vue géographique et anthropologique, il n’y a guère chez nous une région Nord géographiquement et culturellement homogène, en fait les 3/5 de la superficie du pays, face à un soi-disant Sud qui couvre à peine 1/5 du territoire national et qui s’arrête à 120 km de Cotonou ? Cette image d’Epinal trompeuse est en fait une fabrication récente qui, bien que ne reposant sur aucun fondement ethno-géographique, est en train de peser dans la conscience ethno-régionale au Bénin. Je suis d’une génération qui n’a pas connu le «régionalisme» Nord-Sud avec l’acuité insidieuse qu’il prend actuellement. Pourquoi ? A cause de ce brassage salutaire qu’offrait l’internat, surtout au Lycée Béhanzin. On voit que, comme tous les phénomènes d’exclusion, c’est la peur de l’autre qui façonne des réflexes défensifs. En vérité, l’autre qui vient de loin et qui nous étonne par ses manières, son accent, nous attire d’abord par ce côté exotique. Quand on dépasse l’attrait de l’exotisme pour laisser libre cours à des rancœurs, lors donc qu’on se sent frustré dans l’accès aux postes politico-administratifs, quand il y a lutte pour l’appropriation des richesses rares, l’autre devient le bouc émissaire, ici l’homme du Nord ou du Sud, qu’on suspecte de vouloir tout accaparer pour lui et ses congénères.   

En réalité, il y a plusieurs réalités régionales dans notre pays fondées sur de solides consciences et identités de groupe. Grosso modo, le géographe et le socio-anthropologue peuvent en distinguer d’abord 6 :

1) La région Atlantique-Zou (de Cotonou jusqu’au Plateau d’Abomey et d’Agonlin) peuplée de Fon et apparentés

Publicité

2) La région Ouémé-Plateau peuplé de Gouns et apparentés, mais aussi de Nagot et de Yorouba : «Ayogbémè» des Fons ;

3) La région des Collines, le «Tchaland» des Fons ;

4) La région de l’Atacora-Donga qui, pour les Fons, n’est peuplée que de Somba et de «Gambari»;

5) Le Mono-Couffo, «adjagbémè» des Fons

6) Le Borgou-Alibori, peuplée de «tomènou et de kakaï» (mais ces termes à l’origine n’avaient rien de péjoratif)

Quand les Fons établissent des barrières historiques et géographiques avec leurs voisins, ils parlent d’ayonou-anagonou, d’adjanou, de tchanou, peuples ressortissant de territoires qui sont frontaliers au Danhomê précolonial. Tous ces vocables, comme tomènou, kaïkaï aussi, n’avaient au départ rien de péjoratif avant la colonisation : leur coloration régionaliste (c’est le cas de le dire) est d’origine récente et n’est cimentée que par les luttes pour la conquête du pouvoir d’Etat, que se sont livrées les élites nationales depuis l’éclatement de l’union Progressiste Dahoméenne en 1951.

A tout seigneur tout honneur, ce fut Hubert Koutoukou Maga qui, en créant son fameux Groupement Ethnique du Nord (GEN), est le créateur indiscutable du  «régionalisme» Nord-Sud ; ceci dans la logique coloniale de «diviser pour régner», car l’ambitieux instituteur très populaire à Natitingou, après avoir lutté en vain au sein de l’UPD pour être positionné comme le second candidat sur la liste UPD pour les élections à l’Assemblée Nationale française de 1951, fut encouragé par le

Commandant de cercle Peperti à opter pour la logique tribaliste. D’où son idée de créer le GEN : un contresens rédhibitoire parce qu’il n’y a guère d’homogénéité ethnique au Nord. Hubert Maga était en réalité le héraut d’un régionalisme du Borgou-Alibori, surtout dans sa composante ethnique baatonou, mais en fin stratège politique, il a voulu gagner en trouvant des arguments tribalistes faciles, pour fédérer la prétendue ethnie du Nord ! Cette démarche stratégique était d’ailleurs la même pour presque tous les hommes politiques des autres régions naturelles. Régionaliste Hubert Maga ? Voyons donc !

Comme toutes les élites sorties de l’Ecole Primaire Supérieure Victor Ballot, Hubert Maga a vécu toute sa jeunesse à Porto-Novo et à Cotonou. Il parlait couramment le fon ; mieux, il a épousé Marie do Régo, une fille d’une des plus célèbres familles afro-brésiliennes du Sud-Bénin.

Il n’a pas créé le Groupement Régional du Nord, ce qui serait beaucoup plus compréhensible, bien que là encore cela n’avait aucun sens, mais cet «attrape-nigaud» inepte qu’était le GEN : un moyen rapide et commode de rassemblement des populations du Septentrion sous l’hégémonie du Borgou-Alibori, et  qui lui a permis de se faire élire depuis lors deuxième député à l’Assemblée nationale française. D’ailleurs, cette mayonnaise «régionaliste » n’avait pas vraiment pris tout de suite : aux élections générales de 1957, les élus Indépendants du Nord, surtout de la région Atacora-donga et de l’extrême nord peuplé de Dendis, étaient plus nombreux que ceux du GEN. Ils vont d’ailleurs le laisser dans l’opposition avec Justin Tomètin-Ahomadégbé au sein du Front d’Action Démocratique (FAD) et Toko, Darboux et Bio-Tchané iront rejoindre comme ministres le Conseil de gouvernement de Sourou Migan-Apithy !  Seul le mode de scrutin (liste majoritaire à un tour dans chaque circonscription façonnée à dessein pour accentuer les particularismes régionaux, surtout entre les régions du Nord et celles du Sud) avait imposé la nécessité d’un regroupement des hommes politiques dans les deux circonscriptions du Septentrion (Nord-Est et Nord-Ouest), dans le Sud-Est, le Sud-Ouest, puis le Centre. D’où la naissance au Nord du MDD puis du RDD.

Beaucoup d’hommes politiques, à Djougou, Kandi, Parakou, s’alliaient plutôt avec des leaders du Sud, notamment Ahomadégbé dont l’UDD était un vrai parti national ; cela malgré la naissance en 1957 du MDD (Mouvement Démocratique Dahoméen) qui se transformera en 1958  en RDD (Rassemblement Démocratique Dahoméen).

Il y a chez nous désormais, il faut le reconnaître, un irrédentisme Nord-Sud beaucoup plus grave d’ailleurs que de simples expressions du régionalisme ; d’où le cri d’alarme de beaucoup de compatriotes. En effet, l’opposition frontale Nord-Sud est beaucoup plus dangereuse que de simples manifestations de conscience régionale : les régions existent au Nord et au Sud du Mali, au Nord et au Sud de la Côte-d’Ivoire, du Tchad ; mais ce sont toutes les régions, respectivement du Nord et du Sud, qui dans ses pays se sont mises à s’affronter.  D’où ce danger chez nous au Bénin : alors que nous n’avons même pas mis clairement en évidence nos régions au Nord et au Sud de notre pays, nous renforçons inutilement une dangereuse escalade Nord-Sud. Le «régionalisme» Nord-Sud est devenu un fonds de commerce, une voie de chantage de cadres soi-disant du Nord, mais qui n’ont en réalité rien de commun en tant que «nordistes», sauf d’être un groupe minoritaire au Sud ; d’où ce lobbying choquant pour les cadres du Sud ! Les socio-anthropologues béninois, du moins les plus sérieux, reconnaissent donc que le fameux «régionalisme» Nord-Sud n’est en fait qu’un leurre idéologique pour masquer un vrai régionalisme celui-là : celui du Borgou-Alibori, à dominance ethnique baatonou et qui affiche une prétention hégémonique rémanente à parler au nom d’un Nord mythique, quoique toutes les régions du Nord, les vraies, soient loin d’avoir les mêmes préoccupations et les mêmes attitudes par rapport à leurs congénères du Sud ! Aussi le Groupement Ethnique du Nord de Hubert Maga n’était-il en fait que l’expression du régionalisme du Borgou-Alibori à dominance ethnique baatonou, dans lequel les Dendi et autres peuples, surtout de l’Atacora-Donga, ont toujours eu du mal à se reconnaître.

A suivre…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité