Une révision impossible

Il y a beaucoup de calembours inventés par les Fon pour «blaguer» leurs cousins goun. Je les apprécie beaucoup, surtout celui-ci : un Porto-novien se croyant plus malin aurait dit ceci : «On a donné le diamètre et on demande de calculer la surface. Pense-t-on donc qu’un Aïnonvi est con? J’ai écrit : problème impossible!»

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1-Voie parlementaire ou référendaire?

Le projet actuel de révision de notre Loi fondamentale adressé à l’Assemblée Nationale suscite beaucoup de remous. La question qu’on se peut poser est de savoir si ce projet de révision peut aboutir. Rien n’est moins sûr. Voyons donc ! On répète à souhait que la France a déjà modifié 24 fois la Constitution de la 5ème République ; comme toujours, nous copions à l’envers. En effet, sauf en 1962 pour l’élection du Président de la République au suffrage universel et en 1970 au sujet de la transformation de la CEE qui de 6 est passée à 9 avec des pouvoirs supranationaux, rendant en France obligatoire une modification de la Constitution, toutes les autres fois, la modification de la Constitution de 1958 s’est faite par voie parlementaire par les deux chambres (l’Assemblée Nationale et le Sénat) réunies en congrès à Versailles. La tradition est demeurée : en cas de rejet par ledit Congrès, les initiateurs du projet de révision en question sursoient à leur initiative. Ce fut le cas de Georges Pompidou qui, ayant échoué à ramener par cette voie le mandat du Président de la république à 5ans, s’était tenu coi et a rembarré son projet. Notre article 155 n’est que la paraphrase de l’article 89 de la Constitution française de 1958: «L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la république sur proposition du Premier Ministre et aux membres du Parlement.

Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvé par référendum. Toutefois, le projet de révision n’est pas soumis au référendum lorsque le Président de la république décide de la soumettre au Parlement convoqué en congrès. Dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes  des suffrages exprimés ….»

Il y a chez nous de graves non-dits qui augmentent la suspicion de la majorité des Béninois. Si le projet de l’Exécutif n’a pas recueilli les 4/5 des députés (article 155 de la Constitution), c'est-à-dire 67 députés, mais a quand même recueilli l’accord des ¾ (soit 63) nécessaires pour soumettre le projet au référendum, que fera le Chef de l’Etat ? Nous ne pensons pas que pour des broutilles comme la Cour des Comptes, la constitutionnalisation de la CENA, du Médiateur et de la LEPI, on serait prêt à mobiliser maintenant cette artillerie lourde coûteuse qu’est l’organisation d’un referendum dans un PPTE comme le nôtre, soumis actuellement à tous les affres dont ces «délestages» qui n’en finissent pas ! A supposer que le projet de loi constitutionnelle modificative de la Loi N° 90-32 du 11 décembre 1990 soit adopté par le quorum des 67 députés requis, quelle sera l’attitude de la Cour Constitutionnelle appelée à se prononcer sur la conformité ou non à notre bloc de constitutionnalité de la nouvelle loi votée? Elle peut ou même doit la juger non-conforme à la Constitution pour défaut de consensus national.

2-Un consensus national impossible à trouver sans Conférence nationale Constitutionnelle

Le Président de la République à ce qu’il parait, propose un recours obligatoire au référendum; ce qui nous semble à nous autres profanes, non professeurs agrégés de droit public, anticonstitutionnel parce que l’article 155 édicte précisément : «La révision n’est acquise qu’après avoir été approuvée par référendum, sauf si le projet ou la proposition en cause a été approuvé à la majorité des quatre cinquièmes des membres composant l’Assemblée nationale.» Ce sauf est exclusif et interdit toutes autres astuces juridiques pour soumettre ledit projet dûment approuvé aux 4/5 des membres de l’Assemblée Nationale au référendum. A ce sujet, je suis totalement contre l’avis formulé par le Professeur Ibrahim SALAMI dans La Nouvelle Tribune du mardi 02 juillet 2013. La question est la suivante et elle n’est pas du tout innocente : est-ce que la Cour Constitutionnelle peut-elle encore, en l’occurrence, exciper de la non-existence du consensus national lorsque c’est tout le peuple souverain qui s’est librement prononcé par référendum ? En rendant les résultats au Chef de l’Etat courant mars-avril 2012, la Commission Gnonlonfoun a recommandé que la révision constitutionnelle en question soit faite suite à une large consultation nationale. C’est déjà fait, semble insinuer un communiqué du Gouvernement largement diffusé sur les ondes ! Mais, dans le décret de transmission à l’Assemblée Nationale du nouveau projet de loi, le Chef de l’Etat affirme pour sa part : «Le Gouvernement a fait l’option de n’intégrer les différentes modifications retenues au texte initial de décembre 1990, suite à son vote par l’Assemblée Nationale, qu’après approbation de la population par voie référendaire, qui devra faire l’objet d’une large consultation nationale. Cette consultation devra s’adresser aux institutions de la république, à l’administration publique, aux communes, à la classe politique, aux organisations de la société civile, aux confessions religieuses, aux femmes, aux jeunes, aux étudiants, aux enseignants, aux ouvriers, et à toutes autres composantes de la société béninoise ». Mais, c’est là ce que souhaite tout le monde….mais avant la rédaction du projet de révision final qui serait alors le fuit d’un large consensus! Cela n’a aucun sens que cette «consultation nationale» intervienne après l’amendement et l’adoption du projet de loi par le Parlement. Autrement, la Haute Juridiction en matière constitutionnelle n’aura d’autre alternative que de «casser» la Loi constitutionnelle modificative, même  après référendum, pour non recours au Consensus national à l’amont du processus! Toutes autres gesticulations sophistes ne pourraient alors qu’être interprétées comme un «forcing», une litote pour ne pas dire un coup d’Etat; même si la Cour Constitutionnelle de céans change de jurisprudence, et confirme que sa décision DCC 06-074 du 08 juillet 2006 a été respectée ! A ce propos, le Professeur Moïse Lalèyè recommande carrément à la CC la levée de cette contrainte.

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Gare au syndrome égyptien ; car un coup de force risque d’entrainer de graves troubles sociaux. La sociologie politique contemporaine reconnaît que la légalité seule ne suffit pas toujours pour garantir la pertinence d’une décision ou d’une situation institutionnelle s’il ne s’y ajoute pas la légitimité. C’était le cas de notre Conférence Nationale où la légalité constitutionnelle du régime du PRPB ne suffisait plus devant la légitimité de la Conférence Nationale des Forces Vives qui s’était proclamée souveraine, exactement comme en France où les Etats-Généraux s’étaient proclamés Assemblée Nationale puis en Constituante en 1789! Nos constitutionnalistes, agrégés en droit public, doivent faire très attention lorsqu’ils conseillent le Prince. Comment ? Que suis-je en train de lire? Je me targue d’être un «social scientist» en sociologie politique ; aussi je ne partage pas du tout et je trouve même dangereux cet avis de mon collègue le Professeur Ibrahim SALAMI : «La voie parlementaire, c’est la voie exceptionnelle (Non ! C’est la voie habituelle en France, ajouté par moi); la voie populaire, c’est la voie royale, puisse qu’on fait appel au peuple lui-même qui est souverain. Si les hommes politiques choisissent d’aller au référendum, malgré l’approbation à une majorité très forte, qui dépasse celle qui est exigée, c’est un choix politique. C’est un choix politique qui vise à montrer qu’on veut redonner la parole au peuple, ce qui donne plus de légitimité à la révision de la constitution. C’est un choix politique qui n’est pas un choix strictement juridique, mais on ne peut en vouloir aux hommes politiques de vouloir redonner la parole au peuple qui est le détenteur de la souveraineté nationale». Gare au populisme, feuille de vigne du despotisme négro-africain ! La parole au peuple d’accord, mais suivant des procédures juridico-institutionnelles que le même peuple souverain s’était librement données dans sa Loi fondamentale.

Nous sommes dans une démocratie représentative et non dans une démocratie populaire. Au Bénin, nous sommes de même dans un Etat de droit où le peuple béninois a exprimé sa souveraineté à travers des institutions publiques rigoureusement codifiées, et qu’on ne saurait « enjamber » sous le fallacieux prétexte que « l’expression populaire » serait au-dessus de tout. Violer impudemment la Loi fondamentale et après s’en référer au peuple pour avoir son aval, voilà une tentative récurrente dans les nouvelles démocraties africaines. Le cas le plus aberrant nous avait été donné par l’ancien Président de la République du Niger Mamadou Tandja. Attention, mes amis ! Nous voyons donc que les Béninois ont raison d’être méfiants et vigilants : « que Dieu nous sauve des casuistiques alambiquées de nos sommités universitaires en droit public » ! Dans tous les cas, l’actuel projet de la révision de notre Constitution est non-avenu et non pertinent !

3-la Cour Constitutionnelle à un carrefour décisif

Parmi toutes ses décisions surprenantes, la Cour Constitutionnelle a pris une célèbre décision que j’étais parmi les rares citoyens béninois à critiquer en son temps dans un pays gagné par la « yayimania ». Les députés de la législature en cours en 2006, s’appuyant dûment sur les articles 154 et surtout 155 de la Constitution, avaient élaboré une proposition de la révision de la Constitution qui a été « approuvée à la majorité des quatre cinquièmes des membres de l’Assemblée Nationale ». Or, se prononçant sur la constitutionnalité de cette Loi constitutionnelle n° 2006-13 du 13 juin 2006 portant révision de l’article 80 de la Constitution du 11 décembre 1990 lié à la durée du mandat des députés, la Haute Juridiction a sorti la décision DCC-06-074 du 08 juillet 2006 qui a cassé pour inconstitutionnalité ladite Loi constitutionnelle votée par l’Assemblée Nationale. Or, cette loi pour moi était juridiquement inattaquable, parce que on ne plus conforme à la Constitution du 11 décembre 1990, la nôtre. On lit en l’occurrence ceci dans sa décision : « Considérant que ce mandat de quatre (4) ans, qui est une situation constitutionnellement établie ( ?), est le résultat du consensus national dégagé par la Conférence des Forces Vives  de février 1990 et consacré par la Constitution en son Préambule qui réaffirme l’opposition fondamentale du peuple béninois à…la confiscation du pouvoir ;… » A partir de cette célèbre décision, toutes les portes sont ouvertes aux abus, parce que la Cour Constitutionnelle suivante n’a pas manqué d’exciper de ce prétendu consensus dégagé à la Conférence des Forces Vives de la Nation, pour indiquer des articles de la Constitution qu’on ne saurait réviser…parce qu’issus du « consensus dégagé à la Conférence nationale » ! Certes, cette révision constitutionnelle de 2006 posait de sérieux problèmes (i) d’éthique politique (elle était politiquement incorrecte après le raz-de-marée (75% des électeurs) qui porta Boni YAYI au pouvoir, (ii) de philosophie morale et politique, et (iii) risquait d’avoir de sérieuses conséquences socio-politiques en ce qu’elle s’analysait comme une manœuvre consistant à priver les nouveaux soutiens du Président de la République élu, de leur volonté légitime de prendre d’assaut l’Assemblée nationale. Mais faire désormais du « consensus un principe à valeur constitutionnelle », c’est ouvrir la boîte de Pandore dans laquelle vont s’engouffrer tous les opportunistes ; c’est donner du grain à moudre à tous les opposants, réels ou cachés, du régime YAYI. Ce jargon de nos 7 sages est désormais une arme à double tranchant qui sera toujours brandie par toutes sortes de poujadistes pour dénier au président de la République le droit constitutionnel de prendre l’initiative de procéder à une quelconque révision de notre Loi fondamentale. Désormais, il ne peut le faire sans un large consensus du peuple, seul détenteur de la souveraineté nationale. Comment l’obtenir alors? Les propositions abondent dans ce sens dont celles de l’UN et du WANEP. Je propose quant à moi à la fin une Conférence Nationale Constitutionnelle presque dans les mêmes conditions d’organisation que la Conférence Nationale ! Procéder autrement, c’est-à-dire limiter les prérogatives de l’initiative de la révision seulement au Gouvernement et au Parlement, c’est clairement violer l’esprit de la Décision DCC-06-074 du 08 juillet 2006. Aussi est-ce pour les vrais patriotes dont je me targue d’être, la seule manière de sortir de l’impasse. C’est d’ailleurs la position de plusieurs partis et de plusieurs personnalités membres de la Mouvance Présidentielle.

4-Nécessité d’un débat rationnel et intelligent

Il est plus qu’urgent que nos décideurs et nos hommes politiques aient un langage intelligible. A ce sujet, j’admire particulièrement le Président Ousmane BATOKO qui de ma mémoire de Béninois, n’a jamais « bégayé » dans l’expression de ses avis. J’ai adoré sa réponse à une question d’un journaliste de la radio BBC Afrique :

Question : Ce qui signifie en clair que vous êtes opposé à toute modification de la constitution béninoise qui refuse au Président Boni Yayi, s’il voulait se représenter, de le faire ?

Réponse : Je ne suis pas opposé à toute modification de la Constitution. Je dis que j’ai été de ceux qui ont fait les premières propositions de modification, mais des modifications qui ne portent atteinte à aucun des éléments fondamentaux de ladite Constitution. J’ajoute que si la modification de la Constitution doit conduire à des perturbations à l’intérieur du pays, je suis de ceux qui estiment qu’il y a plus important à faire en ce moment pour le pays, plutôt que de s’engager dans un processus de modification de la constitution.. »

Langage clair d’un homme d’Etat responsable qui ne craint pas les foudres du « Père fouettard » ou de ses amis de la « mouvance ». Et puis, ce juriste de haut niveau, deuxième vice-président du Conseil Supérieur de la Magistrature, a parlé, le premier je crois, des fondamentaux de notre Constitution, et non « des options fondamentales arrêtées à la Conférence Nationale des Forces Vives », expression qui est une véritable ânerie qui n’honore pas ceux qui l’utilisent ! Il s’agit bien des fondamentaux de notre Constitution, et ces fondamentaux qui ne sauraient faire l’objet de révision, ne peuvent s’apprécier que lors de larges concertations au niveau.. des Forces vives de la Nation.

Le Président Bruno AMOUSSOU, fin renard, ne peut que dire la même chose ; comme l’Union fait la Nation dont il est le président. Parce que les articles qui nécessitent une modification de notre Loi fondamentale ne s’apprécient pas de la même manière. Pour beaucoup d’acteurs politiques en effet, l’urgence de la modification de certains articles de notre Constitution se concentre d’abord sur des précisions nécessaires à apporter aux prérogatives de la Cour Constitutionnelle. Le Président Nicéphore SOGLO l’avait d’ailleurs rappelé à deux membres alors nouvellement élus à la Cour Constitutionnelle, 4ème mandature, qui opposants auparavant, le reconnaissaient. Il s’agit de son rôle de régulateur du bon fonctionnement des institutions et de son rôle dans l’organisation des élections présidentielles : c’est hors de tout bon sens qu’elle participe directement à l’organisation du scrutin, tout en ayant le pouvoir d’être à la fin juge du contentieux électoral.

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