La révision de la Constitution et l’exigence de la liberté et d’une Justice libre

«Nous sommes dans un Etat de droit», «le Bénin est un Etat de droit» entend-on dire par ci, par là, surtout ces derniers temps. Combien de fois n’avons-nous pas entendu cette assertion dans la bouche de maintes de nos compatriotes. Mais qu’est ce qu’un Etat de droit? Sans vouloir se servir de cette tribune pour revenir sur les fondamentaux de l’Etat de droit, nous pouvons avancer que l’»Etat de droit» ne saurait s’entendre sans l’indépendance de l’institution judiciaire qui est une Institution de contre pouvoir. Seulement par rapport à quoi et à qui?

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Il est à noter que dans la charpente institutionnelle des démocraties, toutes les Institutions sont pensées et créées pour servir de contrepoids à d’éventuelles dérives du pouvoir exécutif. La première de ces institutions est l’Assemblée Nationale. Mais, compte tenu de l’essence même du système démocratique, il est assez courant de voir l’instance législative dominée par les partisans du Chef de l’Exécutif. Il peut également en être ainsi d’autres Institutions de contrepouvoir. Il appartient alors, aux hommes et aux femmes de ces Institutions, tout partisan du chef de l’exécutif qu’ils sont, de savoir jouer leur partition en maintenant à l’esprit les intérêts du pays.

Concernant spécifiquement le cas du pouvoir judiciaire, il ne saurait être un champ partisan, car il s’agit là de décider de la liberté et des droits des citoyens. C’est d’ailleurs pour cela que la loi préserve les juges contre les immixtions de l’exécutif avec l’instauration du principe de l’»inamovibilité» qui défend à l’exécutif de déplacer un magistrat du siège de son poste sans le consentement de ce dernier. L’inamovibilité est l’un des mécanismes rempart contre l’arbitraire du pouvoir exécutif.

Ainsi, l’indépendance de la Justice ne peut donc se concevoir sans ce principe d’inamovibilité. Corollaire de l’Etat de droit, l’indépendance de la Justice trouve son fondement, entre autres, dans ce principe d’inamovibilité. D’où la trilogie : Etat de droit – Indépendance de la Justice – Inamovibilité, qui fonde toute démocratie digne de ce nom.

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Si la Constitution du 11 décembre 1990 a respecté cette trilogie, nous allons, à l’analyse, déterminer ce qu’il en est du projet de révision introduit à l’analyse par le Président de la République, chef de l’Exécutif.

De la Révision de la constitution et des décisions de justice

L’article 117 de la Constitution du 11 décembre 1990, en son alinéa 3 dispose: «la Cour Constitutionnelle statue obligatoirement sur… la Constitutionnalité des lois et des actes réglementaires censés portés atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et, en général, sur la violation des droits de la personne.»

Dans le texte du nouveau projet de Constitution envoyé à l’Assemblée Nationale, l’article 117 alinéa 3 stipule: «la Cour Constitutionnelle statue obligatoirement sur… la Constitutionnalité des lois et des actes réglementaires et des décisions de justice censés portés atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et, en général, sur la violation des droits de la personne.» Ainsi, toutes les décisions de Justice devront recevoir, avant application, l’accord de la Cour Constitutionnelle.

Cette disposition n’est pas seulement périlleuse, mais contradictoire, au vu de l’article 132 alinéa 3 du même projet de Constitution qui dispose : «Les décisions de la Cour Suprême ne sont susceptibles d’aucun recours». Ainsi, la même décision de Justice, de la Cour Suprême, pourrait être déférée devant la Cour Constitutionnelle, alors qu’elle n’est pas susceptible de recours. Par ailleurs, cette contradiction est renforcée dans le projet de révision, en son article 125 alinéa 1 qui stipule: «Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée, ni mise en application, de même qu’un acte ou une décision de Justice déclarée inconstitutionnelle pour violation des Droits de l’Homme, ne peut être mis en exécution…».

A l’analyse, et au vu du contexte sociopolitique qui prévaut, nous sommes presque tentés de prêter aux initiateurs d’un tel projet, l’intention de vouloir contrôler le pouvoir judiciaire, qui demeure à ce jour la seule instance qui ait échappé à leur hégémonie.

Ce projet représente un réel danger pour notre jeune démocratie, en ce sens que toutes les décisions de Justice qui n’agréeraient pas l’Exécutif, devront désormais passer devant la Cour Constitutionnelle; Instance dont on sait les membres «aux ordres» du chef de l’exécutif. Adieu donc à l’Etat de droit!

Les juges auront beau prendre des décisions justes, l’exécutif en ferait ce qu’il voudrait!

Si cette Constitution avait cours actuellement, les non-lieux du juge de 1ère Instance Angelo Houssou, et des juges de la Chambre d’accusation, dans les affaires de tentatives d’empoisonnement et de coup d’état, n’auraient servi à rien. Ayant le contrôle de la Cour Constitutionnelle, l’Exécutif devient alors le seul juge «judiciaire» du Bénin. Tous ceux qu’il ne revendiquera pas «Siens» – opposants; gens d’ailleurs – feraient alors mieux de prendre la route de l’exil, avant d’avoir affaire à la Justice de leur pays.

D’ailleurs, ce scénario catastrophe avait déjà été expérimenté par Me Robert Dossou dans une affaire de litige domanial. En effet, l’un des protagonistes de cette affaire, client du cabinet de Me Robert Dossou, devenu entre temps Président de la Cour Constitutionnelle, ayant perdu au niveau de toutes les instances judiciaires, saisit alors la Cour Constitutionnelle après la décision de la Cour Suprême. Cette Cour, présidée par Me Robert Dossou, prit alors la décision inédite de déclarer la décision de la Cour Suprême contraire à la Constitution.

De la révision de la Constitution et de l’indépendance de la Justice

Nous avions relevé, plus haut, que l’indépendance de la Justice est directement liée au principe de l’inamovibilité du juge du siège.

Ainsi, la loi portant organisation judiciaire en République du Dahomey, du  20 avril 1965, dispose : «les magistrats du siège sont inamovibles. Ils ne peuvent en conséquence recevoir, sans leur consentement, une affectation, même en avancement.» Pour renforcer cette disposition, la Constitution de Décembre 1990 stipule en son article 126 que: « la justice est rendue au nom du peuple béninois. Les juges ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la Loi. Les magistrats du siège sont inamovibles.» Il s’avère donc que la quête d’une Justice juste et libre, a toujours été l’une des préoccupations majeures des Dahoméens, devenus, par la volonté du PRPB (Parti de la Révolution Populaire du Bénin), des Béninois. Il est à relever que le terme «Justice» fait partie de la devise de notre pays «Fraternité, Justice, Travail».

Si la Constitution du 11 décembre 1990 a préservé ce principe fondamental pour l’indépendance de la Justice, il n’en est pas de même pour le dernier projet de révision introduit à l’Assemblée Nationale.

Le nouveau projet de révision de la Constitution omet ce souci séculaire de notre histoire politique et judiciaire. Dans l’article 127, alinéa 2, il est dit que: «…les magistrats sont inamovibles, sauf insuffisance, faute professionnelle ou atteinte à la crédibilité de la Justice».

La préoccupation qui découle de cet état de choses, a trait principalement aux autres conditions qui ont été rajoutées au principe de l’inamovibilité du juge du siège. En effet, qui définira l’insuffisance? La faute professionnelle? L’atteinte à la crédibilité de la Justice? Si ce n’est le Chef de l’exécutif lui-même, ou son ministre de la Justice.

On est presque amené à penser qu’il pourrait y avoir une intention de saisir la Cour Constitutionnelle, pour punir les «juges» récalcitrants, car la faute professionnelle, l’atteinte à la crédibilité de la Justice et l’insuffisance, sont des fautes déontologiques qui sont sanctionnées dans les dispositions de l’article 58 de la Loi portant Statut de la Magistrature (Loi 2001-35 du 21 février 2003).

On est en droit de soupçonner Notre Cher Président, que l’on sait très peu enclin à s’accommoder de longues discussions théoriques du Conseil de la Magistrature, instance qui statue sur les fautes déontologiques, de vouloir disposer du couperet de la Cour Constitutionnelle pour raccourcir d’éventuels débats. Pour rappel, la majorité des membres du Conseil de la Magistrature sont encore des juges, lesquels juges ne sont que trop mal perçus par le Docteur Yayi Boni.

Au regard de tout ce qui précède, je voudrais interpeller ici tout le corps de la magistrature – je me doute bien qu’ils ne le savent déjà trop, mais ne dit-on pas que la répétition est pédagogique – tous les autres acteurs du système judiciaire (avocats et auxiliaires de justice), tous les démocrates patriotes, tous les professeurs de Droit et leurs étudiants, tous les anciens Présidents de la République et de l’Assemblée Nationale, tous les hommes politiques à la retraite et ceux encore en activité, tout le Peuple Béninois, sur le fait qu’une grande tradition de l’histoire de notre système judiciaire et politique, disparaitra avec l’adoption de ce projet de Constitution envoyé par le Président de la République à l’Assemblée Nationale : l’exigence de la liberté et d’une Justice libre.

Levons-nous pour sauvegarder la liberté de notre Justice!

Levons-nous comme un seul Homme pour dire non à l’arbitraire!

Sacca Fikara
Administrateur de société,
Député

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