Réckya Madougou, l’avocate d’une initiative mal engagée

Sa position était beaucoup attendue. Elle est désormais connue. Sur une émission Zone Franche (Canal 3-Bénin) spéciale, tenue dans la soirée de ce dimanche 04 août, la ministre Réckya Madougou a donné sa position sur la question de la révision de la Constitution. 

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Son «oui» à la révision est désormais plus qu’une évidence. Mais, elle n’a pas pu ôter à l’initiative ses lacunes.

« Madame la communicatrice fait son retour.» Ainsi, s’est exclamé un confrère et collègue à la fin de l’entretien télévisé de la ministre Garde des Sceaux et porte-parole du Gouvernement, Réckya Madougou, dans la soirée du dimanche 04 août dernier. Revenue de son congé de maternité, Réckya Madougou Yèdo était en fait sur le plateau de la chaîne de télévision privée Canal 3-Bénin, pour se prononcer sur le grand sujet du moment : la révision de la Constitution. Annoncée déjà dans l’édition du journal parlé de 19h 30, l’émission était très attendue. Et ce pour deux raisons : l’invité et le sujet.

Et comme l’on ne pouvait que s’y attendre, «madame touche pas ma Constitution» des années 2004 et 2005, est devenue «madame touche à ma Constitution.» En Porte-parole du Gouvernement, elle s’est évertuée, pendant  le long de l’entretien, à démontrer que le projet de révision de la Constitution n’est pas «opportuniste».  Seulement, les arguments avancés pour justifier la nécessité et l’opportunité, ne sont pas différents du refrain que  chante les ‘’révisionnistes’’, depuis le début de cette offensive du Gouvernement pour la révision. La nouveauté avec la Porte-parole du gouvernement, est qu’elle y a mis l’éloquence et le charme qu’on lui connait.

Pour qui a suivi cet entretien, Réckya a simplement donné l’impression de maitriser son sujet. Cerise sur le gâteau : son «ah c’est déjà fini», quand l’un des modérateurs a annoncé la fin de l’entretien. Et pourtant, une interrogation demeure : Réckya Madougou Yèdo a-t-elle convaincu ? Question ! En réalité, Réckya Madougou a survolé l’entretien d’hier, mais elle est passée à côté du sujet. Et ce pour ce qui est du fond.

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Pas opportuniste, mais inopportune

Réckya Madougou s’est évertuée à démontrer que le projet de révision de la Constitution, initié par le Président Boni Yayi, ne revêt aucun caractère opportuniste.  Elle a martelé qu’on  ne saurait  relever, dans le projet de révision, des points qui justifient une volonté de s’éterniser au pouvoir. Mieux, elle ira sur le terrain de la bonne foi du Président Boni Yayi, pour rappeler que celui-ci a ressassé, devant diverses personnalités de haut niveau, son engagement à ne pas réviser pour rester au pouvoir au-delà de 2016.  Et pourtant. Même s’il y a des raisons à croire que cette révision n’est pas opportuniste, il faut reconnaître qu’elle n’est, en tout cas, pas opportune.

Cette réforme politique majeure intervient à un moment où il y a crise de confiance entre le Président de la République et la classe politique de l’opposition, parlementaire comme extra-parlementaire. Plus encore, elle intervient à un moment où il y a une crise de confiance entre les opérateurs économiques et le régime. Mieux, elle intervient dans un contexte où le gouvernement peine à trouver des solutions adéquates et consensuelles à d’autres problèmes, dont la résolution devrait lui donner un regain de crédibilité et remettre en confiance Société Civile, classe politique et même opérateurs économiques.

Les élections municipales et locales ont été reportées sine die. La cause, la non-correction à bonne date de la Liste électorale permanente informatisée. Le processus de correction du fichier électoral, entamé après maintes tergiversations, ne rassure pas encore. On évoque au niveau du Cos-Lépi, des difficultés de mobilisation des ressources financières. Au sein du Cos-Lépi, certains annoncent la fin du processus de correction pour novembre 2013, pendant que d’autres parlent d’avril 2014. Du coup, il y a une incertitude sur la tenue dans un délai raisonnable, des élections municipales et communales.

Déjà un an que s’est tenu le concours de recrutement à problèmes, au profit du ministère de l’Economie et des Finances. Les irrégularités de ce concours ont mis à nu l’exclusion et le régionalisme qui prend de l’ampleur au Bénin. Une commission – la commission Elègbè – a été mise sur pied pour désamorcer cette bombe à retardement.

Mais, depuis six mois, rien.

N’évoquons pas la lancinante question de la lutte contre l’essence kpayo que le Gouvernement peine à réussir. Comme si tout cela était moins nécessaire et urgent que la révision, Réckya Madougou affirme, sans même y mettre du bémol, que «le gouvernement continuera à déployer tous les moyens de persuasion nécessaires, afin de convaincre sur les fondements et les bonnes intentions de ce projet de révision.»

Dans un contexte de crise de confiance, où d’autres priorités d’intérêt majeur pour le Bénin sont en attente de solutions, Reckya Madougou conviendra que la révision de la Constitution peut attendre, même si elle est nécessaire.

On l’a déjà vu à l’œuvre

Face à nos confrères de Canal 3, la Garde des Sceaux a souhaité que le débat sur la révision de la Constitution se fasse beaucoup plus sur les aspects techniques de l’initiative, au détriment des considérations politiques. Pourtant, la révision de la Constitution étant une réforme politique, l’on ne peut en débattre seulement sur le plan technique. De plus, l’autre argument qui ne milite pas en faveur d’une révision actuellement, c’est le bilan même de Boni Yayi, après deux ans de Refondation. Réélu en mars 2011, le Président Boni Yayi a placé son second mandat sous le sceau de la Refondation. A entendre par là, des réformes dans tous les secteurs de la vie publique béninoise. Réformes politiques, économiques, administratives. Mais, aucun des chantiers de réformes, lancés depuis 2011 par le gouvernement, n’a abouti avec succès. Comme pour dire que le régime Boni Yayi 2 n’a pas encore fait ses preuves en matière de mise en œuvre  efficiente des réformes. C’est comme si l’on voulait confier les travaux de construction d’une villa à un maçon qui n’a pas pu construire un entrer-coucher.

Démarche non-consensuelle

A entendre la ministre Réckya Madougou, le Gouvernement veut faire passer en force son projet de révision constitutionnelle. Pourtant, sur la question de la révision, tout passage en force est contraire à l’esprit du consensus national, tel que voulu par la Conférence Nationale de 1990. De par sa jurisprudence, la Cour de feue Conceptia Ouinsou a d’ailleurs donné une valeur constitutionnelle à la question du consensus.

Pour rappel, en 2006, les députés de la  4è législature ont introduit dans la Constitution du 11 décembre 1990, un amendement à l’article 80, pour amener le mandat des députés à cinq ans.  Le Chef de l’Etat et plusieurs autres citoyens avaient formulé des recours pour demander l’invalidation de cette loi. La Cour de Mme Ouinsou, qui a  «cassé» cette loi, a brandi le consensus comme principe à valeur constitutionnelle.

La Décision  Dcc 06-074, rendue par la Cour Constitutionnelle, dispose: «Considérant que ce mandat de quatre (4) ans, qui est une situation constitutionnellement établie, est le résultat du consensus national dégagé par la Conférence des Forces Vives de la Nation de février 1990, et consacrée par la Constitution en son Préambule qui réaffirme l’opposition fondamentale du peuple béninois à… la confiscation du pouvoir ; que même si la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale, commandent que toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990, notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle…»

Toujours sur cette question de consensus, sur l’émission Libertas de la station radio confessionnelle Immaculée Conception, du jeudi 01 août dernier, le professeur Maurice Ahanhanzo Glèlè, l’un des pères de la Constitution de 1990, est resté dans la même logique que la Cour Ouinsou, à travers cette image : «là où on passe pour monter sur l’arbre, par là on descend. C’est-à-dire qu’il faut que le texte qu’on va soumettre à l’Assemblée, en cas de nécessité, d’après les dispositions de la Constitution, soit soumis au préalable à la population.»

Il va donc s’en dire que le projet de révision de la Constitution, initié par le Président Boni Yayi, ne saurait être qu’une affaire du gouvernement et des députés, encore moins une question des politiques. Sur Canal 3, Réckya Madougou s’est donc illustrée en avocate d’une initiative mal engagée.

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