Réflexion du Pr. Moïse Lalèyè sur la violation de l’article 105 de la Constitution

Sauf, pour la Cour Constitutionnelle de nous contredire, nous sommes de ceux qui soutiennent que, techniquement, le Président de la République, en introduisant au parlement sans requérir l’avis motivé de la Cour Suprême, le projet de révision, par décret, n’a pas violé notre Constitution.

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En effet, point n’est besoin d’une docte exégèse pour se rendre compte, à la lecture des articles 105, 132 et 154 de notre Loi fondamentale  de 1990, que ces derniers régissent deux différents actes du Président de la République. Deux actes, faut-il le souligner, d’importance constitutionnelle inégale, et de nature divergente, assortis de procédure spécifique.

Mais, avant d’en venir à la démonstration, il convient de rappeler que, de connaissance acquise, de jurisprudence  et de doctrine constantes, qu’une  loi ordinaire n’est jamais, par nature,  assimilable à une Loi constitutionnelle, en raison de la primauté incontestable et incontestée de cette dernière dans l’ordonnancement juridique, voire constitutionnel de tout Etat de droit de démocratie libérale. Par conséquent, l’on pourra multiplier les jurisprudences, et  les commentaires doctrinaux qui ne transigent pas sur cette réalité constitutionnelle de notre espace francophone. Ce rappel effectué, lisons ensemble les dispositions constitutionnelles en cause. L’article 105 précité expose en ses alinéas 1 et 2, ce qui suit : «L’initiative des lois appartient concurremment au Président de la République et aux membres de l’Assemblée Nationale. Les projets de loi sont délibérés en Conseil des Ministres, après avis motivé de la Cour Suprême saisie conformément à l’article 132 de la présente Constitution, et déposés sur  le Bureau de l’Assemblée Nationale…»  Par suite, l’article 132 de la Constitution dispose clairement : «La Cour Suprême est consultée par le Gouvernement, plus généralement sur toutes les matières administratives et juridictionnelles. Elle peut, à la demande du Chef de l’Etat, être chargée de la rédaction et de la modification de tous textes législatifs et réglementaires, préalablement  à leur examen par l’Assemblée Nationale.»

Par contre l’article 154 de la Loi Suprême prescrit en ces termes : «L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République, après décision prise en Conseil des Ministres, et aux membres de l’Assemblée Nationale. Pour être pris en considération, le projet ou la proposition de révision doit être voté à la majorité des trois quarts des membres composant  l’Assemblée Nationale.»    

La lecture combinée de ses articles constitutionnels, permet d’observer entre autres:

Indiscutablement, les alinéas 1 des articles 105 et 154 sont apparemment  libellés dans des termes identiques, mais,  en revanche leurs rédactions comportent  bien des nuances sémantiques, significatives, entrainant du coup,  des conséquences juridiques fondamentales. Ainsi, il est notable que  l’article 105 parle «d’initiative des lois», tandis que l’article 154 précise «l’initiative de la révision». A ce  niveau déjà, la démarcation lexicale et conceptuelle est nette, et n’induit pas  le recours à l’interprétation, pour saisir le sens et la signification des lettres constitutionnelles. Partant, il s’agit en l’occurrence bien de deux actes d’autorité du Président de la République,  de signification et de portée différentes. En termes  clairs, en vertu de ces dispositions constitutionnelles, l’on ne peut raisonnablement assimiler l’initiative de la loi (ordinaire) à l’initiative de la révision, laquelle,  dans le cas d’espèce suppose l’initiative de la modification partielle ou totale d’une  loi constitutionnelle.

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Pour plus de clarté, l’article 105 renvoie expressément la mise en œuvre de l’initiative au respect des dispositions de l’article 132. De ce point de vue, l’on doit remarquer que l’avis prescrit par la Constitution, est requis par le gouvernement  et non par le Président de la République. Certes, il  nous sera rétorqué que le Président de la République n’est pas moins, dans le régime en vigueur au Bénin, le Chef du gouvernement, ou le Chef d’Etat. Pour autant que l’on ne doit pas également oublier que nous vivons au Bénin un régime de séparation stricte des pouvoirs, aussi bien à l’interne qu’à l’externe, des institutions constituées. Pour ce qui est,  faut-il l’observer, l’initiative de la révision  n’appartient pas au gouvernement, encore moins à son chef. Au demeurant, en la matière, il est clair que le souverain national a visé ici, plus spécialement, la personnalité de l’élu de la nation qu’est le Président de la République, plutôt que le Chef de l’Exécutif.  D’ailleurs, à y voir de près, il l’a aligné sur les autres élus de la nation. Enfin, l’article 132 de la Constitution a limitativement indiqué, le domaine d’intervention de la Cour Suprême, devant obliger le gouvernement en tant que de norme. En cela, tout le monde s’accordera à reconnaitre, à la lecture de ce texte constitutionnel,  que nulle part  il n’est fait allusion aux lois constitutionnelles. Du moins la révision n’a pas été visée par cet article.

Somme toute, il est d’évidence que le Président de la République n’agit, de façon générale, que  par voie de prise de décret. En conséquence, en empruntant une telle voie dans la mise en œuvre des dispositions de l’article 154 de la Constitution, on ne devrait  pas normalement reprocher  au Président de la République, la violation de la Loi Suprême. Plus est, stricto sensu, selon les lettres dudit article, le Président de la République,  essentiellement es qualité, décide en Conseil uniquement de la révision, qui sous entend l’atteinte au pacte social. Autrement dit, il ne va pas en Conseil pour délibérer du projet de la loi constitutionnelle. En tout cas, aucune des lettres de la Constitution, n’en a disposé ainsi. Au regard de tout ce qui précède, il s’avère donc incontestable, que les dispositions de l’article 105 agité actuellement, n’imposent  aucune obligation au Président de la République, consistant à requérir en cette matière l’avis motivé de la Cour Suprême, avant de saisir le Parlement, selon les prescriptions de l’article 105. Toute autre démarche dans le cas d’espèce,  participerait d’une spéculation interprétative, très discutable en droit, notamment en Droit Constitutionnel.

Au total, la controverse  actuellement en débat, techniquement analysée, permet de conclure qu’en l’occurrence, seul l’article 154 suscité, est d’application en cette matière. Et qu’en revanche, le recours à l’article 105 apparait bien comme l’exploitation d’une opportunité beaucoup plus politique que juridique, pour faire échec au projet révisionniste du Président de la République, bien entendu contestable sur de nombreux autres points.

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