Affaire Patrice Talon : comment la communication tapageuse ternit l’image du Bénin à l’extérieur

Depuis le début de l’affaire «empoisonnement», le Bénin a trouvé un nouveau qualificatif dans la Presse internationale. Le pays de la paranoïa, où l’Etat de droit est parfois mis entre parenthèses. On est apparemment passé de laboratoire de la démocratie à royaume de la «complotite»,  de la manipulation et des coups bas.

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Pour nombre de citoyens béninois, leur fierté nationale a sans doute pris un coup, depuis Octobre 2012. C’est en effet à cette date qu’a commencé ce que la Presse a très tôt fait de nommer « affaire Talon ». Il s’agit de la rocambolesque affaire de supposée tentative d’empoisonnement de Boni Yayi, par Patrice Talon, avec la complicité de personnalités proches du Chef de l’Etat, et son corollaire de présumé putsch déjoué ou manqué. En dehors de Patrice Talon et celui qui est considéré comme étant son acolyte, Olivier Boko, les autres personnes citées sont Moudjaidou Soumanou (ancien ministre et Conseiller de Boni Yayi), Ibrahim Mama Cissé (médecin personnel du Président), Zoubérath Kora (sa nièce), le Commandant de Gendarmerie Pamphile Zomahoun, l’expert-comptable Johannes… et Bachirou Adjani Sika (ancien garde de corps de Boni Yayi).

L’affaire Patrice Talon est un feuilleton politico-judiciaire qui tient en haleine l’opinion publique béninoise, depuis le 20 octobre 2012,  la date de son début. Disons que c’est une guerre politico-judiciaire entre vieux copains. Dans cette bataille, on assiste à une ruée des deux camps vers les medias. La bataille politico-juridique se joue aussi sur le terrain de la communication, via les piques, les révélations et les démentis, par medias interposés.  Et ce, aussi bien au niveau de la Presse locale béninoise que de la Presse étrangère. L’effet boomerang de cette guerre de communication, est le ternissement de l’image du Bénin à l’extérieur.

Désormais contre-exemple?

De « La Lettre du Continent » à « L’Express » en passant par « Libération », « Jeune Afrique », « L’Observateur Palga », « Le Pays » ; dans la Presse sous-régionale africaine et la Presse française intéressée par  l’actualité africaine, les articles se sont multipliés sur le Bénin, depuis le début de cette affaire Talon. Quel que soit le degré de partialité ou d’impartialité dans ces différentes productions, le Bénin y est peint comme un pays où règne depuis octobre 2012, la paranoïa. Un pays où dans la Presse, à la Justice, au niveau de la Société Civile et de la classe politique, tout le monde est manipulé ou se laisse manipuler, soit par le camp Yayi, soit par celui de Talon. Un pays d’extrême corruption où le richissime homme d’affaires Patrice Talon a pu mouiller la barbe à tout le monde : acteurs d’Ong, syndicalistes, acteurs des medias, magistrats, personnalités politiques de l’opposition comme de la mouvance. Un pays où le Chef de l’Etat et ses soutiens de la Marina, bafouent les normes de l’Etat de droit, dans leur envie d’en découdre avec Patrice Talon. Le Bénin, autrefois laboratoire de la démocratie en Afrique, est désormais référencé comme le pays de la «complotite» où, selon Libération, le «talon d’Achille» du Président n’a pas fini d’empoisonner la vie politique locale. L’affaire à l’origine de cet «empoisonnement» de la vie politique et sociale, est décrite par L’Express comme un «psychodrame subsaharien» qui «réunit en un cocktail corsé, tous les ingrédients du roman d’espionnage. Un thriller sorti tout droit d’un atelier d’écriture où John Le Carré, Courteline, et l’Alfred Jarry d’Ubu roi, croiseraient la plume, avec le concours d’un Borgia et d’un griot un peu fêlé.» En fallait-il encore plus pour ridiculiser dans la Presse internationale francophone, un pays toujours perçu comme le laboratoire de la démocratie en Afrique. Ce quartier latin d’Afrique qui, on le croyait, avait jusque-là tourné la page des vraies ou fausses affaires d’atteinte à la sureté de l’Etat, encore légion dans d’autres pays du continent et de la sous-région.

Le deal a-t-il mal tourné?

Les différents articles écrits sur ces affaires «empoisonnement» et «coup d’Etat», ont permis de ressortir des qualificatifs, aussi bien mélioratifs que dépréciatifs, des principaux protagonistes que sont Boni Yayi et Patrice Talon. Talon, lui, est vu comme «un élégant quinquagénaire roulant en Jaguar», un puissant homme d’affaires peu scrupuleux,  à l’appétit insatiable, qui est prêt à tout pour agrandir sa richesse et étendre sa sphère d’influence au niveau des arcanes du pouvoir économique et politique.  Boni Yayi est, quant à lui, décrit comme un Président-pasteur dévot ; politiquement, une sorte d’ovni, un homme étrange et insaisissable, qui intrigue au niveau de ses pairs de la sous-région et même des Chancelleries occidentales. On apprendra de Jeune Afrique, que Boni Yayi peut se montrer «bonhomme, généreux», mais aussi «dur, tranchant, ingrat, rancunier». Le magazine met à nu son manque de méthode. En le décrivant comme «un homme imprévisible qui retire sa confiance aussi rapidement qu’il l’accorde, qui supporte mal la contradiction et dont les audiences sont à horaires élastiques».

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Dans cette affaire, il y a comme un jeu de cache-cache entre Boni Yayi et Patrice Talon. Le premier persiste et signe : Patrice Talon a décidé de le déstabiliser depuis qu’il a décidé de lui retirer le juteux Pvi (Programme de vérification des importations) au Port, et de commanditer des audits pour mettre fin à la mauvaise gouvernance dans le secteur-coton. «Canular !», dira Patrice Talon. Qui précise que Boni Yayi a pris la résolution de l’anéantir, parce qu’il a refusé de financer le projet de révision de la Constitution, pour permettre à ce dernier de se maintenir au pouvoir. Qui dit vrai ? Il faut sans doute  s’en remettre à ce commentaire de Jeune Afrique. «Un Talon chevalier de la démocratie, versus un Yayi saisi par le démon de l’autocratie, ou un Président aussi naïf qu’honnête, saisi d’effroi à la vue des appétits prévaricateurs de son ex-mécène ? Entre ces deux fables, un fleuve de peur et de haine.»

Affaire Talon. Canular, psychodrame, intrigue d’un roman d’espionnage basé sur un scenario mal ficelé ? De cette affaire, il y a une certitude qu’il sera désormais difficile d’ôter de la tête du Béninois lambda : il y a eu relation incestueuse entre Boni Yayi (le politique) et Patrice Talon (homme d’affaires). Cette relation incestueuse a permis au second de financer, en 2006 et en 2011, la campagne présidentielle du premier. La contrepartie, c’est que soit donné au second des marchés juteux de l’Etat. Et comme par coïncidence, en 2008, quelques années après l’arrivée au pouvoir de Boni Yayi, Patrice Talon remporte l’appel d’offres pour la privatisation de l’outil industriel de la Sonapra. En 2011, à quelques jours du mémorable «premier tour K.O», il gagne, par le biais de sa société Bénin Control, le marché de la mise en œuvre du PVI-Ng.  Le deal entre les deux hommes a sans doute mal tourné. Et le Bénin en est devenu un otage. Son image aussi.

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