Réforme capitale pour le Chef de l’Etat, le projet de révision de la Constitution pour lequel il déploie tant d’énergie, n’est visiblement soutenu que par une partie de ses partisans. Trois mois après la réintroduction du projet à l’Assemblée Nationale, tout porte à croire que la réforme n’aboutira pas. Pas dans sa forme actuelle.
Révision de la Constitution. C’est le grand sujet de l’actualité béninoise du moment. A part bien entendu les scabreuses affaires de supposées tentatives d’empoisonnement et de coup d’Etat de Boni Yayi, dont le commanditaire serait Patrice Talon. La révision de la Constitution et la bataille Yayi-Talon sont d’ailleurs liés. Ce sujet de révision agite donc l’opinion béninoise depuis le 06 juin 2013. Cela fait trois mois, depuis le 06 septembre.
En effet, c’est le 06 juin que le gouvernement a transmis à l’Assemblée Nationale son projet de loi - un peu actualisé - portant révision de la Constitution du Bénin du 11 décembre 1990. Principales innovations - du moins ce qui est mis en avant par le gouvernement dans sa communication : la création et la constitutionnalisation d’une Cour des Comptes, la constitutionnalisation de la Cena et du principe de l’imprescriptibilité des crimes économiques. Ces principales innovations visent à contribuer, selon les porteurs du projet, au renforcement de la démocratie et de la bonne gouvernance au Bénin. Autres amendements prévus : la constitutionnalisation de la Médiation de la République, l’instauration de l’initiative populaire des lois. L’initiation des lois étant jusque là l’exclusivité du gouvernement et du Parlement.
Les éléments de révision, proposés par le Chef de l’Etat, ne touchent pas les options fondamentales énoncées à la Conférence Nationale des Forces vives de la Nation de février 1990. Ces éléments sont : l’Etat de droit; la démocratie libérale; la forme républicaine de l’Etat; le multipartisme intégral; la nature présidentielle du régime; la limitation du mandat du Président de la République; l’âge des candidats à l’élection du Président de la République. De part sa jurisprudence, la Cour Constitutionnelle a déjà déclaré que certains de ces socles de la démocratie béninoise ne peuvent faire objet de révision.
A Part donc quelques aspects pervers soulevés par des juristes, on pourrait dire que la révision qu’envisage Boni Yayi est une réforme cosmétique. Boni Yayi, son gouvernement et les clubs politiques de sa famille politique, l’alliance Fcbe, déploient toutes les énergies pour expliquer le bien-fondé de la réforme. Et pourtant. Au niveau de la classe politique, de l’opposition et de la Société Civile, l’on ne veut pas de la révision de la Constitution. En tout cas pas une révision menée par Boni Yayi, avec cette méthode et dans le contexte actuels.
On n’en veut pas !
«Opportuniste», «inopportune», «nécessaire mais pas urgente», «vicieuse». Au sein de la classe politique, de l’opposition, de certains acteurs de la Société Civile et dans certains cadres de personnes-ressources, l’on ne manque pas de qualificatifs pour peindre en noir ce projet de réforme constitutionnelle. Le projet est attaqué, dans le fond comme dans la forme. Les arguments des détracteurs tournent autour de trois principaux points.
Primo, il s’agit, selon eux, d’une révision «opportuniste» qui devrait entrainer la naissance d’une nouvelle République, et permettre à Boni Yayi de briguer un troisième mandat. Pourtant, rien dans le projet envoyé au Parlement ne présage de cela. Mais, les «antirévisionnistes», comme on les appelle, craignent que les «légalistes du roi» entrent en jeu, pour légaliser toute tentative de Boni Yayi de rempiler en 2016. Et ce, une fois le projet adopté au Parlement. Selon eux, l’imprescriptibilité des crimes économiques et l’institutionnalisation de Cena sont déjà prévues par d’autres lois. Il n’y a donc pas urgence à les graver dans le marbre. Quant à la Cour des Comptes, elle peut être créée par une simple loi. Pour le débat autour des supposées ambitions inavouées de Boni Yayi après 2016, ce dernier a pourtant martelé à plusieurs reprises qu’il n’a aucune intention de rester au pouvoir au-delà de 2016.
Secundo, l’opportunité. Pour d’autres antirévisionnistes, la réforme proposée par Boni Yayi est nécessaire. Mais elle n’est pas opportune. Les nécessités urgentes de l’heure, pour le Bénin, sont ailleurs. Ce sont, notamment, la correction de la Lépi, l’organisation des élections municipales reportées sine die, la résolution de la question du coton, l’amélioration de l’environnement des affaires avec l’instauration d’un climat de confiance - délétère actuellement - entre les secteurs du public et du privé.
Tertio, Consensus. La Cour Ouinsou a, de part sa jurisprudence, donné une valeur constitutionnelle a la question du Consensus. Ainsi, le Consensus qui a prévalu à la Conférence Nationale en 1990, doit l’être pour tout autre projet de révision de la Constitution. A ce niveau, certains juristes avancent la notion de parallélisme des formes. Selon eux, la Constitution élaborée autour du principe de Consensus, ne peut être révisé qu’autour de ce même principe.
Seul contre tous
Le Président de la République ne cesse de rassurer à propos de sa volonté d’obtenir le consensus autour de sa réforme. Mais, en attendant d’inviter opposants politiques et acteurs de la Société Civile à la table du Consensus, le Président, son gouvernement et sa famille politique, continuent le lynchage médiatique de la population autour du projet. La campagne de communication gouvernementale pour la révision, suit son cours, avec les meetings de déclaration de soutien pour la révision, les entretiens télévisés et autres.
Sur le projet de révision de la Constitution, Boni Yayi donne l’image d’un Président seul contre tous. Un Président seul contre les principales forces politiques de l’opposition, qui ont déjà dit «non à la révision». On peut citer l’Union fait la Nation, l’alliance Abt, le Prd (Parti du Renouveau Démocratique) - son interlocuteur privilégié dans l’opposition. Seul contre les principales centrales syndicales et plusieurs autres acteurs de la Société Civile, qui en ont fait autant. Seul contre des personnalités (morales et physiques) comme l’Episcopat, le professeur Maurice Ahanhanzo-Glèlè, père de la Constitution actuelle, l’ancien Président Nicéphore Soglo, qui ont tous marqué leur opposition à la réforme. Du moins dans sa formule actuelle. Seule contre certaines personnalités de son propre camp politique, qui ont dit «non».
Boni Yayi ne veut pas lâcher l’affaire. Il croit en sa réforme, dur comme fer inoxydable. Dans son forcing, il traine avec ses ministres (anciens comme actuels), une grande partie de sa famille politique. Mais, trois mois après l’introduction du projet de Loi portant révision de la Constitution à l’Assemblée, tout laisse présager d’un fiasco. La polémique enfle de plus belle. Avec toutes les forces politiques, sociales et intellectuelles qui ont déclaré leur opposition au projet, le Consensus semble impossible. Il - le Consensus - est pourtant la condition sine qua non pour l’aboutissement de la réforme. Concernant le projet de révision de la Constitution, Boni Yayi fait donc un saut dans le vide, pourrions-nous conclure.