Gestion de la filière cotonnière au Bénin : entre Spécialisation, Politisation et Régionalisme

Il y a plusieurs décennies que le Benin a érigé la filière cotonnière en un des piliers essentiels de son agriculture d’exportation. En 2005, le coton représentait 40% des produits d’exportation de notre économie. La filière se portait bien et les réformes entreprises par les gouvernements successifs des Présidents Dieudonné Nicéphore Soglo et Mathieu Kérékou, avec l’appui de plusieurs partenaires techniques et financiers, notamment la Banque Mondiale, ont été mises en œuvre efficacement, sans tambour ni trompette.

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Ces réformes ont eu leur impact, et notre pays tirait des revenus  non-négligeables de cette filière qui occupait surtout la grande partie des populations du Septentrion, actives dans le secteur agricole.

La filière coton à l’aune du Changement et de la Refondation

Depuis l’avènement du régime du Changement en 2006, qui s’est mué en Refondation, sans nous dire ce qu’il a pu changer réellement, avant le mémorable KO de Mars 2011, la filière coton a fait l’objet d’un traitement préférentiel. Cela n’aurait frustré personne, si l’intention de nos dirigeants était de mettre en œuvre des réformes appropriées pour améliorer la santé de cette filière, et apporter plus d’oxygène aux rentrées en devises pour l’Etat, mais aussi contribuer à l’amélioration du niveau de vie des cotonculteurs. Mais, à quoi assistons-nous? Cette filière qui faisait du Bénin un pays challenger d’autres pays de la sous-région, comme le Burkina-Faso, est devenu un outil de propagande. Jamais nous n’avions vu les Présidents Kérékou et Soglo dans des champs de coton, avec le battage médiatique que nous avons observé sous le régime dit du Changement et de celui de la Refondation.  Le Chef de l’Etat lui-même, ses ministres, et des Directeurs généraux, doivent aller dans les champs de coton accompagnés de la Chaine des grands évènements.  Certains, y compris le Chef de l’Etat lui-même, seraient, aux dires de la même chaine publique, devenus producteurs de l’or blanc. Mais, tout ce folklore pour quels résultats?

Le Coton acquiert une “autre nationalité” au Bénin

Oui, malgré lui, le coton, jadis une production nationale, a acquis une nationalité. Il est du Septentrion. Ce que nous n’avions jamais vu sous les régimes précédents, depuis la Conférence des Forces Vives de Février 1990. Le producteur de Banikoara pouvait emblaver des dizaines d’hectares, sans que le Président ne le lui ait demandé, avec tant de faste et d’emphase. Tant bien que mal, les paysans travaillaient en bonne intelligence avec les acteurs majeurs qui s’occupaient de l’encadrement et d’autres fonctions jugées critiques, conformément aux réformes menées et qui portaient leurs fruits. Les données statistiques sont là pour en témoigner. Ne dit-on pas que l’activité économique ne s’accommode pas de bruits? La Fédération des Unions de Producteurs (Fupro), structure faitière mise en place vers la fin des années 1990, avec l’accompagnement institutionnel des partenaires, avait son mot à dire dans  le développement de cette filière pour le bien-être des producteurs et la meilleure santé des caisses de l’Etat. Mais, depuis le Changement, avec ses sirènes de milliards injectés sans contrôle,  avec des effets de propagande, et la suspicion contre certains acteurs majeurs, on a découvert la nationalité du coton.  Oui, le coton est du Septentrion. C’est l’exploit que le régime de Monsieur BoniYayi a réussi à accomplir pour le secteur agricole.

La spécialisation économique, une opportunité d’enrichissement et de cohésion nationale

Dans de nombreux pays du monde, les populations développent des aptitudes de production économique compatibles avec leur héritage historique, leur cadre de vie naturel et leurs legs ancestraux. C’est le cas de la Côte-d’Ivoire ou des régions entières de l’Ouest s’adonnent à la production caféière et cacaoyère. Dans le même pays, certaines régions propices  à la production bananière ont permis aux populations, depuis des centenaires, de s’adonner à cette culture qui entre dans une large proportion dans l’alimentation des populations, une partie étant destinée à l’exportation. Il en est de même dans la région de Grand Bassam, où l’ananas est produit en grande quantité, largement au-dessus de la consommation nationale, et dont la grande partie fait engranger des recettes fiscales à l’Etat. Au Benin, si les régions septentrionales sont en grande partie propices à la culture du coton, en raison des conditions écologiques, climatiques et pédologiques favorables, d’autres régions s’adonnent à diverses productions, sans que cela n’ait jamais donné lieu à l’implication aussi visible d’un Chef d’Etat, dans la jeune histoire de notre pays. Sur le Plateau d’Allada, depuis la zone de Zè, les populations sont spécialisées dans la production de l’ananas, dont l’exportation pose toujours problème, l’Etat cotonnier n’ayant pas suffisamment de temps pour y réfléchir.

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En dehors du secteur agricole, on peut citer les activités commerciales dont certaines populations ont fait leur base de production. C’est le cas de la vente des pièces détachées d’engins à deux roues, et de véhicules à quatre roues, dans lesquelles les populations du Couffo se sont rendus maîtres, au marché international de Dantokpa et dans de nombreuses villes de notre pays, toutes choses qui génèrent des revenus pour les caisses de l’Etat.  Dans l’Ouémé, même s’ils n’ont pas connu l’organisation à laquelle on devrait s’attendre pour assurer leur essor, le phénomène de taxi-kanan, véritable attraction touristique, progressivement mué en zémidjan, et la vente dite illicite de produits pétroliers étaient partis de cette région, avant d’envahir l’ensemble du pays. De même, ce ne sont pas toutes les régions de notre pays qui sont propices au tourisme. A chaque région, sa particularité économique, à charge pour les gouvernants d’introduire les mécanismes de régulation nécessaires à leur expression, dans l’intérêt de l’Etat et de ceux qui s’adonnent à ces activités, pour leur survie et leur épanouissement économique et social.  

A ce jour, la filière de vente de l’essence dite frelatée et le phénomène de zémidjan, malgré leur caractère informel ont grandement contribué à la stabilité politique et économique, ainsi qu’à l’épanouissement social des populations. On pourrait multiplier les exemples. Si les dirigeants de notre pays avaient une vision compatible avec les aspirations des populations, en rapport avec leur positionnement géographique, ils auraient conduit la réflexion et les réformes nécessaires à la rentabilisation de ces secteurs, pour l’Etat, en même temps que les acteurs pouvaient continuer à y trouver leur compte. Ils auraient fait de ces deux activités, des sources importantes de revenus pour l’Etat, en même temps qu’elles aurient largement produit l’impact socio-économique attendu sur les populations. On comprend dès lors, comme l’ont dénoncé des opérateurs économiques et des leaders politiques, que la diabolisation, notamment de la vente de l’essence frelatée, n’est qu’un aveu du manque de vision, dans un pays qui partage près de 500 kilomètres de frontières avec le Nigeria.

Autant la vente illicite de carburant, et la pratique de taxi-moto ont des effets néfastes sur la population, autant la culture du coton comporte d’énormes risques pour les populations qui les exercent, ainsi que pour des populations qui partagent l’environnement immédiat dans lequel ces activités sont menées. Mais, tout est question de vision stratégique et de Leadership, car c’est la nature qui a imposé ces activités aux populations. Et dans tous les pays du monde, c’est le rôle de l’Etat de veiller à ce que soit minimisé l’impact environnemental des activités économiques sur la population et le cadre de vie.

Le Palmier à huile, parent pauvre du secteur agricole

Les plus âgés d’entre nous doivent se souvenir que le Dahomey était un grand producteur de palmier à huile.  Et le colonisateur avait bien fait d’identifier, dès l’importation de cette spécialité par le Roi Guézo, au 19e siècle, d’identifier des régions porteuses dans notre pays.  Aussi, de larges étendues de terres avaient-elles été consacrées à cette culture, dans l’Atlantique, l’Ouémé, le Plateau, le Mono et le Couffo. On raconte que la Côte-d’Ivoire a importé le palmier à huile du Benin.  Aujourd’hui, il suffit de visiter les régions de Dabou et de Grand Lahou, pour se convaincre de la richesse de ces plantations.  Au Bénin, non seulement on a tué les usines de transformation du palmier à huile, à Houin-Agamè, à Ahozon, à Pobè, mais on a surtout mis un point d’honneur à démanteler les coopératives agricoles, véritables entreprises socio-économiques, et viviers de l’apprentissage de la démocratie. Les querelles politiciennes, sur fond de clientélisme partisan, ont tué cette filière, au mépris des intérêts de centaines de milliers d’acteurs engagés, depuis des dizaines d’années, dans ces activités. Doit-on comprendre que c’est par un sursaut hypocrite que l’ancien ministre de l’Agriculture, Sabai Katé, a entre-temps jeté la poudre aux yeux des populations, en embouchant la trompette de la réhabilitation de cette filière? Où en sommes-nous aujourd’hui? Au début des années 2000, un Projet de promotion de technologies appropriées, financé par l’USAID au Bénin, avait entrepris d’aider les paysans des localités jadis productrices du palmier à huile, dans l’espoir que le gouvernement devait prendre le pli, avec l’encadrement  des pépinières et des pépiniéristes formés. Malheureusement, le projet a pris fin dans l’indifférence quasi-générale, comme la plupart des projets qui n’apportent pas un gain direct aux acteurs de l’Administration, ni aux décideurs politiques.

Le palmier à huile a autant, ou plus, de dérivés que le coton. Il est de loin plus rentable économiquement, et offre de meilleures opportunités pour l’industrie nationale et le développement local. Allez-y comprendre pourquoi il fait l’objet de peu d’intérêt de la part de nos gouvernants.

Régionalisme par ici, manipulation par là et répression selon le cas… on a ruiné l’économie et divisé le pays

Au lieu de mener la réflexion approfondie et concertée, avec les acteurs, pour cerner tous les contours de toutes ces activités et prendre des mesures appropriées, on a pris le pari du forcing, fidèle à la méthode de gouvernance en cours depuis Avril 2006, et qui ne connait que la violence, l’intimidation, la ruse et la politique sectaire de deux poids deux mesures. La filière coton comporte aussi ses effets directs, et  collatéraux, sur la santé. L’avenir nous dira quelles sont les dispositions prises par l’Etat cotonnier, pour réduire ces effets néfastes. Pour l’heure, le coton est chéri, visite dans son lit, célébré et porté aux cimes de l’action publique, sans oublier que ce n’est qu’un  pan de l’activité économique du pays. Il est régionalisé, à travers les paysans et les acteurs de la filière. Ainsi, du ministre de l’Agriculture au Directeur Général de la Sonapra, c’est le Septentrion. La logique du Prince veut que les gens du Nord s’occupent de leur filière, comme le Préfet du Département doit être un fils du terroir.  Une politique honteuse qui constitue un vrai frein à l’unité nationale qui est chantée dans les discours officiels.

On se souvient des diatribes qu’a soulevées l’implication de Pascal Irenée Koupaki dans la conduite des réformes devant aboutir à la création en 2007 de la Sodeco. On se souvient aussi, tout récemment, de la fatwa signée contre Patrice Talon, magnat du coton qui a fait ses preuves dans cette filière longtemps avant que le régime Boni Yayi ne s’installe au pouvoir, avec les sous du coton (confère l’interview de Patrice Talon sur Radio France Internationale en Novembre 2012). Aujourd’hui, il est “wanted” mort ou vivant.

Un peu de tout pour faire un monde, chacun de nous pour construire le Bénin de notre rêve…

Autant il faut un peu de tout pour faire un  monde, autant on a besoin de tous les acteurs, de toutes les régions d’un pays, dans leur diversité, pour construire une économie stable, viable, et créer les conditions d’une Nation. Tout est dans la méthode de gouvernance. Doit-on toujours nommer un ministre du Commerce originaire de l’Ouémé ou du Couffo, parce que les populations de ces régions s’adonnent en grande majorité aux échanges commerciaux? Allons-nous toujours confier la gestion de l’Agriculture aux filles et fils du Nord, parce que le coton est en majorité cultivé là-bas?

Sous le régime actuel, le passage des fils d’autres régions à la tête de ce ministère n’a été qu’épisodique. On a vu tout un battage médiatique autour de la  militarisation au Port Autonome de Cotonou, ces dernières années, pour soi-disant réceptionner des intrants agricoles pour la campagne cotonnière, et les acteurs viennent presque tous d’une même région du pays, avec à leur tête le premier d’entre nous. Cette façon de gérer un pays, sans s’élever au-dessus de ces considérations bassement primitives, choque et nous pousse à nous demander: quelle école avons-nous fréquentée? Dans quelles universités avons-nous fait nos études supérieures, pour penser et agir de la sorte? Quelles expériences de la gestion de la chose publique nous inspirent de telles décisions? Pourquoi parlons-nous à profusion de Nation dans nos discours, pour embrasser des contrevaleurs qui nous éloignent de la cohésion dont nous avons besoin pour avancer comme un pays solidaire, dans l’action économique et sociale, toutes choses qui conditionnent l’émergence progressive de la Nation que nous rêvons de devenir?

Le devoir d’aimer notre pays et l’obligation de donner espoir à son Peuple

Les résultats de la production cotonnière, produite et gérée par le Septentrion nous interpelle. Aucun pays au monde ne gère l’économie comme nous le faisons dans notre pays. De telles pratiques émanant d’économistes qui sont supposés avoir maitrisé leur matière, inquiètent sur la vision de ce régime qui court dans tous les sens, s’en prend à tous et à tout, même aux fondamentaux de notre jeune Etat, sans scrupules ni circonspection. Quand on aime son pays, on a forcément de meilleures façons de le démontrer, que de s’engager dans des actions qui frisent le sectarisme, préjudiciable au développement économique. Qui aujourd’hui au Bénin, ne pense-t-il pas que le coton est seulement l’affaire du Septentrion et des gens du Septentrion? On en a tellement fait dans la propagande, que la Presse burkinabé avait un temps estimé qu’au Bénin, le coton se cultive à la télévision.  A moins d’avoir à nous démontrer une autre manière d’aimer leur pays, que celle qui consiste à semer la division au sein des populations des autres régions,  amour pour tout le pays, nos dirigeants doivent prendre la juste mesure de la cassure que leur gestion des affaires publiques crée dans le tissu économique et social de notre Patrie commune. Le Premier Magistrat doit surtout être conscient de la déchirure dont notre pays est victime, avec un Peuple qui, actuellement, loge très bas sur l’échelle des indices du bonheur, court, végète avec chagrin dans la résignation et la frustration. Mais, qu’on le veuille ou non, et quelles que soient les armes dont on dispose, un Peuple meurtri par la douleur infligée par la violence morale et physique, finit toujours par se relever et réagir. Nous garderons l’espoir que nos dirigeants feront le choix qui sied en ce début du 21e siècle, à tous les peuples du monde, celui de leur donner espoir par nos pratiques quotidiennes et dans la Justice et l’Equité, et non les préparer à la révolte. Ce n’est pas ce que  nous souhaitons pour notre pays et notre Peuple.

Coffi Adandozan
Economiste-Planificateur
Lille, France

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