L’Ua : l’immunité qui nous éloigne d’une vraie Justice internationale

Réunis pour un sommet extraordinaire, au siège de l’Organisation panafricaine, les Chefs d’Etat étaient partis pour demander le retrait du continent du Traité de Rome instituant la Cour Pénale Internationale (Cpi). Toute la semaine dernière, les commentaires sont allés bon train sur le projet. 

Publicité

Les uns, comme l’ancien Secrétaire général de l’Onu, Koffi Annan, parlant de «honte pour l’Afrique», le déplorent en évoquant les victimes des crimes de génocide dont certains des chefs d’Etat sont accusés.D’autres ont plutôt salué l’intention de retrait comme un pas vers plus d’équité dans le traitement  des personnes appelées à comparaître devant la Haute juridiction internationale de justice. Jusque-là,affirment-ils, en citant les cas actuellement pendants devant la Cpi, le Congolais Jean-Pierre Bemba et l’Ivoirien Laurent Gbagbo, seuls les Africains constituent la clientèle privilégiée de cette Cour. On croisait donc les doigts pour voir si le sommet des chefs d’Etat oserait franchir le Rubicon de la rupture, avec le Traité qu’ils ont pour la plupart ratifié. Mais finalement, c’est un sursis  que le sommet d’Addis Abeba  a demandé pour les chefs d’Etat en exercice. Les plus concernés, au premier chef,sont le Soudanais El Béchir, accusé de génocide sur les populations du Darfour, et surtout les nouveaux dirigeants élus du Kenya, le Président Uhuru Kenyatta et son Vice-président William Ruto,pour le rôle qu’ils auraient joué dans la crise postélectorale en 2008 au Kenya. Le sommet de l’Ua est allé plus loin, en demandant au Président Uhuru Kenyatta de ne pas se présenter à l’ouverture de son procès, prévu pour le 12  novembre prochain, si le Conseil de Sécurité appelé à statuer sur la requête,ne réagit pas avant cette date fatidique. (Voir page 11)

Il  ne fait l’ombre d’aucun doute que le Conseil de sécurité, vue la détermination apparentede l’Ua, trouvera un subterfuge pour accéder à cette demande prévue par l’article 16 du Traité de Rome, qui «permet, selon notre confrère Jeune Afrique,  au Conseil de Sécurité de l’ONU d’imposer à la CPI la suspension de toute enquête ou poursuite, pour une durée d’un an, renouvelable de facto indéfiniment chaque année». L’argument de l’instabilité de la situation politique au Kenya, pourrait jouer  en faveur des deux célèbres prévenus. La récente attaque d’un centre commercial de la capitale,par les terroristes Shebab venus de la Somalie toute proche, pourrait renforcer l’argumentaire de ceux qui plaident ce sursis  à  statuer, qui s’apparente à une  immunité de facto. Laquelle n’est pas prévue par le Traité de Rome. L’article 27 du Statut de Rome prévoit en effet «expressément, qu’aucune « qualité officielle » – notamment celle de Chef d’Etat – ou immunité ne peuvent être opposées à la CPI». Il apparaît clairement que ce sursis à statuer, non-assorti d’une invite à donner les moyens aux tribunaux des pays de rendre justice aux victimes, crée plus de problèmes qu’il n’en résout.Les premiers et seuls bénéficiaires sont, non seulement les Chefs d’Etat concernés, du Kenya et du Soudan – ce dernier obtiendrait de facto un visa à circuler partout dans le monde – mais surtout les actuels et futurs présidents qui pourraient être appelés à répondre devant la Cour.C’est l’impunité, garantie éternellement, pour ceux des présidents dont l’agenda ne prévoit aucune alternance au pouvoir. Ainsi Le Président Ouattara qui a envoyé son prédécesseur Laurent Gbagbo, n’aurait pas à répondre des exactions commises à Duékoué par les soldats de son camp. De même, le Président Kabila qui ferme les yeux sur les nombreux actes de violence dont ses soldats se rendent coupables au Kivu, sur les femmes ; sur la mort et les disparitions mystérieuses des militants des Droits de l’Homme. A ces deux présidents en exercice, il convient d’ajouter le tout nouveauPrésident autoproclamé de Centrafrique, chef incontesté de cette coalition hétéroclite qu’est la Séléka,qui sème mort et désolation dans le pays.

Au total, les Chefs d’Etat sont passés à côté d’une décision historique : celle du retrait  du Traité de Rome, qui aurait l’avantage de crédibiliser l’argument d’une Cour uniquement réservée aux dirigeants Africains. Ce retrait aurait l’avantage aussi de ramener ce qu’on appelle «la communauté internationale» à la table de négociation, pour l’avènement d’une Haute Cour deJustice où seraient amenés à comparaître, non seulement les dirigeants africains qui prennent trop de liberté avec les Droits de l’Homme, mais aussi tous les soldats américains, français, anglais, et autres, tout aussi coupables de massacres à l’encontre des populations qu’ils sont censés protéger, en Afghanistan et sur les théâtres de maintien de la paix, en Irak et  en Afrique.A la barre de cette Cour véritablement internationale, seraient aussi appelés à comparaître tous lessoldats et différents responsables donneurs d’ordre de l’Armée d’Israël, coupables d’exactions de toutes sortes, et d’utilisation d’armes de destruction massive contre les populations désarmées de la bande de Gaza, comme en a conclu la Commission du juge sud-africain Goldstone.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité



Publicité