L’attraction politique du week-end passé est sans nul doute le débat contradictoire, portant sur la révision de la Constitution, organisé à son siège à Cotonou par la Fondation allemande, Friedrich Ebert.
Devant une poignée de participants, du gotha sociopolitique béninois, l’occasion était offerte aussi bien aux pros qu’aux antis-révision d’étaler les arguments qui fondent leurs différentes positions. C’était un parterre de citoyens, estimés à près de 200, qui ont été tenus en haleine, sous une pluie récalcitrante, pendant plus de deux heures d’horloge, ce vendredi 04 octobre 2013.
En face de Raphael Edou, ministre en charge du Changement climatique, et Iréné Agossa, président du mouvement politique le Nationaliste, qui défendaient le projet du Chef de l’Etat, on avait le Coordonateur national de l’Union fait la Nation, Lazare Sèhouéto, et Me Joseph Djogbénou du mouvement social, Alternative citoyenne. Le Docteur en Droit Public, Gilles Badet, modérateur du débat, a orienté les questions autours de trois principaux points.
Il s’agit d’abord de la motivation et de l’opportunité d’une révision de la Constitution ; ensuite de la procédure et de la notion de consensus ; et enfin des explications et propositions sur le fonds du nouveau texte proposé.
Motivation et opportunité d’une révision
«L’un des défis du gouvernement, aujourd’hui, est de permettre aux institutions de la République de jouer plus efficacement leurs rôles», a laissé entendre le ministre Edou. Selon lui, le projet de révision de la Constitution du 11 décembre 1990 était déjà prévu dans les projets de société du Président de la République, avant sa réélection en 2011. Le Chef de l’Etat, en proposant le nouveau texte introduit au Parlement, n’a pour principale ambition que le renforcement du système démocratique national.
Il sera appuyé par Iréné Agossa, qui croit savoir que l’opportunité d’une révision tient aujourd’hui au fait que le contexte sociopolitique béninois a changé, depuis l’adoption en 1990 de l’actuelle Constitution. «Les besoins n’étant plus les mêmes aujourd’hui, il faut des outils modernes de gestion, pour renforcer le contrôle et la sécurité de nos ressources», a souligné le nationaliste. Aussi a-t-il ajouté que l’actuelle Constitution entretient la faiblesse de certaines institutions. Chose qu’on ne peut corriger qu’à travers une révision.
Prenant à contre pied ces arguments, Me Joseph Djogbénou a déclaré qu’il n’existe pas aujourd’hui de motivations réelles et valables, pour aller vers une telle réforme constitutionnelle. D’après lui, l’efficacité des institutions n’est pas due aux textes de loi, mais plutôt aux hommes qui les dirigent. Pour l’avocat, dans un contexte où le Peuple manque de pain, la recherche de l’efficacité doit se situer au niveau du renforcement du secteur économique et de l’Administration. Et pour ça, on n’a pas besoin d’une quelconque révision de la Constitution. «Nous ne sommes pas contre la révision de la Constitution ; mais nous sommes contre le projet actuel et la façon dont il est discrètement introduit au Parlement», a affirmé, pour sa part, Lazare Sèhouéto. Le député de l’opposition reproche au gouvernement le fait qu’il n’ait pas auparavant consulté les forces politiques et sociales, ainsi que le Peuple, dans ses différentes composantes. Appuyant son Co-débatteur, il a souligné qu’une réforme constitutionnelle ne changera pas les pratiques de chaque Béninois, au sein de l’Administration, et donc ne pourra apporter plus d’efficacité, tel que souhaité.
Le consensus selon chaque camp
Lazare Sèhouéto reconnait au Chef de l’Etat le droit de prendre l’initiative d’une telle révision, mais il lui impute également le devoir de consulter les Forces vives de la Nation. «Notre Constitution a été rédigée sur la base d’un consensus, à l’issue de la Conférence Nationale de 1990. On doit donc la réviser sur la même base». Pour le député Sèhouéto, le texte devait faire l’objet d’une large vulgarisation et de discussions, avant d’atterrir au Parlement. «Ce n’est pas au Parlement d’aller consulter le Peuple», a-t-il noté.
Joseph Djogbénou, quant à lui, qualifie la procédure telle que conduite aujourd’hui, de «salade russe». Il croit savoir que c’est à la Cour Constitutionnelle que revient la prérogative de déclarer, à l’issue de la révision, s’il s’agit d’une nouvelle Constitution, et donc d’une nouvelle République. Et c’est, selon lui, là où réside la nécessité pour tous les acteurs de la Nation d’échanger autour du projet de Loi, pour définir le contenu du nouveau texte, afin de ne pas en arriver là.
Répondant à ses contradicteurs, Iréné Agossa a insisté qu’on ne doit pas faire de confusion entre l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’apport d’amendements à l’actuelle en vigueur. Le nationaliste accuse surtout ceux qui sont contre la révision, de ne pas être dans une logique de consensus. «Votre lutte bloque le consensus. Si vous étiez dans un esprit de consensus, vous feriez des propositions d’amendement, que vous auriez fait parvenir au gouvernement et au Parlement comme proposition», a-t-il déclaré. Iréné Agossa a proposé qu’on peut, par exemple, faire voter une disposition transitoire qui stipule que la révision n’entrera en vigueur qu’en 2016, après le départ du pouvoir du Chef de l’Etat. Soutenant ces arguments, Raphaël Edou a ajouté que les craintes du Peuple ne sont pas fondées, surtout en ce qui concerne la pérennisation du ¨Président Yayi au pouvoir, à travers la création d’une nouvelle République.
Les avis sur le fond
Sur le fond, il a été surtout question de : l’initiative populaire, de la création d’une Cour des Comptes, de la constitutionnalisation de la Cena, et de l’imprescriptibilité des crimes économiques. D’après les pro-révisions, l’initiative populaire donnera l’opportunité au Peuple de mieux exprimer ses besoins. Pour ce qui concerne la Cena, ces derniers avancent l’argument selon lequel, à la veille des élections, la Cena se met en place à la dernière minute, ce qui provoque une certaine précipitation dans l’organisation des élections. A en croire le ministre Edou, il faut constitutionnaliser la Cena, la rendre permanente, et elle pourra ainsi planifier et organiser les élections avec plus d’efficacité.
Pour les anti-révisions, c’est une initiative noble que de chercher à rendre la Cena permanente, mais une Loi organique peut largement servir à régler cette question. L’imprescriptibilité des crimes économiques, à en croire Me Djogbénou, est déjà prise en compte par le Code de Procédure Pénale en vigueur. Quand à la Cour des Comptes, l’avocat croit savoir que sa création, telle que proposée, ne va régler aucun problème. «A la Cour des Comptes, les juges en majorité, et le Président de l’institution, seront nommés par le Président de la République. Voyez-vous ? Nous avons de vrais problèmes. Mais vous, vous avez les mauvaises solutions», a fait savoir Joseph Djogbénou. En ce qui concerne l’initiative populaire, il a défendu la thèse selon laquelle elle n’est pas compatible avec la démocratie béninoise. La Suisse, qui est le seul pays au monde qui la pratique, est une Fédération, et jouit d’un régime représentatif, contrairement au Bénin qui est un Etat unitaire, et qui jouit d’un régime présidentiel.
Quand l’exemple vient de la Fondation Friedrich Ebert
A l’annonce de la soirée politique de la Fondation Friedrich Ebert sur la révision de la Constitution, l’on redoutait un débat insipide, teinté des baratins habituels. Mais, ceux qui ont bravé la pluie, dans la soirée de ce vendredi, pour se rendre au siège de la Fondation allemande à Cotonou, n’ont sans doute pas été déçus. Joseph Djogbénou et Lazare Sèhouéto (antirévisionnistes) d’un côté et Raphaël Edou et Irenée Agossa (révisionnistes) de l’autre. Il fallait simplement être présent.
A part le ministre Edou, qui a passé tout le temps à tourner autour du pot, ce débat a permis, de par la pluralité des invités, leur qualité et celle des idées, de faire un pas de plus sur ce sujet de révision de la Constitution. Mais, ce pas de plus aura permis de connaitre les forces et faiblesses des arguments des «révisionnistes» et «antirévisionnistes». Pour une des rares fois, on a débattu de la révision, sans stigmatiser les porteurs du mouvement « Mercredi rouge », sans mentionner le nom de Patrice Talon, sans lier le projet à l’affaire empoisonnement. Pour une des rares fois – débats contradictoires déjà tenus sur Canal 3 et Radio Tokpa – l’opportunité a été donnée aux deux camps – révisionnistes et antirévisionnistes – de fournir chacun ses arguments sur l’opportunité, la démarche et le contenu du projet.
La taille du public venu massivement, et l’atmosphère ayant prévalu les deux heures qu’a duré la soirée, permettent de déduire qu’il y a besoin de débats contradictoires, grand public ou non, sur le projet de révision de la Constitution. Et sur ce plan, le gouvernement et la télévision de service public (Ortb) doivent aller à l’école de Friedrich Ebert Stiftung. Le Gouvernement doit y aller, pour mettre fin à son aversion pour tous ceux qui ne soutiennent pas, et toute initiative opposée à son projet de révision de la Constitution.
L’Ortb doit y aller pour revoir sa posture actuelle. En tant que media, de surcroit de service public, l’Ortb devrait permettre à toutes les parties de s’exprimer et donner leur avis sur le projet. Cela devrait se faire à travers l’organisation de débats contradictoires. Mais, depuis juin que ce débat a commencé, notre media de service public s’est mis dans la dynamique de la propagande gouvernementale. Il s’est mis dans la dynamique de ne rouler que pour Yayi Boni, et toutes les voix soutenant son projet de réforme constitutionnelle. Ainsi, la télévision nationale offre, en lieu et place des débats contradictoires attendus, des entretiens insipides, des comptes-rendus monotones de la campagne anticipée du gouvernement, pour la révision de la Constitution. Vivement que la soirée politique de Friedrich Ebert sur la révision fasse école.
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