Après le professeur Moise Laleyè, la semaine dernière , notre journal s’est rapproché de deux constitutionalistes de renom, Philippe Noudjènoumé docteur en droit public et par ailleurs Premier Secrétaire du Pcb et professeur à la retraite et Ibrahim Salami agrégé des universités en droit public.Interviews
Philippe Noudjènoumè : « L’injonction de la Cour Constitutionnelle n’est pas juridiquement fondée »
Au Bénin, c’était la grosse actualité de fin d’année. Le rejet du projet de budget général de l’Etat, exercice 2014 par l’Assemblée nationale. Pourtant, le président Boni Yayi dispose une majorité suffisante pour faire passer son budget comme une lettre à la poste…La Cour constitutionnelle mettra plus de piment à cette actualité en annulant dans une décision rendue le 30 décembre, le rejet du budget. Pour les « Sages », le vote secret employé par les députés pour rejeter le budget est anticonstitutionnelle. Ce qui a marqué les esprits dans cette décision de la Cour, c’est son ton comminatoire. Holo et ses pairs sont allés jusqu’à ordonner aux députés de se réunir avant le 1er janvier pour reprendre le vote. Approché par notre rédaction, Philippe Noudjènoumè, professeur de droit constitutionnel à l’Université d’Abomey-Calavi et premier secrétaire du Parti communiste du Bénin (Pcb) revient sur le fondement juridique de la décision de la Cour et apprécie la légitimité de la réaction orgueilleuse des députés.
« La réaction d’orgueil du Parlement m’a séduit », dixit le Professeur Ibrahim Salami
La Nouvelle Tribune : Comment peut-on interpréter la décision de la Cour Constitutionnelle ?
Philippe Noudjènoumè : La décision tombée ce 30 décembre 2013 apparaît à coup sûr comme une décision d’opportunité. En ce sens qu’elle vise essentiellement à trouver une sortie honorable à l’Exécutif, et plus précisément au Chef de l’Etat.
En fait le caractère d’opportunité – qui se traduit par l’injonction faite à l’Assemblée Nationale- et la violation de la Constitution (si l’on considère le Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale comme faisant partie du bloc de constitutionnalité) qui s’en est suivie sont deux choses inextricablement liées. La situation se présente ainsi qu’il suit aux membres de la Cour Constitutionnelle. Il faut absolument sauver l’Exécutif et pour cela, il faut passer outre des dispositions même claires et précises telles celles du Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale.
Du reste, la question des dispositions constitutionnelles à appliquer se pose ici.
L’article 110 de notre Constitution dispose « L’Assemblée Nationale vote le budget en équilibre. Si l’Assemblée ne s’est pas prononcée à la date du 31 décembre, les dispositions du projet de loi des finances peuvent être mises en vigueur par ordonnance.
Le Gouvernement saisit, pour ratification l’Assemblée Nationale convoquée en session extraordinaire dans un délai de quinze jours
Si l’Assemblée Nationale n’a pas voté le budget à la fin de cette session extraordinaire, le budget est établi définitivement par ordonnance. »
Mais dans notre cas d’espèce, l’Assemblée Nationale s’est bel et bien prononcée le 19 décembre par un vote de rejet du projet de loi des finances. On ne se trouve plus dans le cas de l’article 110.
Quant à l’article 111 de notre Constitution, il dispose ainsi qu’il suit : « Si le Projet de Loi de Finances n’a pu être déposé en temps utile pour être promulgué avant le début de l’exercice, le Président de la République demande d’urgence à l’Assemblée Nationale l’autorisation d’exécuter les recettes et les dépenses de l’Etat par douzièmes provisoires »
Ce cas non plus ne s’est présenté ici.
C’est dire qu’il s’agit là d’un cas non prévu par notre Constitution et donc des insuffisances et obscurités de notre Loi fondamentale. C’est comme si dans notre Constitution, le budget ne peut être rejeté.
Dans l’histoire récente de notre pays, lorsque des cas de non entente entre l’Exécutif et le Parlement se sont présentés sur le vote du budget, les Présidents n’ont eu recours qu’à l’article 68 qui traite des pouvoirs exceptionnels du Chef de l’Etat en cas de crise menaçant les institutions de l’Etat. C’est donc par abus ou par défaut que l’on parle de la mise en œuvre de l’article 110.
L’injonction de la Cour aux députés est-elle fondée juridiquement?
La réponse à cette question nécessite d’être étudiée sous plusieurs angles : quant au fond et quant à la forme.
Pour ce qui est des dispositions juridiques constitutionnelles.
Nulle part, il n’est disposé tant dans la Constitution que dans la Loi organique sur la Cour Constitutionnelle ainsi que le Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale, la possibilité d’injonction de la Cour à l’Assemblée Nationale.
La Cour Constitutionnelle a pour mission principale le contrôle de la constitutionnalité des lois.
Et dès lors que l’Assemblée s’est prononcée par un vote de rejet, cette décision devient une Loi susceptible d’être déférée devant le juge constitutionnel pour examen de constitutionnalité. Là ne se pose aucun problème quant à la compétence de la Cour Constitutionnelle.
Celle-ci peut examiner cette décision et se prononcer sur sa conformité à la Constitution. Il s’agit d’un examen d’un contrôle de constitutionnalité et non d’une annulation. L’annulation relevant du juge de la légalité d’un acte réglementaire ; ce qui est du ressort du juge administratif.
Nulle part dans nos textes fondamentaux, il n’est disposé la possibilité d’injonction de la Cour à l’Assemblée Nationale. C’est dire que si Cour est autorisée à déclarer une loi conforme ou non à la Constitution, elle ne saurait intimer des ordres- à donner des injonctions- à l’institution parlementaire. Pour ce que je sais –puis que c’est souvent l’expérience française que l’on aime citer-ce qui est dommage par ailleurs- le Conseil constitutionnel français est très prudent en la matière –et se garde de donner des injonctions au parlement français ; se contentant de donner des injonctions à l’Exécutif et aux juridictions notamment administratives en matière d’application de la loi – (Cf. Décisions 80-127 DC des 19 et janvier 1981’’Sécurité et liberté’’ et 119 DC du 22 Juillet 1980 ‘’Validation d’actes administratifs’’ )
C’est dire que l’injonction de la Cour Constitutionnelle n’est pas juridiquement fondée. Pire, en la forme cette injonction est inappropriée et à la limite purement incantatoire et « bête » car au vu des procédures que sa mise en application nécessite, impossible à mettre en œuvre. Alors à quoi a-t-elle servi, une telle injonction qui est enfermée dans un délai d’exécution de 24 heures ?
Or en matière d’injonctions, la Cour Constitutionnelle du Bénin en est une habituée. Elle est allée jusqu’à indiquer aux députés « au nom du respect du principe de la configuration politique du parlement » (Décision DCC 00-078 du 7 décembre 2000), notion qui n’est écrite nulle part dans la Constitution, quel nombre de députés et de la majorité et de l’opposition doit figurer dans un bureau de l’Assemblée Nationale. Ce qui est proprement inouï. Et incongru.
Peut-on dire que les « Sages » sont allés au-delà de leurs prérogatives ?
La pratique de notre Cour Constitutionnelle a toujours été d’aller au-delà des prérogatives à elle conférées par la Constitution. Et pour ce faire, de se mettre au-dessus de la Constitution, de la réviser, de la réécrire au gré des humeurs des « Sages » et de leur allégeance au Chef de l’Etat en place ou à d’autres intérêts. La Cour de Dossou a imposé par décision DCC 10-111 do 08 septembre 2010, la LEPI comme seul instrument d’organisation des élections au Bénin. De quelles dispositions constitutionnelles, elle tire une telle décision ? De son propre mouvement. La Cour Constitutionnelle de notre pays a depuis longtemps confisqué les prérogatives du parlement en s’adjugeant le rôle de législateur final.
La logique qui les a guidés est fort simple. L’article 124 de la Constitution dispose «…Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles ». Et puis que ses décisions sont sans recours la Cour érige ses propres décisions en normes constitutionnelles sur le principe de « l’autorité de la chose jugée » ; faisant ainsi de l’auto-référence. Et le tour est joué. Ce qui fait que nous avons aujourd’hui et le corps de la Constitution promulguée le 11 décembre 1990 avec les lois organiques et l’ensemble des décisions de la Cour Constitutionnelle. De la sorte, la Cour nous élabore une nouvelle Constitution presque à chaque décision. L’exemple le plus clair est la décision de décembre 2006 de la Cour Constitutionnelle par laquelle celle-ci annulant une loi constitutionnelle, a érigé de toutes pièces la notion sociologique floue de « consensus » en norme « à valeur constitutionnelle » Et qui ne se trouve nulle part dans notre Constitution. Il en est de même de la décision DCC 11-67 du 20 Octobre 2011 par laquelle la Cour Constitutionnelle a jugé de la conformité de la loi organique portant conditions de recours au référendum. Cette décision déclare « Ne peuvent faire l’objet de questions à soumettre au référendum les options fondamentales de la Conférence nationale de février 1990 à savoir – la forme républicaine et la laïcité de l’Etat- l’atteinte à l’intégrité du territoire national- le mandat présidentiel de cinq ans renouvelable une seule fois – la limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus pour tout candidat à l’élection présidentielle-le type présidentiel de régime politique au Bénin ». Autrement dit, les questions sus-citées ne peuvent faire l’objet de révision constitutionnelle. Alors que l’article 156 de notre Constitution dit expressément : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire- La forme républicaine et la laïcité de l’Etat ne peuvent faire l’objet d’une révision ». A ces éléments, la Cour en ajoute trois autres et cela de son propre chef.
Avec cela, il n’y a dans le pays que deux institutions souveraines : le Chef de l’Etat et la Cour Constitutionnelle. Et comme on le sait, si entre les deux, l’entente est parfaite, nous sommes en plein non plus dans un système démocratique, mais dans une dictature autocratique.
La réaction des Députés à la décision de la Cour est-elle légitime et légale ?
Comme le dit Antoine de Saint-Exupéry dans le « Le petit prince » quelle que soit la puissance d’un prince, si celui-ci « demande à son peuple de se jeter à la mer, le peuple va faire la révolution »
La réaction des Députés à la décision de la Cour est parfaitement légitime. Même si elle n’est pas inscrite dans une disposition constitutionnelle.
En effet aux termes de l’article 4 de notre Constitution « Le peuple exerce sa souveraineté par ses représentants élus et par voie de référendum. Les conditions de recours au référendum sont déterminées par la présente Constitution et par une loi Organique. » Comme on le voit, en dehors du peuple souverain «constituant originaire », c’est aux Représentants élus de ce peuple- les députés- que revient la souveraineté. Ce n’est pas à l’Exécutif, ni à un Chef d’Etat dans un système républicain que revient la souveraineté déléguée. Le Parlement est le seul véritable dépositaire de la souveraineté du peuple. On ne saurait a fortiori parler d’une institution qui ne doit ses attributions qu’en subdélégation comme la Cour Constitutionnelle. Si l’institution du juge constitutionnel dans l’histoire récente politique est due à la méfiance à l’égard de la souveraineté parlementaire, on ne saurait remplacer celle-ci par la souveraineté du juge constitutionnel, une institution non émanée du suffrage du peuple.
Devant une violation aussi flagrante de la Constitution par la Cour Constitutionnelle –en dehors du peuple qui peut par intervention directe sur la scène politique à travers un soulèvement ou une Assise à caractère constituante, rétablir sa volonté traduite en une Loi fondamentale, il ne revient qu’aux députés la légitimité de réagir pour rétablir la légalité démocratique en voie de liquidation.
Et c’est l’Honorable Députée, Rosine VIEYRA SOGLO qui lors des débats le jeudi 16 janvier dernier résume le mieux la situation. « Il est urgent déclara-telle que le Parlement prenne ses responsabilités pour arrêter le diktat de la Cour constitutionnelle. Nulle part au monde la Cour constitutionnelle n’a les pouvoirs qu’elle a au Bénin ».
Sommes-nous dans une crise, disons un bras de fer entre institutions ?
Certainement ; nous nous retrouvons dans une crise institutionnelle, corollaire d’une crise politique en maturation rapide. Le système né des Assises appelées « Conférence nationale », repose sur un pilier : la Cour constitutionnelle qui est la clé de voûte qui soutient l’édifice. Il est évident que la force du pilier n’est pas due à sa solidité intrinsèque, mais surtout au crédit que le peuple lui accorde. Mais dès lors que par sa pratique, ce pilier, la Cour, se révèle instrument de l’anti-démocratie, et que cette confiance lui est retirée, l’édifice ne peut que s’écrouler.
Peut-on parler à ce niveau de bras de fer ? Si l’on veut ; mais c’est le choc du pot de fer contre le pot de terre. Ici le pot de fer n’est pas ce qu’on pense. Le pot de fer ici, c’est l’Assemblée nationale et le pot de terre, la Cour Constitutionnelle dont les pratiques depuis des lustres ont révélé, avant même le constat des députés, le caractère anti- démocratique et tourné contre les intérêts du peuple.
Que faut –il faire pour y mettre fin ?
Pour y mettre fin, il faut au constituant originaire, c’est-à-dire le peuple, établir un nouveau Pacte social avec des règles qui garantissent à tout moment la souveraineté du peuple, le contrôle permanent de l’électeur sur les élus, le contrôle des gouvernés sur les gouvernants, établir des règles qui ne permettent pas à une institution non élue, par exemple, de valider un hold-up électoral, un k-o historique.
Réalisation : Léonce Gamaï
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