Professeur Ibrahim David Salami, Agrégé des Facultés de droit, Vice doyen de la Faculté de droit et de sciences politiques de l’Université d’Abomey-Calavi, Directeur du Master « Marchés publics et partenariats publics-privés et Avocat au Barreau du Bénin analyse la décision de la Cour constitutionnelle qui annule le rejet du budget de l’Etat béninois, gestion 2014 et ce qu’il appelle « la réaction d’orgueil du Parlement » qui s’en est suivie.
C’était dans une interview accordée à notre confrère de « Nord-Sud quotidien » et dont nous publions, ci-dessous, un large extrait ; réadapté avec l’autorisation de notre confrère.
La Nouvelle Tribune : Par la décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013, la Cour constitutionnelle béninoise a annulé le rejet du budget général de l’Etat, exercice 2013 par l’Assemblée nationale. Les « Sages » ont déclaré contraire à la Constitution le vote secret utilisé par les députés. La Cour est allée plus loin en intimant l’ordre aux députés de se réunir avant le 1er janvier pour reprendre le vote du projet de budget. Alors la Cour peut-elle faire convoquer une séance de l’assemblée nationale ?
Professeur Salami : C’est là où je prends ma distance vis-à-vis de la décision de la Cour constitutionnelle. Autant je comprends et même j’approuve la déclaration d’inconstitutionnalité délivrée sur le fondement du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, autant je considère que la Cour est allée trop loin en ayant peu d’égards vis-à-vis des élus de la Nation. Je rappelle que le Bureau de l’Assemblée nationale désigne quatre des sept membres de la Cour.
Intimer l’ordre de façon aussi cavalière aux élus de la Nation de se réunir en plénière en moins de 24h pour se prononcer impérativement sur la loi de finances, sans tenir compte de ceux qui sont dans leur fief au Nord du pays et sans tenir compte des mesures préparatoires d’une plénière est proprement inacceptable. Des élus de la Nation méritent plus d’égards au-delà de toutes suspicions fusent-elles légitimes …
Certes, ce n’est pas la première fois que la Cour adresse des injonctions au Parlement. Mais il me semble que la Cour est allée trop loin en fixant un délai impératif très court qui rend impossible l’exécution de sa décision. Et le Président de l’Assemblée a bien rappelé et martelé les « contraintes légales qui confirment l’impossibilité pour l’Assemblée nationale de mettre en œuvre la décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013 de la Cour constitutionnelle relative à l’annulation du vote de rejet de la loi des finances, exercice 2014 malgré son caractère impératif ».
Les « Sages » étaient peut-être dans une démarche pédagogique ?
Sans doute que la Cour constitutionnelle s’est voulue pédagogique. Mais comme le dit si excellemment une excellente collègue, Mme le Professeur Dandi GNAMOU, la seule femme agrégée en droit public au Bénin, « la fonction pédagogique n’est pas une fonction forcément comminatoire. La fonction pédagogique s’apprécie par rapport au raisonnement juridique cohérent du juge mais aussi au regard de l’effectivité de ses décisions. La décision du juge est aussi importante que la perception qu’en a le justiciable. Dans le cas d’espèce, la fonction pédagogique de la Cour s’adresserait à des élus du peuple?… Les députés ne sont pas des apprenants ou des justiciables dociles. Le risque qui se profile à l’horizon est que les députés en se braquant de plus en plus ne fassent plus cas des décisions de la Cour, on aura donc gagné une belle fonction pédagogique, mais on ne sera pas à l’abri du chaos politique. Je suis toujours convaincue de la nécessité pour le juge constitutionnel, pilier de notre démocratie mais en tant que pouvoir constitué, elle doit avoir un office mesuré. » (source inédite). Tout est dit et excellemment dit par la Marianne de la Faculté de droit et de sciences politiques de l’Université d’Abomey-Calavi.
Sur le fond, je considère qu’il n’y avait même pas urgence pour que la Cour constitutionnelle déploie une arme aussi lourde en en enjoignant à l’Assemblée nationale de se réunir en plénière en moins de 24 heures. La Constitution a prévu les moyens palliatifs à la non adoption de la loi de finances au 31 décembre. Il n’y avait à mon sens ni urgence ni crise encore moins blocage. Ce n’est plus une crise au Bénin du Renouveau démocratique que la loi de finances ne soit pas adoptée au 31 décembre. Une juridiction qui rend des décisions insusceptibles de recours doit être dans la mesure du possible irréprochable…
La réaction des députés à la décision de la Cour est-elle légitime, légale ?
En ne déférant pas à l’injonction de la Cour, le Parlement a montré qu’elle est une institution digne. Le Parlement n’est pas une institution subalterne, c’est la deuxième institution de l’Etat. Il est composé d’élus de la Nation qui méritent respect, égard et considération.
En même temps, les députés sont mal venus pour déclarer irrecevable une décision de la Cour. Cela relève d’un contresens juridique de prétendre que la décision de la Cour est contraire à la Constitution puisque l’interprétation de la Constitution par la Cour s’impose et a donc une autorité absolue jusqu’à ce que le pouvoir constituant remette en cause sa jurisprudence. Il faut donc dénoncer la surenchère d’où qu’elle vienne.
Malgré les critiques fussent-elles légitimes, il faut éviter de détruire les institutions de la République. Des parlementaires sont allés eux-mêmes trop loin dans leurs critiques de la Cour en s’en prenant à la personne du Président HOLO comme s’il était seul à rendre les décisions à la Cour constitutionnelle. Je me rends à l’évidence que la présidence de la Cour est un poste ingrat. N’oublions pas que les hommes et les femmes qui animent nos institutions méritent respect. Toutes les extrémités sont condamnables et doivent être évitées.
Malgré les nombreuses remises en cause des députés, ils ont fini par ratifier l’ordonnance du Président de la République. C’est peut-être là que réside le génie du système politique béninois.
Quelle leçon peut-on tirer de cette crise entre les institutions de la République ?
Plusieurs leçons peuvent être tirées de cette situation qui fait vivre le droit constitutionnel au quotidien au Bénin. Et les constitutionnalistes nous envient pour cela.
D’abord, cette situation a permis de retenir l’impossibilité constitutionnelle de se prononcer par vote secret sur la loi de finances.
Ensuite, il y a lieu de constater que la Cour en a trop fait en intimant un ordre impératif mais irréalisable. C’était une régulation de trop à mon sens. Elle aurait dû s’en tenir à la déclaration d’inconstitutionnalité. La Cour a sans doute surestimé sa capacité d’injonction à l’égard des députés en l’espèce. L’une des lacunes de sa décision du 30 décembre 2013 est qu’elle n’a donné la clé ni la solution du différend. Ce qui pose la question de l’efficacité et donc de la qualité de sa décision.
A cela, il faut ajouter que le Président de la République doit revoir à la baisse le nombre de députés qui soutiennent réellement son action. D’où une leçon sous-jacente, il y a un grand malaise dans la mouvance et par voie de conséquence dans le pays. On le savait, cette situation le révèle à un niveau très élevé.
Réalisation : Raoul Hounsounou (Nord-Sud quotidien)
Réadaptation : Léonce Gamaï
Laisser un commentaire