«On s’achemine vers une dictature qui ne dit pas son nom» Maurice Ahanhanzo Glèlè

Invité permanent du  juriste Prince Agbodjan, animateur de l’émission Libertas diffusée les jeudis sur la Radio catholique Immaculée conception sise à Allada, le professeur Maurice Ahanhanzo Glèlè met les pieds dans le plat. Il déplore la répression sanglante de la marche des syndicalistes qu’il qualifie  la violation  des principes de l’Etat de droit et se prononce clairement sur la dernière décision de la Cour Constitutionnelle.

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Interview :

Professeur, quel  message voudriez-vous  partager rapidement avec les auditeurs avant qu’on  entame le thème de notre émission de ce jour?

Je rends grâce à Dieu je souhaite que l’Esprit Saint m’inspire et me guide. Je voudrais présenter toutes mes excuses à tous ceux qui écoutent Radio immaculée. J’ai été absent pour des raisons de santé, mais j’ai laissé des enregistrements avant de partir. Je suis rentré depuis un moment. J’ai fêté la  Noël et le Nouvel An ici, je rends grâce à Dieu. Et je voudrais profiter de cette première émission pour souhaiter à chacun une bonne, heureuse et sainte année 2014. Que le seigneur nous donne à chacun, une santé solide. Et pour reprendre les termes de l’écriture, la santé parfaite.  Qu’il nous donne le courage dans les épreuves et que nous ayons le discernement, beaucoup de sagesse dans tout ce que tout ce que nous disons, tout ce que nous faisons sur en cette période de turbulence nationale.

Professeur, pour commencer cette émission, j’ai eu l’honneur d’avoir  vos mélanges  offerts au professeur Gonidec en 1985dont le titre était «l’Etat moderne horizon 2000 : aspects internes et externes». Dans ces mélanges de 1985, vous avez fait une très belle communication sur l’Etat de droit en Afrique. Et vous vous interrogiez sur la nature du pouvoir personnel en Afrique»  Aujourd’hui, quel regard portez vous sur le pouvoir tel qau’il est exercé chez nous ?

Prof Maurice Ahanhanzo Glèlè : Merci de vous référer aux mélanges  dédiés au Professeur Gonidec, «l’Etat moderne en Afrique». J’ai pris l’initiative, des Mélanges, et le professeur Gonidec, un grand africaniste, un grand juriste et mon souciétait d’avoir, dans nos Etats africains, un Etat de droit, un Etat où la loi règne, on se réfère à ce que dit la loi.  La loi c’est  l’organe qui dit comment nous devons être conduits, comment nous devons nous comporter dans nos Etats. Depuis 85,  cela me préoccupait et merci de vous êtes référés à ce texte. Si j’avais à écrire ou à réécrire, cet article des mélanges Gonidec,  je  serais plus sévère. Mais j’ai été vrai et je reste vrai dans ce que je pense.

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Pourquoi vous  serez sévère, professeur?

Prof: parce que nous avons tenu la Conférence Nationale en 90, donc cinq ans après la parution des Mélanges Gonidec où je plaidais déjà pour l’Etat de droit. Nous avons opté pour l’Etat de droit au Bénin et je vois que tout le monde se plaît à parler de l’Etat de droit, mais qui n’est pas respecté. Ce n’est pas du tout respecté. Je vous ai dit que je suis rentré fin décembre, Je prends l’exemple du drame que nous avons connu à la Bourse du travail pour illustrer mes propos. Nous avons fondé un Etat qui est lui-même né de notre adhésion à l’idéal de respect de la personne humaine, donc des libertés publiques, et nous constatons, alors que la constitution le prévoit expressément, nous constatons que des  syndicalistes veulent marcher pour leur droits, et cela se passe de façon paisible, et voilà qu’on tire sur eux. On les frappe et tout, donc pour moi c’est inadmissible, j’étais stupéfait de voir ça. Je l’ai vu à la télé. On ne m’a pas raconté. Je dis que ce n’est pas possible qu’après 90, on en  soit encore là. Les  plus vieux d’entre nous, ont vécu  un drame similaire  en 1958. On ne peut pas tirer, quels que soient les motifs, surtout, on ne peut pas tirer sur  les syndicalistes qui défendent pacifiquement leurs droits .

N’y avait-il pas risque de trouble à l’ordre public?

Prof: il n’y a pas de trouble à l’ordre public. On aurait pu évoquer le trouble à l’ordre public, certains mobiles ou motifs que nous les juristes, utilisons. Souvent on a recours à ce mythe de trouble à l’ordre public. C’est une excuse facile. Alors, en voyant cela, je dis qu’on n’est pas dans un Etat de droit. J’entends souvent les ministres, et même le chef de l’Etat lui-même, dire que nous sommes dans un Etat de droit. Dans quel Etat de droit ? Dans un Etat de droit, il y a des institutions qui sont constituées. Ces institutions comprennent, bien sûr, ce qu’on appelle les contre pouvoirs…Tout pouvoir a tendance à abuser de son autorité..C’est pourquoi des penseurs, des chercheurs, ont émis l’idée, qui a été adopté sur le plan mondial, dans l’Etat moderne, il faut que, le pouvoir arrête le pouvoir. C’est-à-dire, il faut qu’on dise, vous êtes chef d’Etat, vous ne pouvez pas faire n’importe quoi.

Donc ce n’est pas parce que vous êtes chef d’Etat que tout vous est permis?

Prof: Il y a eu des monarchies absolues dans le monde et dans notre pays aussi. Moi, Maurice Ahanhanzo Glèlè, je me rappelle, il y a eu des monarchies absolues. Il y avait des exactions, mais,  c’était des dictatures éclairées. On n’arrête le pouvoir et quand, à un moment donné, les comportements ne correspondent plus aux règles fondamentales du royaume, on vous met de côté. Nous savons au Bénin, comment – normalement je ne devrais pas prononcer son nom- le roi Adandozan a été écarté du pouvoir. Alors !

Et donc dans ce temps de monarchie absolue, le pouvoir devrait arrêter le pouvoir. Et c’est justement ce que vous mettez dans le mot contre pouvoir.

Prof: le contre pouvoir, c’est qu’on vous dit, par exemple, pour être très simple,  nous avons la cour constitutionnelle, nous avons l’autorité judiciaire qui  doit pouvoir arrêter les dérives du pouvoir – généralement le pouvoir exécutif. Et, nous avons par exemple, un organe la Haac que les gens connaissent, dont le rôle est  de protéger la liberté d’expression, de parole. La Haac ne peut pas aller dans le sens qu’elle veut. Elle est un organe chargé de garantir la liberté de presse, la liberté de pensée, la liberté de parole mais elle ne peut pas s’autoriser ou s’attribuer le pouvoir d’interdire tel organe, tel journal.

Donc professeur, en nous donnant l’essence des contre pouvoir, vous êtes foncièrement contre cette répression des syndicalistes qui marchaient?

Prof: hé! autant que je m’en souvienne, j’ai quand même fait 10 ans à la cours constitutionnelle. j’ai eu est-ce que c’est une chance, j’ai eu la responsabilité, élu par la conférence des forces vives de la nation, j’ai eu la responsabilité de présider la commission qui a rédigé la constitution. Donc je la connais quand même de l’intérieur.

Vous avez prévu ces cas là dedans?

C’est inadmissible ! Je viens de dire, c’est inadmissible. Nous avons adopté un Etat de droit, nous avons fondé cet Etat sur la dignité de la personne humaine. Nous avons proclamé les libertés publiques et il y a dans notre constitution, une trentaine d’articles consacrés aux droits et devoirs du citoyen. Nous avons reconnu que le citoyen peut faire grève. Dans la fameuse relecture de la constitution, nous avons dit ceci : «vous avez le droit de faire grève, mais celui qui veut aller travailler, vous n’avez pas le droit de l’en empêcher.» Comme le président de la République a fait de nos propositions ce qu’il a voulu, c’est resté là. Mais c’est ça qui est fondamental dans le droit du travail.

Donc le droit de grève est reconnu, on ne doit pas traiter celui qui est en grève d’anti-patriote, d’ennemi du pays?

Prof M.A.G : non!

Mais nous avons vu des ministres le dire ?

Prof: c’est dommage ! C’est dommage qu’on en arrive là. Pour toutes ces raisons je dis, si j’avais à écrire aujourd’hui, quelque chose sur l’Etat de droit au Bénin, sur le pouvoir personnel, je vais employer des termes plus forts.

J’ai dit sur cette antenne qu’on s’achemine vers une dictature qui ne dit pas son nom.

Vous l’avez déjà dit, vous le répétez?

Prof : je l’ai déjà dit et je le répète.  C’est dommage ! C’est dommage ! Nous avons connu le Bénin d’avant 1990. Depuis 90, nous connaissons les textes que nous avons adoptés. Nous avons tous, opté pour l’Etat de droit. Un Etat de droit fondé sur les libertés fondamentales qui sont les libertés de l’homme, inhérentes  à la personne humaine. Il faut respecter la personne humaine.

Mais professeur vous venez de condamner vivement la répression de la marche des syndicalistes. Mais n’a-ton pas prévu dans la constitution des pouvoirs qui peuvent dénoncer cela? C’est-à dire une institution gardienne des liberté publiques, des droits de l’homme, gardienne du respect de la constitution, pour dire à l’Exécutif « halte là !»

Prof : Dans un pays qui se dit adepte de l’Etat de droit, on n’applique pas les règles inventées de toutes pièces, on interprète, on ne négocie pas. Les droits de la personne humaine sont non négociables. On ne peut pas négocier la liberté de vie, la liberté d’aller et de revenir, de dire que je suis content, je ne suis pas content, la liberté de pensée, la liberté d’expression. Je dirai que tout ceci trahit le mépris qu’on a pour notre constitution.

Donc vous estimez que c’est un mépris pour la constitution?

Prof : oui. Nous avons un organe, la cour constitutionnelle qui est chargée de la protection des libertés publiques. Je ne veux pas encombrer les populations qui malheureusement à 85% ne savent pas lire de texte constitutionnelle etc. Mais   je dis une chose, il est prévu et je l’ai appliqué, nous l’avons appliqué dans les décisions que nous avons prises de 1993 à nos jours.

Donc jurisprudence constante?

Prof: oui jurisprudence constante établie. La cour constitutionnelle aurait dû réagir

Comment, si elle n’est pas saisie?

Prof : elle aurait dû réagir. Elle peut se saisir de ces cas flagrants de violations des droits de l’homme et je me demande pourquoi ce silence assourdissant .

Professeur, il faut être dans ce studio pour émotion, votre état d’âme. Vous ne comprenez pas ce silence, Vous ne comprenez pas le comportement des acteurs, et c’est ça qui nous amène à réfléchir.

Prof: de toutes les façons je vais dire ceci : on n’avait pas le droit de tirer sur les syndicalistes.

Vous, vous dites c’est non

Prof : c’est non, c’est non ! C’est violer notre constitution. C’est la violation de notre idéal de 1990. Nous avons tous voté cette constitution. Je ne vais pas m’amuser à vous rappeler à quel taux etc. mais  nous savons que la très grande majorité de Béninois a adopté cette constitution qui a été discutée, qui a été élaborée par une commission, approuvée par le Hcr et nous avons fait un travail de vulgarisation des textes constitutionnels avant de procéder à un référendum. Ce que le gouvernement nous a promis, le président me l’a dit, je suis encore vivant, je rends grâce à Dieu d’être là  pour que vous me traitiez de jeune. Je suis là et je rends grâce au seigneur, parce que rien n’est au dessus de lui. Ce que vous avez lu dans les mélanges Gonidec, c’est que les chefs ramènent toujours tout à leurs personnes. Ils se prennent pour des dieux.

Ce qui n’est pas bon pour un Etat de droit?

Prof : Ce qui n’est pas  bon pour un Etat de droit.Les chefs d’Etat ne sont pas Dieu. Ils ne peuvent pas être un dieu même.  Ils n’ont même pas le rang de nos divinités traditionnelles parce qu’il y a des choses qu’il faut respecter,  qu’on ne respecte pas.  Je dirai en bref ceci. Vous voyez que nous reculons de jour en jour et d’année en année. C’est triste ! Et à l’extérieur ,les gens seraient surpris de savoir qu’il y a grève au Bénin aujourd’hui et qu’on tire sur les syndicalistes, les syndicats molestés. Ça ce n’est pas bon. On ternit l’image du Bénin et on fait honte et on se demande où nous allons. 

Et vous pensez que nous sommes déjà près de la pagaille ou, nous sommes déjà dans la pagaille

Prof : vous me posez une question, à laquelle vous me permettrez de ne pas répondre. Mais j’ai peur, j’ai peur pour ce qui se passe. J’ai peur que nous courrions droit dans le mur. Pour tout dire, j’ai lu récemment comme vous les décisions de la Cour constitutionnelle, on aura l’occasion d’en parler. Je fais mes plus grandes réserves sur les décisions de la Cour constitutionnelle. Libre à elle de dire que le vote était inconstitutionnel parce qu’on n’aurait pas suivi une certaine procédure. Mais allez jusqu’à dire que vous devez vous réunir impérativement. La Cour n’a pas d’injonction à donner au parlement. Et ça je le dis pour que mes amis de la Cour constitutionnelle sachent s’arrêter et aient le discernement nécessaire pour ne pas outrepasser leurs compétences. Sinon c’est la Cour par ses décisions qui risque d’alimenter les polémiques, les tensions qui sont déjà flagrantes entres les différentes institutions, entre le peuple et  ses autorités publiques. Il faut que la Cour réfléchisse sainement. Nous quand nous étions à la Cour, j’ai fait la Cour sous madame Pognon, que se passait-il ? On passait une heure à rédiger une seule phrase. Parce qu’on se dit attention. Et moi j’avais l’habitude de demander, que disent les textes ? Et puis je dis « est-ce que votre raisonnement là tient la route ? » Un ancien collègue de la Cour me l’a rappelé l’autre fois « tu nous embêtais chaque fois, tu disais que disent les textes ? Est-ce que votre raisonnement çà tient la route ? »  Et  je salue la mémoire du professeur Alexis Hountondji.q

(Interview réalisée pour le compte de Radio Immaculée Conception par Serge Prince Agbodjan. Transcription Olivier Ribouis)

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