Jude Zounmènou, Directeur artistique de l’association «Thakamou culture-arts » et délégué général du festival international des arts de la Marionnette Téni-Tédji qui se tient tous les ans au Bénin.
Approché au terme d’une représentation de spectacle de Marionnette « Aujourd’hui mon lendemain » à l’Institut français de Cotonou, nous parle de fond en comble de cet art et de son avenir au Bénin.
A quoi sert la marionnette?
La marionnette a plusieurs fonctions. Elle a d’abord une fonction sociale et ludique. La marionnette apporte de la joie à ceux qui en ont besoin. Et ça, c’est sa fonction sociale et ludique. Elle a aussi une fonction politique parce que par l’art de la marionnette, nous pouvons apporter un changement politique dans notre pays. Vous suivez un peu sur Tv5 «Les guignols de l’info ». Je pense que c’est purement de la satire politique. Donc la marionnette a une fonction politique et une fonction sociale.
Avènement de la marionnette au Bénin, parlez-nous-en.
Avant nous, la marionnette a existé au Bénin. Mais dès les années 90 jusqu’en 2010, la marionnette au Bénin, n’existait plus. Comédien que je suis, je me suis dit que c’est un pan de la culture béninoise qui dort, qu’il faut développer. Et là c’était un rêve, une réflexion personnelle à mon niveau. Mais je ne pouvais pas porter ce projet tout seul et j’ai associé des personnes qui croyaient en moi et aujourd’hui nous avons commencé à développer l’art de la marionnette au Bénin. Quand on commençait, on avait une troupe de marionnette qui était tout temps en Europe mais pas au Bénin. La compagnie «Dit tous». Aujourd’hui, la compagnie a pu susciter des vocations chez des Béninois qui ont commencé. Ceux-là, jusqu’en 2012, ne pratiquaient pas de la marionnette. Mais par le biais du festival international des arts de la Marionnette Téni-Tédji qu’on a créé, ils ont été formés et ils pratiquent l’art de la marionnette. Donc on a suscité des vocations, on a incité des personnes à créer des compagnies et aujourd’hui la marionnette a repris vie au Bénin où la demande est plus que l’offre actuellement. On nous sollicite partout, il y a des offres qu’on rejette parce que nous sommes une minorité qui pratique ce pan de la culture au Bénin.
Au regard du spectacle «aujourd’hui mon lendemain » que vous venez de présenter aux enfants, est-ce que la marionnette est destinée à tous les âges?
La marionnette est destinée à tout le monde. Généralement les gens disent «Oui, la marionnette, c’est pour les enfants. » C’est archifaux ! Chaque année, nous faisons des tournées nationales dans nos villages du Bénin. Mais chaque fois dans les quartiers, je vois des vieux qui s’abaissent pour voir dans le castelet parce qu’ils voient de la magie. C’est comme une magie pour eux. Ils se demandent si c’est une personne qui manipule ou bien de la magie et ils s’abaissent pour regarder dedans. La marionnette, c’est pour tout le monde. La marionnette n’a pas d’âge. Que tu sois vieux ou jeune, tu dois aimer la marionnette.
Si je décide maintenant de faire de la marionnette, de quoi ai-je besoin?
Pour faire de la marionnette il faut d’abord avoir la volonté et il faut être disponible. En dehors de la volonté et la disponibilité, il faut avoir le sens de créativité. Le matériel de travail, ce n’est pas compliqué. Tu peux faire de la marionnette sans argent. Une lunette peut aider à faire de la marionnette. Tu as besoin de ton intelligence pour faire de la marionnette. Il y a des marionnettes qui nécessitent beaucoup d’autres choses, mais pour un débutant, il a besoin de tout ce qu’il trouve, même une bouteille, un portable peut servir à faire de la marionnette. Donc on a besoin de tout pour faire de la marionnette.
Pour préparer un spectacle de marionnette comme ce que vous venez de présenter, comment s’y prend-on?
Lorsque tu as un spectacle, tu te demandes quel spectacle pour quel public ? Le spectacle que je veux faire est destiné à quel public ? Dès que tu règles ce problème-là, tu choisis un thème et tu travailles comme tout comédien. C’est un travail de table, tu fais de la distribution comme ça se passe actuellement au théâtre. Après cette distribution, chaque marionnettiste va à la rencontre de sa marionnette. Le marionnettiste se demande, « ma marionnette à quel âge ? Quelle attitude ? Et veut parler à qui ? Le marionnettiste se pose toutes ses questions et va maintenant à la fabrication de sa marionnette. Les différentes étapes sont donc, prendre connaissance du type de public, le choix d’un thème, la distribution, le travail de table, la fabrication de la marionnette et la mise en scène. On est libre de jouer dans un castelet ou soit comme ça sans castelet. Le castelet est un arsenal. C’est dans le castelet que les marionnettistes manipulent les marionnettes.
Puisque vous parlez tantôt de demandes plus nombreuses que l’offre, le jeune sans emplois qui se sent apte à le faire, peut –il venir à la marionnette et espérer vivre de cet art?
C’est vrai, au Bénin des gens disent qu’on ne peut pas vivre de l’art. Beaucoup le disent, mais je les ris au nez. C’est vrai qu’il est très difficile de vivre de l’art au Bénin parce que les conditions ne sont pas réunies pour vivre de l’art. Si tu es disponible, si tu as la volonté, je pense que tu peux réussir dans la marionnette et même dans le théâtre. Mais il ne faut pas être pressé. Il faut vraiment apprendre. Il faut avoir de la créativité et travailler selon les normes de l’art. Je ne sais pas pourquoi aujourd’hui tout le monde veut être dans la fonction publique, tout le monde veut être engagé. Moi je n’ai jamais rêvé d’être engagé par qui que ce soit. Je travaille pour moi-même et dans ce travail j’apporte un plus à ma communauté. On n’a pas besoin d’être à la fonction publique avant de réussir sa vie. Mais si tu te mets dans la tête que c’est pour gagner de l’argent que tu es venu à la marionnette, tu vas échouer. Je dis à mes collègues, et c’est notre vision, travaillons et notre travail travaillera à notre place. Quand on créait Téni-Tédji, c’était sans bailleur, sans financement, mais aujourd’hui les gens ont commencé à croire en ce projet. Ça a commencé par prendre. Si on se disait que oui, c’est pour gagner de l’argent, on allait raccrocher depuis la deuxième édition. Mais là, on tient, on suscite des vocations et c’est plus tard que l’argent viendra. Dès que nous allons nous imposer par notre travail, des gens vont nous solliciter de partout et ça fera rentrer des devises dans l’association et tous autant que nous sommes, individuellement on peut être payé par rapport à ce travail. Donc si tu as pour objectif de te faire de l’argent en venant à la culture, tu vas désenchanter très tôt et tu vas partir or par la culture, tu peux réussir.
De votre position de marionnettiste, comment définissez-vous la marionnette et pour finir, dites quel est son avenir au Bénin?
Pour moi, la marionnette est une double communication. C’est d’abord une personne qui transmet l’émotion à la marionnette et la marionnette à son tour transmet cette émotion au public. La danse de la marionnette, c’est de la magie. Tu peux faire dire à la marionnette ce que tu ne peux pas dire publiquement. Donc la marionnette est un vecteur de communication. Quant à l’avenir de cet art, je pense qu’il y a de l’espoir. Au départ j’avais rêvé seul et aujourd’hui, ce rêve est celui de toute la population béninoise. Je crois en l’avenir de la marionnette sinon je ne serai pas là.