Nombreux sont les graves dysfonctionnements qui ont participé à la réalisation de la Lepi en 2011. Et qu’en est-il de sa correction? Un véritable saut dans le vide, une farce politique légalement orchestrée pour voiler la face au peuple et faire perdurer la fraude dans le temps.
C’est du moins l’essentiel de ce qu’on peut retenir de la soirée politique qui s’est tenue vendredi dernier au siège de la fondation Friedrich Ebert, après un regard croisé des acteurs politiques et de la société civile sur la Liste électorale permanente informatisée (Lepi).
S’il y a un point sur lequel le débat a le plus tourné ce vendredi soir, c’est bien entendu celui relatif à l’enregistrement sur la liste de près de 2.200.000 personnes, uniquement sur la base de témoignages, sans aucune pièce d’état civil, au cours de la confection de la Lepi en 2011.
Cette soirée politique a permis à une large partie de l’opinion publique de comprendre que cette grave anomalie n’est pas incluse dans la correction de la Lepi qui est actuellement en cours. Et pour cause la loi votée par les députés et qui porte sur le toilettage de la Lepi, dispose en son article 51, qu’on ne saurait procéder à un tel nettoyage avant 2017. Le député Basile Ahossi, membre du Cos-Lepi, en charge de la Correction de la Lepi, et l’un des invités du panel de la soirée politique, croit savoir que cette interdiction d’auditer la Lepi, dans son intégralité, est l’une des nombreuses incohérences que regorge la loi portant sur la correction de la Lepi. « Il y a des gens dans la base de donnée qu’on ne connaît pas. Chose qu’on aurait pu corriger, mais la loi de la correction dit qu’on ne doit pas y toucher avant 2017 », a-t-il déclaré. Selon lui, même au Mali, qui était un pays déchiré par la guerre, le témoignage n’a pas été utilisé comme critère d’identification lors de la confection de la liste électorale. Il n’arrive donc pas à comprendre qu’on puisse l’imposer au Bénin jusqu’en 2017, empêchant de ce fait de procéder à un vrai audit de la Lepi, et par conséquent à une vraie correction. « Quand on fait une mauvaise liste on doit s’asseoir pour réfléchir. On doit auditer la liste. Mais maintenant que la loi demande de ne pas auditer la Lepi avant 2017, sur quelle base la corrige-t-on alors présentement ? » A renchérit Orden Alladatin, acteur de la société civile et expert électoral, avant d’ajouter que le processus de la correction en cours ne pourra pas permettre d’utiliser la lepi pour les prochaines élections. Aurélien Agbénonci, lui aussi invité à ce débat, a pour sa part estimé qu’on ne peut faire une meilleure correction de la Lepi sans avoir au préalable procédé à un audit. Il a affirmé que « Nous tournons en rond et si cela continue, on risque de se retrouver là où on ne souhaite. Il faut qu’on sorte de là». Et pour sortir de là, Aurélien Agbénonci pense qu’on doit placer la Lepi sous le contrôle d’un organe non politique ; car selon lui, avec le climat de suspicion qu’alimente le sujet sur la Lepi on doit rester le plus transparent que possible. A en croire le président du Cos-Lepi Sacca Lafia, quatrième invité du panel de la soirée, qui ne semble pas être de l’avis des autres débateurs, ce qui est en train d’être corrigé actuellement n’est pas moins important. Il estime que ce n’est que progressivement que la liste sera nettoyée. Il a expliqué que ce qui est principalement reproché à la liste et qui mérite d’abord d’être corrigé, c’est la cartographie censitaire ; c’est le cas, entre autres, de ceux qui ne se retrouvent pas sur la liste ; mais aussi de ceux-là qui s’y retrouvent, mais sont positionnés dans des bureaux de votes situés à des kilomètres, ou inconnus.
Le vrai visage de la Lepi
La plupart des Béninois ne croient pas en l’existence d’une réelle Lepi. Dans ce cas, que corrige-t-on véritablement aujourd’hui au niveau du Cos-Lepi à Agblangandan ? Le député Basile Ahossi a affirmé sur ce point : «je puis vous dire aujourd’hui qu’il y a une liste au niveau du Cos-lepi. Mais est-ce la Lepi ? Je ne saurais le dire. Pour ma part, je crois que la Lepi doit être une liste sécurisée avec des données biométriques et non une liste tirée des ordinateurs ». Pendant ce temps le député Sacca Lafia s’est dit relativement satisfait de la Lepi telle que confectionnée en 2011, d’autant plus que cela permet d’avoir aujourd’hui un fichier qui est en train de faire l’objet d’une correction. « On aurait voulu qu’elle soit plus meilleure », a-t-il ajouté, mais selon lui, certaines étapes de cette liste ont été faussées parce qu’il fallait aller plus vite afin que le délai constitutionnel, en vue de l’organisation des élections présidentielles de 2011, soit respecté.
En revenant sur les différentes étapes qui ont permis de confectionner la Lepi, Orden Alladatin a mis l’accent sur comment elles ont été carrément sabotées dans la précipitation. De la cartographie censitaire à l’enregistrement des données, en passant par le recensement porte à porte, il a expliqué comment le travail a été expédié, malgré des recommandations de la classe politique et de la société civile, sans tenir compte d’une certaine orthodoxie qui devait servir de norme. « Je suis surpris, quand on dit que nous avons la meilleure liste dans la sous-région. Je crois plutôt que nous avons une liste bâtarde », a estimé Orden Alladatin. Quant à Aurélien Agbénonci, il a estimé que la Lepi devrait être un outil de modernité, un instrument de développement qui doit permettre d’identifier les citoyens. Selon lui, la Lepi doit pouvoir servir aussi bien à l’établissement d’une carte d’électeur qu’à celui d’une carte d’identité. Mais tel qu’élaborée actuellement, ce n’est pas le cas. Il a surtout évoqué la nécessité de maintenir un climat de confiance afin de couper court au flot de suspicion qui entoure le dossier de la Lepi.
Des propositions pour une meilleure Lepi
On peut noter qu’au cours de cette soirée politique sur la Lepi, les débateurs ont fait deux propositions essentielles pour régler dans la transparence et dans les meilleures conditions le problème de la Lepi. Il s’agira d’abord en un premier temps de ranger définitivement la liste à polémique qui n’est pas du tout fiable afin de recourir à une liste intermédiaire ou ad’hoc qui permettra d’aller dans un bref délai aux élections communales. Et ensuite, il sera nécessaire de soustraire la Lepi du contrôle des acteurs politiques au profit des organes purement techniques. Cette dernière suggestion permettra surtout d’imposer un climat de confiance autour d’une Lepi qui alimente beaucoup la suspicion entre les acteurs politiques.