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Kraké-plage et Sèmè bordel

La frontière bénino-nigériane de Sèmè est, depuis toujours, un exemple de bordel grandeur nature. Il y a six ans, ce site m’avait déjà inspiré un livre (Poulet bicyclette et Cie, Gallimard, 2008). Malgré l’expérience plusieurs fois vécues dans cet univers du vrac, j’ai du mal à encaisser les turpitudes auxquelles vous soumet cette faune d’emberlificoteurs à l’occasion de la traversée.

Ici, aucun bâtiment administratif n’abrite les services douaniers. Il y a quelques années, le Bénin avait voulu moderniser ses installations. Les poulaillers qui servaient de bureaux aux agents, devraient, s’était-on dit, être remplacés par des bâtiments flambants neufs. Que, du côté nigérian, on continue d’officier dans des petits hangars aux allées improbables avec des coupe-gorges parfaitement sinueux, ne fait pas nos affaires. Le petit Bénin entendait s’offrir, aux yeux de son grand voisin, un visage plus avenant. Mais c’est connu : dans notre pays, plus qu’ailleurs, les bonnes intentions se limitent souvent à la rhétorique stérile: les constructions amorcées se sont vite arrêtées. Seuls,  leurs squelettes, des maçonneries aux formes tassées, sont là pour témoigner de la mauvaise foi des entrepreneurs et des hommes politiques.

Pour donc éviter l’enfer de la traversée, je prends un zem avec mon accompagnatrice. Le zem est censé connaître les traquenards et les filouteries afin de les contourner. Les barrières, ici, poussent partout de l’herbe et les « klébés », ces sous-traitants en vols des douaniers,  y sévissent toujours. Sur les deux cents mètres de chemin avant le no man’s land, ils sont là, bâton en main, tirant sur une corde qui tient lieu de barrière. Mais le zem joue de maladresses. A moins qu’il soit de mèche avec eux. Car, à chaque fois, des klébés, me tombent dessus. Qu’ils hurlent à tout vent ou qu’ils me parlent à mi-voix, cela se conclue généralement par des « okay, oga, give-me three hundred ».  Le plus incroyable, c’est lorsque, jaillissant brusquement du néant, ils agrippent le zem et lui ordonnent de s’arrêter. Ils disent vouloir me fouiller, dans un hangar, à vingt mètres de la voie, dans un gourbi.

Je refuse. Ils hurlent, menacent. La discussion dure cinq minutes. Au bout, un autre mec apparaît, m’explique d’une voix calme qu’il s’agit d’une fouille ordinaire, qu’ils appartiennent à la brigade des stupéfiants. Je demande à voir leurs cartes. Ils se regardent, hésitent. Je vois la nervosité lézarder leurs visages. Le nouvel arrivé me brandit un carré de papier chiffonné, sommairement plastifié aux écritures détergées par l’eau.

« Tonton, me souffle le zem, ça ne va pas durer » !

Je me laisse alors entrainer. Le zem porte mon bagage et me suit. Mon accompagnatrice, elle, est aux aguets. Le hangar ressemble  à une cage à pigeons redimensionnée avec deux pièces.  On me demande d’exposer ma valise sur une table. La fouille n’est pas ordonnée. On ne sent aucun professionnalisme. Des voyous comme pressentis. A la fin, ils se rendent compte qu’il n’y a, dans mes affaires, que des livres et que je ne suis pas le pigeon qu’ils espèrent plumer. D’ailleurs, l’un d’eux me demande de lui donner un roman.

-Leave me, I have to go, leur dis-je.

Un autre gogo, ramené d’urgence par des rabatteurs, attend à l’entrée. Je range mes clics et clacs. Ils tentent de m’arracher un sourire en me racontant une blague pourrie. Je les entends à peine  et reprends le chemin avec le zem. Mais à peine le taxi-moto roule sur cinquante mètre que d’autres klébés sortent et me demandent mon passeport. Le zem accélère, fonce sur eux et faillit même les écraser. Ils détalent. Mais l’enfer de Sèmè ne fait que commencer.

 

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