La cour suprême et le devoir de s’indigner

La cour suprême a  rendu publics ses deux arrêts vendredi dernier dans les dossiers  rocambolesques et scabreux dits de tentative d’empoisonnement du chef de l’Etat et d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Dix mois, presque jour pour jour, après les deux arrêts de non lieu prononcés le 1er juillet dernier par la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Cotonou. 

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Dix mois qui s’ajoutent malheureusement aux presque neuf mois de détention préventive des premiers protagonistes de l’affaire dite d’empoisonnement du chef de l’Etat. Affaire qui a éclaté, on s’en souvient, le 20 octobre 2012. Le moins qu’on puisse dire est que ces deux arrêts qui visent deux affaires impliquant les mêmes protagonistes ont de quoi couper le souffle : Une simple erreur matérielle du collège des trois hauts juges de la Chambre d’accusation de la Cour d’appel amène les juges de la Cour suprême à renvoyer, sans autre forme de procédure, les deux dossiers  à la Cour d’appel. Ainsi, nous apprend-on, les trois juges ont fondé  leurs arrêts sur des articles tirés de l’ancien code de procédure pénale abrogé par le nouveau code de procédure pénale entré en vigueur le 29 mai 2013, soit plus d’un mois avant les arrêts querellés du 1er juillet 2013 prononcés par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Cotonou.

C’est à ce niveau que plusieurs interrogationspeuvent surgir : Comment les trois hauts magistrats de la chambre d’accusation, une juridiction censée être au-dessus de la juridiction de 1ère instance ont-ils  pu « méconnaitre » à ce point, l’existence du nouveau code de procédure pénale promulgué par le chef de l’Etat déjà le 18 mars 2013 ? Quelle est la procédure suivie en matière de transmission des lois votées par le parlement et promulguées par le président de la république ? A supposer même que la procédure souffre de certains dysfonctionnements dont notre administration est coutumière, comment peut-on comprendre que des juges de si haut niveau n’aient pas suivi par eux-mêmes le processus de transmission de ce code si important pour l’amélioration du système judiciaire, d’autant que ce code a été voté par le parlement et contresigné par le président de la république à la date du 18 mars 2013, soit plus de trois mois avant la reddition de l’arrêt du 1er juillet de la chambre d’accusation ? S’il ne s’agit  pas de légèreté, on peut tout de même reconnaître que ça y ressemble étrangement. De ce point de vue, on comprend mieux le combat de l’Unamab, le remuant syndicat des magistrats, pour contraindre l’Exécutif à mettre « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ».

Les observateurs de la vie politique béninoisede ces deux dernières années et les juges de la Cour d’appel de Paris qui ont  fondé, entre autres,  leur refus d’extradition des sieurs Patrice Talon et Olivier Boko sur les deux arrêts de non lieu du juge d’instruction Angelo Houssou et de la Chambre d’accusation  peuvent difficilement comprendre que c’est suite à une «méconnaissance», du code de procédure pénale pour employer le terme cher à la Cour Holo, que les juges suprêmes ont cassé les deux arrêts. Les préjugés ayant la vie dure, certains ne parleraient pas seulement de légèreté mais d’incompétence, sans qu’on ne puisse rien trouver à redire. Et, c’est l’image de la justice de notre pays qui serait durablement ternie ,car nous venons de donner la preuve au monde entier que nos juges placés à un degré supérieur de la hiérarchie judiciaire peuvent se tromper sur un point aussi essentiel que  celui de la loi à appliquer à des gens maintenus arbitrairement en détention préventive depuis des mois.  Les avocats de la partie civile doivent donc avoir le triomphe modeste, eux qui disent opportunément être fiers de la justice de notre pays. Même si on comprend leur empressement à saluer la justice, on ne peut s’empêcher de reconnaître que cette prouesse du juge suprême est intervenue au bout de six  mois. En effet après la reddition de l’arrêt de la chambre d’accusation, il a fallu quatre longs mois au procureur général Gilles Sodonon pour transmettre le pourvoi que lui-même avait formé à la Cour suprême. « une simple question de lenteur administrative » avait indiqué, pince-sans- rire un des avocats de la partie civile à l’époque. Dix longs mois pour sortir de leur chapeau de magicien du droit, le petit lièvre de l’erreur matérielle fatale aux présumés empoisonneurs et comploteurs embastillés depuis plus d’un an pour les uns et plus de vingt mois pour les autres. On doit  avouer que le gibier est bien maigre !

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