Réaction à la décision de la CCJA : le gouvernement compromet la réussite de la table ronde de Paris, selon Victor Topanou

Par une décision rendue le 13 mai dernier, la Cour commune de Justice et  d’arbitrage d’Abidjan a condamné l’Etat béninois dans le différend qui l’oppose à la société Bénin Control dans le cadre de l’Affaire Pvi.

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Victor Topanou, professeur de Sciences politiques et ancien ministre de la Justice apprécie la réaction  comme une « rébellion contre « l’autorité de la chose jugée » En mai 2012,  le gouvernement a résilié de façon unilatérale, le contrat liant l’Etat béninois à la société Bénin Control. Cette dernière avait été sélectionnée suite à un appel d’offres international pour gérer la réforme du Programme de vérification des importations de nouvelle génération (Pvi-Ng) au port de Cotonou. C’était en mai 2012.  La société Bénin Control de l’homme d’affaire Patrice Talon a alors saisi la Cour commune de justice et d’arbitrage (Ccja) d’Abidjan de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (Ohada). L’Etat béninois a été condamné à payer à la société Bénin Control 129 milliards ou lui retourner le marché d’exploitation du Pvi-Ng.

L’annonce de la décision a été suivie par une vague de réactions, aux allures de rébellion,  des autorités béninoises. Du président de la république au ministre du Développement en passant par celui de la Justice. Le gouvernement refuse d’exécuter la décision de la Ccja. Marcel de Souza, le monsieur Développement du gouvernement est allé jusqu’à déclarer que le Bénin pourrait quitter l’Ohada s’il se sentait mépriser. Cette rébellion des autorités béninoises est-elle fondée? Le professeur Victor Topanou, chef du département de sciences politiques de la Faculté de droit et sciences politiques de l’université d’Abomey-Calavi, ancien secrétaire général du gouvernement et ministre de la Justice sous le premier quinquennat de Boni Yayi parle de la procédure d’arbitrage devant l’Ohada, les probables portes de sortie qui s’offrent au gouvernement et la conséquence de la rébellion des autorités sur la table ronde de Paris. L’entretien a eu lieu hier jeudi jour de l’Ascension en son domicile d’Abomey Calavi

Sécuriser les investissements

Créée en octobre 1993, l’Ohada a pour objectif de faciliter les échanges et les investissements, garantir la sécurité juridique et judiciaire des activités des entreprises dans les Etats partis à sa convention. Elle a été créée pour protéger les investissements privés de la superpuissance de l’Etat, a commenté le professeur Topanou. En tant que tel, ses règles et principes font parties des dispositions qui encadrent la régulation des affaires dans ses pays membres. Ceci étant, dans les conventions et contrats qui régissent leur partenariat avec les Etats ou entre eux, les opérateurs privés prévoient les instances de l’Ohada dans la procédure de règlement de litiges. « Tous les avocats-conseils le savent. C’est devenu systématique », a déclaré le professeur Topanou. Quand l’un des partenaires se sent lésé, il peut saisir les instances de l’Ohada. C’est ce qu’ont fait les responsables de la société Bénin Control en saisissant la Cour commune de justice et d’arbitrage, sise à Abidjan.

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Les conséquences d’une rébellion 

La sentence de la Ccja s’impose-t-elle à l’Etat béninois ? «Oui », a répondu le professeur Topanou. « La décision de la Ccja s’impose à tous les Etats membres de l’Ohada, a-t-il repris. On estime que ces Etats ont adhéré à la convention librement et en toute responsabilité. » Cependant, les textes ne prévoient pas de mesures pouvant contraindre un Etat condamné à respecter une sentence de la Ccja. « La rébellion du Bénin contre la sentence du Ccja peut devenir un cas école. Si le Bénin n’applique pas la décision, la condamnation deviendra symbolique, a-t-il commenté. Mais il y a une conséquence. Dans le monde, le Bénin aura cette image d’un Etat qui se rebelle contre les décisions de justice.» Le gouvernement béninois organise à Paris du 17 au 19 juin une table ronde économique. Elle vise à mobiliser des ressources auprès de bailleurs de fonds et investisseurs en vue du financer plusieurs projets de développement. Selon l’ancien ministre de la Justice, la rébellion des autorités contre la décision de la Ccja compromet la réussite de la table ronde de Paris. « Avec cela, le gouvernement pourrait ne plus avoir le nombre d’invités espérés », a-t-il déduit.

La négociation est toujours possible

Il y a-t-il des portes de sortie pour l’Etat béninois ? Selon le Professeur Topanou, plusieurs portes de sortie s’offrent au gouvernement. Les autorités béninoises peuvent contester la décision de la Ccja, mais en suivant  les voies indiquées par la décision de la Ccja. Par exemple, elles pourraient le faire en avançant qu’elles estiment que des principes comme celui du contradictoire n’ont pas été respectés. L’autre option qui s’offre est celle de la négociation. « La Ccja n’est pas une juridiction traditionnelle. C’est une juridiction d’arbitrage. Même en pleine procédure ou après une sentence, les deux parties en conflit peuvent toujours négocier », a conclu le professeur de Sciences Politiques.

Le Bénin peut-il se retirer de l’Ohada ?

A cette question le professeur de sciences politiques répond par un « Non catégorique !» L’Ohada a  été créée, précise-t-il, pour protéger, dans un esprit de conciliation,  les investisseurs privés nationaux comme étrangers contre la toute puissance des Etats. Ces derniers, pour un oui ou un non,  peuvent arguer de l’intérêt public ou  autre pour  mettre un terme unilatéralement aux contrats et conventions signés avec les privés. Les tribunaux nationaux étant peu ou prou sous la férule des Exécutifs nationaux, la cour arbitrale apparaît comme une institution neutre  de composition bi ou tripartite pour trancher les différends entre l’Etat et les privés. Tout le système  des affaires au Bénin est bâti autour des règles et principes de l’Ohada. Si le Bénin quitte l’Ohada, tout cela va s’effondrer. Pis, si le Bénin s’avisait de se retirer de l’Ohada, il se mettrait au ban de la communauté internationale. Quel investisseur privé étranger oserait  venir dans un pays qui bafoue les décisions de justice d’une instance judiciaire supranationale ? S’interroge sur un ton mi-amer mi -goguenard le professeur de sciences po.

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