Cotonou : l’envers du décor

Curieux destin que celui de Cotonou. La ville qui est devenue la vitrine, la capitale économique du Bénin, et accessoirement et par effraction, la capitale politique et administrative, avait peu d’atouts pour se donner autant de galons. 

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Le colonisateur français lui a préféré Porto-Novo, à une trentaine de kilomètres au nord-est. Il en a fait le siège de son administration.  Les élites dahoméennes, à l’indépendance, en 1960, en décidèrent autrement. Ils concentrèrent à Cotonou, en une zone reconnue pourtant inondable et infestée de parasites divers, l’essentiel des pouvoirs et des forces du jeune Etat indépendant.

Oubliez les quelques artères célèbres, bordées d’immeubles qui illusionnent sur la vocation urbaine de Cotonou. Ne vous arrêtez pas sur les passages supérieurs dont on peut, du reste, douter de l’utilité. Eloignez-vous du quartier administratif, avec ses tours flamboyantes. Zappez le quartier lumière de Cadjèhoun avec son enfilade de restaurants et de salles de jeux. Détournez le regard de la Présidence de la République. Ignorez le nouveau quartier résidentiel dit « CENSAD ». Suivez-nous dans la ville de Monsieur et de Madame tout le monde. Arrêtez-vous, avec nous, sur quelques sites, devant quelques faits, en face de quelques situations. Cotonou, côté cour, se révèle. Dans toute sa nudité. C’est l’envers du décor.  Nous pouvons entendre les pulsations précipitées d’un Bénin pris d’insomnie depuis quelques semaines, du fait d’une situation politique et sociale singulièrement embrouillée.

Pourquoi, ici, de vieux pneus usagers tiennent-ils lieu de ronds-points ?A défaut de l’essentiel, dit-on, on se débrouille comme on peut. D’accord. Mais, reconnaissons-le, des pneus usagers comme ronds-points, c’est laid sous l’angle de l’esthétique, c’est irresponsable sous l’angle du devoir. Un rond-point ne saurait être n’importe quoi. Qu’on ne nous fasse donc pas prendre des vessies pour des lanternes. Mais surtout qu’on ne cherche pas à ériger le provisoire en définitif. 

Des terre-pleins faisant office de dépotoirs, de décharge publique ?Des ordures, en veux-tu, en voilà. Cotonou, de ce point de vue, vaut une messe. Liez cet état des choses à l’incivisme prononcé de nombre des habitants de la ville. Cotonou peine à trouver un mode efficace de gestion des ordures. Il semble se livrer en aveugle au destin qui l’entraîne, selon le mot de Racine. Dire qu’ailleurs, on a une autre idée des ordures. On a plutôt compris que c’est de l’or qui dure.

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Et pourquoi la plupart des voies, bitumées ou pavées, sont-elles affreusement lacérées, méchamment saucissonnées par endroits ?Pourquoi s’acharne-t-on à fragiliser des ouvrages construits à grands frais ? Suite à leurs interventions, pour travaux, les compagnies en charge de l’Eau et de l’Electricité font preuve d’une négligence coupable et d’un amateurisme inacceptable. Un trou mal fermé. Une brèche mal colmatée. Un pavé mal disposé. Et se sont des millions de nos francs qui partent en fumée. Face à quoi, le silence des populations et l’indifférence des autorités municipales se combinent et se liguent en une complicité déplorable.

Une spécialité de Cotonou : des passerelles, quand il en existe, sont proprement boudées par les piétons. Comme s’il y avait quelque mérite à braver le danger. Comme si c’était un exploit de mettre sa vie en danger. Avec une circulation dense qui voit autos et motos se livrer un combat de titans, les piétons jouent à chaque instant leur vie en se jouant de tout. Et quand l’irréparable survient, on confie tout à Dieu. Et tout un chacun reprend le jeu là où il l’a laissé, le jeu dangereux et absurde de la mort.

A rapprocher de ces piétons qui méritent d’être appelés « s’en fout la mort », ces jeunes filles et ces jeunes hommes, vendeurs à la sauvette, les « Egbléma kou » les bien nommés. Ils ont l’art de se faufiler entre les véhicules en pleine circulation. Qui pour proposer du pain. Qui pour offrir des babioles qui ne devraient jamais autoriser à prendre tant de risques.

Terminons ce petit tour, en ramassant dans un seul et même panier à soucis les mendiants à tous les feux tricolores ; les mécaniciens qui ont conquis les vons (voies orientée nord-sud) soumises au diktat de leurs activités plus que salissantes. Ne parlons pas des animaux en divagation ou tout un troupeau de moutons ou de bœufs en ballade sur la chaussée. Dans l’indifférence générale. Rêvez-vous d’une vitrine nationale ? Entre côté cour et côté jardin, Cotonou balance.

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