Décision de la cour : « Nous sommes en plein dans le rétablissement du délit d’opinion »

La Cour Constitutionnelle présidée par Théodore Holo vient de rendre publique la décision DCC-14-199 du 20 Novembre 2014 que voici : « En invitant par une lettre ouverte largement diffusée le président de la République au terme de son deuxième et dernier mandat à réviser la Constitution pour prétendre à un nouveau mandat, Monsieur Latifou DABOUTOU a violé la Constitution ».

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Cette décision a suscité des commentaires élogieux dans la presse dans le genre que voici « Bravo Holo et toute la Cour Constitutionnelle »  « DCC-14-199 du 20 Novembre 2014, un progrès pour la démocratie béninoise » « Holo met fin au rêve de YAYI (Le Matinal du 25 Novembre 2014) ou « La Cour Constitutionnelle remet les pendules à l’heure » (Fraternité) etc. Cette appréciation « enthousiaste » ne peut s’expliquer que par le fait que cette décision semble aller dans le sens du rejet par l’ensemble du peuple d’un troisième mandat pour YAYI Boni. Mais il faut aller au-delà des considérations aussi superficielles. Et à l’analyse, la décision DCC-14-199 du 20 Novembre2014, est un véritable coup d’Etat qui fauche complètement notre socle : la  démocratie et la souveraineté du peuple.

De quoi s’agit-il en l’espèce ? Il s’agit ici d’une requête exercée contre la lettre ouverte d’un citoyen béninois demandant à YAYI Boni de réviser la Constitution pour obtenir – dans le cadre d’une nouvelle République- un troisième mandat présidentiel.

La Cour de Théodore HOLO faisant droit aux requérants, prend la décision citée plus haut. Les moyens de droits évoqués pour fonder cette décision sont les articles 23, 34 et 42 de la Constitution et la jurisprudence de la Cour elle-même érigée ainsi en norme constitutionnelle. Ce qui amène la Cour à motiver sa décision en ces termes « Considérant qu’il résulte de ces dispositions que la liberté d’opinion  dont jouit  chaque citoyen ne saurait constituer une porte ouverte à des propos ou à des écrits de nature à enfreindre les dispositions constitutionnelles que les citoyens ont le devoir sacré de respecter en toutes circonstances ».

Hum ! Pauvre Bénin ! Jusqu’où peuvent te conduire de telles personnes et institutions qui président à ta Destinée ! L’invitation à un troisième mandat, étant située par l’auteur de la lettre ouverte à Boni YAYI, non pas dans le cadre de la Constitution en vigueur, mais dans celui d’une Constitution révisée, il ne resterait à examiner dans le cadre de l’actuelle Constitution que l’appel à la révision de la Constitution. Et dès lors, on peut observer que la décision de la Cour est anticonstitutionnelle.

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1- La demande des requérants est constitutionnellement irrecevable.

L’article 3 de notre Constitution dispose formellement ceci « La souveraineté nationale appartient au Peuple. Aucune fraction du Peuple, aucune communauté, aucune corporation, aucun parti ou association politique, aucune organisation syndicale ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.

La souveraineté s’exerce conformément à la présente Constitution qui est  la Loi Suprême de l’Etat.

Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour Constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels » (souligné par nous)

A-t-on cité ici les simples « déclarations » ou « lettre ouverte » contraires à ces dispositions comme devant être déférées devant le Juge constitutionnel pour inconstitutionnalité ? Nullement. Qu’est-ce qui empêcherait le constituant béninois de citer outre «les lois, textes réglementaires, actes administratifs », les simples déclarations comme devant être déférées pour inconstitutionnalité si c’était nécessaire et conforme à la démocratie ? En effet parmi les libertés fondamentales de l’homme, la liberté d’opinion et d’expression, constitue l’une des plus fondamentales sans laquelle la jouissance des autres libertés est illusoire, sinon impossible. Peut-on seulement imaginer jouir de la liberté de presse, de la liberté de réunion ou d’association, la liberté de cortège et de manifestation etc. sans la liberté d’opinion et d’expression ?

2- L’appel à un droit prévu par la Constitution ne peut être anticonstitutionnel

C’est là ce qui révèle le caractère extrêmement spécieux, dangereux et despotique de la décision de la Cour Constitutionnelle. Comment préconiser une révision de la Constitution serait anticonstitutionnel alors que c’est la Constitution elle-même qui a prévu cette possibilité ? Comment appeler à une révision de la Constitution serait pour le citoyen manquer au « devoir sacré de respecter en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre constitutionnel établi ainsi que les lois et règlements de la République » dès lors que la Constitution elle-même prévoit cette révision et que la proposition de révision n’est pas accompagnée d’actes matériels violant les dispositions expresses de la Constitution en vigueur ?

La condamnation du citoyen Daboutou par la Cour de Holo est d’autant plus cocasse que Yayi et son gouvernement qui ont déposé un projet de révision de la Constitution n’avaient pas été condamnés. La décision de la Cour Constitutionnelle est du même ordre que celle du Président de la HAAC dernièrement interdisant tout commentaire et propos sur la LEPI, décision qui a suscité à juste titre des protestations et que l’auteur a eu l’intelligence de vite abroger. Devant nous le Candidat à la présidentielle 2012 en France, Mélenchon a toujours préconisé urbi et orbi la fondation d’une VIème République. L’a-t-on jamais attrait devant le Conseil Constitutionnel français pour violation de la Constitution française ?

La décision DCC-14-199 du 20 Novembre 2014 contre le droit d’opinion et d’expression d’un citoyen sur objet autorisé par la loi et donc licite, est manifestement anticonstitutionnelle et scandaleuse.. Elle s’inscrit ainsi dans la longue lignée des décisions anti-constitutionnelles que prend depuis des années la Cour telles la décision DCC-14-156 du 19 Août 2014 déclarant contraire à la Constitution des « propos tenus par Madame le Ministre de l’Agriculture » sur un plateau de la télévision ou la décision DCC-11-067 du 20 Octobre 2011 par laquelle la Cour a créée des « clauses intangibles » soustraites à révision sans oublier celle qui décide que l’on ne saurait aller aux élections dans notre pays sans la LEPI.

3-Vigilance, Travailleurs, Jeunes, Démocrates et Peuple de mon pays !

Nous devons savoir raison garder dans le combat que mène l’ensemble du peuple contre une révision opportuniste de notre Constitution par YAYI Boni pour se donner un troisième mandat. Ce combat pour juste qu’il est, ne doit nullement nous aveugler au point de nous faire mener en bateau par des démagogues et des autocrates  qui en profitent pour davantage museler le peuple. Comme dit un dicton de chez nous,  ce n’est pas parce qu’on est sous la pluie qu’il faut pisser dans la culotte ; car lorsque la pluie cessera et que les habits sécheront, l’odeur nous envahira.

C’est dire que tout citoyen a le droit constitutionnel (qu’il s’appelle Daboutou, Fatouma Djibril ou YAYI Boni) de préconiser la révision de la Constitution. Cela ne viole nullement la Constitution. C’est au peuple de s’y opposer. Le combat contre la révision opportuniste de la Constitution par YAYI Boni n’est donc pas juridique, elle est politique.

La Cour constitutionnelle surfe ainsi sur le sentiment populaire anti-YAYI Boni pour tenter de redorer son blason terni par sa collaboration avec le despote, pour renforcer son despotisme sur le peuple en réécrivant la Constitution à sa guise, en allant jusqu’à arracher des pans de souveraineté au peuple avec la création par voie jurisprudentielle de « clauses intangibles » insusceptibles de révision alors que la Constitution elle-même en son article 156 n’exclut de la révision constitutionnelle que deux choses : la forme républicaine et la laïcité de l’Etat. 

Nous sommes avec cette décision de la Cour en plein dans le rétablissement du délit d’opinion. Où donc allons-nous avec cela ? C’est le lieu de dire « Messieurs et Mesdames de la Cour Constitutionnelle, arrêtez de violer la Constitution » « Arrêtez vos dérives despotiques contre les libertés si chèrement conquises ».

Je ne puis accepter de telles dérives à plusieurs titres dont notamment pour avoir payé très cher par dix ans de prison et de clandestinité la conquête de ces libertés. Alors à bon entendeur salut !

Philippe NOUDJENOUME
Constitutionnaliste
Premier Secrétaire du PCB
Président de la Convention Patriotique des Forces de gauche.
Cotonou, le 27 Novembre 2014

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