Charlie Hebdo : la Surenchère Française

Aux lendemains de la vague d’émotion provoquée par les attentats contre Charlie Hebdo et la superette juive de la Porte de Vincennes à Paris,  les « bien-pensants », ceux qui estiment qu’ils sont les dépositaires d’un certain docte, arrosent les journaux et les plateaux de télévision de leurs rhétoriques enfiévrées. 

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S’ils n’exigent pas aux autres journaux français de publier les caricatures contestées de Charlie Hebdo – celles qui auraient suscité la fatwa -, ils soupçonnent ceux qui n’arborent pas le badge « je suis Charlie » d’être des réactionnaires, pire, des soutiens passifs à l’acte des terroristes. On a même vu l’activiste Caroline Fourest jeter l’anathème sur les journalistes britanniques aux motifs qu’ils ne soutiennent pas les Français et trahissent les idéaux du journalisme. Une réaction similaire a été aussi exprimée par Natacha Polony du Grand Journal de Canal + qui a presque agacé son confrère du Nouvel Observateur en lui demandant, le soir de l’ignoble tuerie, de reprendre dans son journal les dessins querellés.

Cet unanimisme qu’on voudrait imposer à tous les Français cache une peur incroyable dans la muraille de résistance affichée aux premières heures de ces événements tragiques. Les juges français, frileux et sans doute pris dans le tourbillon de cette émotion collective, dégainent à tour de bras l’arsenal juridique pour faire arrêter et condamner tous ceux qui rament à contre-courant. L’accusation « apologie du terrorisme » est alors brandie et opposée à toutes ces personnes sans qu’on puisse cerner les contours et les limites de ce terme. L’humoriste Dieudonné Mbala-Mbala qui n’en manque jamais une, a été mis en examen suite à son jeu de mots osé « je suis Charlie Coulibaly ». Un autre citoyen français, un Nantais de seize ans, va également subir les foudres de la justice pour avoir risqué… une caricature du même ton sur Facebook. Au total, 70 personnes ont été interpelées pour des propos et des dessins fort critiquables. Quant aux nombreux jeunes de banlieue qui hurlent à tout va qu’ « ils ne sont pas Charlie Hebdo », on parle « d’incivisme », « d’apatridie » et bien d’autres mots fleuris. Du coup, on a l’impression que la France, le pays des droits de l’homme, le pays de la liberté totale d’expression, le pays qui porte fièrement sa réputation de territoire inviolable de la liberté, devient intolérante. La parole qui exprime idées et convictions et qui ne va pas dans le sens commun, est vécue par beaucoup comme une sédition. Mais à l’inverse, tout ce qui peut dénigrer les autres est l’objet d’une surenchère incroyable. Philippe Tesson peut dire à qui veut l’entendre que ce sont « les musulmans qui sèment la merde en France » ; Nadine Morano de l’UMP (ex-parti majoritaire) peut se répandre en public qu’un « vrai musulman  de France, ça mange du porc »… Et les applaudissements ne manqueront pas de saluer de tels propos. Au nom de la liberté de presse.

Qu’on se le tienne pour dit : Chaque pays, chaque peuple a bâti son désir du vivre commun sur un substrat historique et culturel fait d’actes de résistances et de valeurs partagées. Même si ces principes sont transversaux, mondialement entendus, il est des réalités locales qui obligent parfois à des réajustements, des compromis, ces derniers n’étant jamais antinomiques du renoncement à l’essentiel. C’est ce que je comprends des réactions de certains chefs d’Etat marcheurs dans les rues de Paris le 11 janvier et censeurs de Charlie Hebdo la semaine d’après.

Le Bénin ne sera jamais la France, ni le Sénégal, ni les Etats-Unis. Mais il sera un peu comme la France, le Sénégal, les Etats-Unis parce qu’il partage les mêmes valeurs d’humanisme que ces peuples, parce qu’il a construit – et continue de construire – une société arrimée à sa culture, laquelle sait, malgré tout, purger en elle les éléments d’intolérance et de division qui nuisent à sa cohésion. Si je soutiens Charlie Hebdo jusque dans son concept de journal « bête et méchant », je ne pourrais jamais, en tout cas, au jour d’aujourd’hui,  risquer une égale impertinence, parce que le socle sur lequel le vivre commun béninois se construit – ce que j’appellerai « particularités locales » – est encore trop fragile. 

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