Quel Bénin voulons-nous laisser en héritage à nos enfants ?

Cette question ne devrait pas être posée ici, au Bénin seulement, mais dans la plupart des pays en développement. Et si elle est appliquée au Bénin dans la présente réflexion, c’est parce qu’il s’agit de mon pays natal d’où j’aspire à être un actif citoyen du monde.

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C’est courant d’entendre « tout va mal » et de voir les signes horribles du chaos qui s’annonce : dégradation généralisée des mœurs ; exacerbation du chômage, de la pauvreté, de la misère et de l’insécurité ; chute drastique du niveau intellectuel et moral ; impuissance des approches éducatives ; montée de la corruption, des violences, de l’impunité, des troubles sectoriels … ;  et j’en oublie. Mais on a l’impression que les solutions pressantes, radicales et idoines à y apporter ne préoccupent pas véritablement les décideurs à l’échelle du Bénin et du monde.

Cet article m’a été inspiré au sortir d’un atelier de « validation des résultats du diagnostic du secteur de l’éducation », atelier tenu récemment à Cotonou, du 27 au 28 mars 2014 et au cours duquel un accueil chaleureux a été accordé aux idées de mon intervention que je reprends, dans ces lignes, à l’attention d’un auditoire plus large, notamment des Gouvernants, des Partenaires techniques et financiers (PTF) du Bénin, pour apporter ma modeste contribution aux débats sur le développement durable.

Ces idées tournent en substance autour des impératifs catégoriques que constituent la notion de « projet de société » et celle de « modèle éducatif de fond » pour toute recherche de développement humain durable. En effet, quelle nation a pu se démarquer en termes d’avancées dans son développement sans partir d’un projet soutenu de société, projet dans lequel en sus des ingrédients philosophiques de vision, stratégiques et politiques d’actions, il n’y a pas une démarche vraiment mathématique, faite de calculs fins, divers, sur la faisabilité éducative ou éthique d’abord, matérielle et financière ensuite du court, moyen et long termes de ses aspirations et ambitions ?

1. Du projet de société et modèle éducatif de fond comme impératifs catégoriques

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Un projet, c’est ce qui est pensé, conçu, envisagé pour réalisation à court, moyen ou long termes. Il est différent du rêve pour n’être pas fortuit. Partant de besoins ou problèmes à résoudre, d’aspirations et d’ambitions, il postule des résultats qui peuvent être appréciés, mesurés, consommés. Donnant toujours envie d’être suivi à l’essai, un modèle est, quant à lui, une construction identifiable de par ce qui lui est propre comme les contours ou l’ossature, le contenu et la capacité différentielle au sein d’autres constructions utilisables par la société. Parce qu’ils sont relatifs ou discutables éventuellement, l’indulgence du lecteur est requise vis-à-vis de ces essais définitionnels.

Le « projet de société » et le « modèle éducatif de fond » sont des concepts qui ne se méconnaîtraient pas dans ces définitions élémentaires où ils prendraient départ autour des questions comme celles-ci : Quel Bénin voulons-nous laisser en héritage à nos enfants ? En fonction de nos réalités et de nos rêves, quel modèle de développement conviendrait-t-il à notre pays à la lumière des modèles existants déjà ? Quelle mobilisation de la base au sommet de l’Etat faudra-t-il mettre en place pour atteindre et garder notre émergence dans le concert des nations du monde ?, etc.

Certes, dans ce sens du questionnement, quelque chose se fait, certainement partout, y compris au Bénin, objet du présent article. Les Ministères sectoriels, structures sous tutelle et autres organismes ont leur vision, leurs plans de travail annuels (PTA). Les 77 Communes ont toutes, probablement, leurs plans de développement communaux (PDC). Chaque responsable élu ou nommé, à un niveau ou à un autre, a probablement aussi son programme de gouvernance ou de gestion pour créer en termes de valeur ajoutée, la démarcation d’avec ses prédécesseurs. Les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ainsi que les orientations stratégiques de développement (OSD) sont définis sous l’égide su Système des Nations Unies et, à tous les niveaux, chaque structure devrait, par déclinaison, les réaliser secteur par secteur : éducation, santé, environnement, sécurité, économie, agriculture, transports, communication, etc. Le scénario alafia Bénin 2025 a été conçu. Le document de Stratégie de croissance pour la réduction de la pauvreté (SCRP 2011-2015) existe également et les communications en Conseil des Ministres se traitent à sa lumière. Des partis politiques parlent de plateforme programmatique de gouvernance et de développement pour le pays. Des Etats généraux de ceci et de cela se réunissent périodiquement dont ceux de l’éducation, de la presse et tutti quanti. Des ateliers de réflexions sont courants. Moult décaissements d’argent accompagnent tout cela sans que l’on parvienne, en faisant le point des résultats obtenus, à affirmer que « tout va moins mal maintenant ». N’y-a-t-il pas déjà descente du scénario alafia dans son contraire wahala ?

Or, cet argent constamment décaissé est moins celui des intellectuels ou cadres qui sont aux commandes en tant que Gouvernants au plan national, Partenaires techniques et financiers (PTF) au plan international, que celui des contribuables nationaux et internationaux qui s’échinent pour un bonheur (alafia) malheureusement (wahala) toujours fuyant dans leur vie de populations, pourtant laborieuses.

A évaluer le drame, sinon la tragédie de la misère des peuples gouvernés, l’on n’hésiterait pas à dire, comme feu Professeur-Médecin Henri Valère KINIFFO du Bénin, que les cadres qui gouvernent à l’échelle nationale comme internationale commettent tous un péché, celui de la « masturbation intellectuelle ». De la pensée, je vais à la foi qu’il est très urgent de passer de cette masturbation stérile en termes de perte du liquide séminal par exemple, à un véritable coït intellectuel fécondant pour le bonheur de ces populations laborieuses qui donnent tout pour ne point mériter pauvreté et misère réunies par euphémisme dans les concepts de « sous-développement », de « mal-développement », etc.

2. Opérons ce coït intellectuel et non plus de la « masturbation intellectuelle » si nous voulons faire hériter un Bénin prospère et un monde prospère à nos enfants

Pour moi, l’intellectuel n’est rien d’autre que celui qui a pour mission de comprendre et de faire comprendre ; d’aller chercher la lumière, partout où elle se trouve, pour la mettre à la disposition de ceux qui sont dans l’obscurité de l’ignorance. Il doit toujours faire comme Prométhée qui a découvert le feu et qui l’a mis à la disposition de l’humanité. Donc, l’intellectuel est toujours investi d’une mission sacrée, éclairante et humanitaire si l’on aime le langage prosaïque. Et de ce point de vue, la fin du monde, sur laquelle l’on suppute par moment, ne sera que la conséquence logique d’une démission des intellectuels non seulement au Bénin, mais à l’échelle planétaire. Dans mon ouvrage intitulé L’univers sous les thérapies de Fâ dont le sous-titre est « Sciences, lettres et arts au chevet du malade », j’ai déjà montré la diligence qui s’impose à nous de réinventer l’Homme au moyen de l’éducation comme Mintôlonfin, « Maître de l’univers », l’ancêtre mythique de l’Homme, l’avait régulièrement fait dans sa gouvernance de l’univers.

Dans le coït intellectuel que nous allons engager en tant qu’intellectuels, l’éducation est à poser comme la pierre angulaire de tout l’édifice du projet de société. Et lorsque nous commençons maintenant, de plus en plus, à développer le concept  de « modèle éducatif de rupture » d’avec toute option hasardeuse ou bricolage, nous ne devons jamais perdre de vue qu’il s’agira, en cela, moins de réforme que de révolution dans le sens d’« un modèle éducatif de fond ». Oui, rupture pour aller, au moyen de l’éducation dès la prime enfance jusqu’à l’âge adulte, au fond de l’être humain béninois, c’est-à-dire dans son âme, son psyché, son esprit ou son mental. Si la mutation éducative est le raccommodage continu de l’existant incriminable ou incriminé que l’on fait dans des débats comme ceux de savoir si l’« approche par compétences » est bonne ou mauvaise, s’il faut la maintenir ou l’abandonner pour renouer avec les programmes classiques adaptables aux nouveautés sociétales, la révolution par le coït intellectuel fécondant que je postule ici n’aura pas lieu. Alors qu’elle devrait avoir lieu par opposition à la tradition de la « masturbation intellectuelle » nationale et planétaire (à certains égards), en vue de centrer l’éducation sur l’Homme, puisque c’est elle qui fait de lui un mauvais ou un bon citoyen paysan, infirmier, chef d’entreprise, Président de la République, parent d’enfant, enseignant, journaliste, etc., dans une société S1, S2 ou Sn ; en un temps T1, T2 ou Tn ; sur un espace E1, E2 ou En .

2.1. Centrons notre projet de société sur l’éducation et notre système éducatif sur l’éthique ou la moralité de l’Homme

Si l’on s’accorde à reconnaître que l’Homme est tenant et aboutissant du développement, il conviendrait de le responsabiliser dès le bas-âge pour son destin et celui du pays voire du monde auquel il appartient. En tant que tenant et aboutissant du développement, par ricochet, il l’est aussi pour tout projet de société. Et centrer l’éducation sur l’éthique de l’Homme, c’est préparer le terrain pour une facilitation de ses prises de responsabilités vis-à-vis des divers destins qui l’interpellent. En effet, le seul instrument à même de modeler cet agent développeur, dans le sens de ses prises de responsabilités aux fins de se faire un mieux-être individuel et collectif, c’est bien l’éducation dont tout modèle doit désormais en privilégier les ressorts moraux où réside la volonté ou même la foi, stade suprême de la volonté, comme déterminant des déterminants.

Sur cette base qui devra nous imposer de changer radicalement nos paradigmes, stratégies et modèles de développement, je me permets, sous le contrôle de la sensibilité du lecteur administré, gouvernant ou partenaire technique et financier du Bénin, de nous poser les questions suivantes qui mettent en exergue le besoin de pertinence et de mathématique dans nos montages philosophiques, stratégiques et politiques sectoriels de développement :

• Comme aucune transformation de l’Homme et de sa société ne peut se faire en survolant la famille, quel profil moral les parents et tuteurs d’enfants doivent-ils avoir en permanence, si l’on veut imprimer à la société béninoise un nouvel élan, propice au développement durable ?

• Quels programmes étatiques d’éducation et d’enseignement mettre en œuvre depuis le creuset familial jusqu’à l’université en passant par les niveaux intermédiaires ?

• Dans les dix, vingt, trente ou cinquante années qui viennent, quelle image devons-nous imprimer à notre patrie, le Bénin ?

• Au prix de quel projet de société, cette image est-elle réalisable en forme comme en contenu ?

• Au prix de quel modèle éducatif de rupture en faveur d’un modèle éducatif de fond, le Bénin pourra-t-il décoller pour l’émergence dans le concert des nations du monde ?

•           Dans les dix, vingt, trente ou cinquante années qui viennent, de quelle quantité, de quelles qualités morales et techniques de capital humain le Bénin aura-t-il besoin, secteur par secteur, pour construire cette image inscrite au projet de société ?

• De quel profil de Chef de l’Etat, Président de l’Assemblée, Ministres, Directeurs, Députés, Préfets, Maires, Chefs d’arrondissements, de quartiers/villages, etc., le Bénin aura-t-il besoin d’abord par rapport aux obligations de bonne moralité et ensuite de programmes et compétences de gouvernance globale, sectorielle, locale ?

• De quel profil moral et technique de partenaires au développement le Bénin aura-t-il besoin dans les dix, vingt, trente ou cinquante années qui viennent ?

• Quelles valeurs familiales, communautaires, républicaines et internationales cardinales inculquer en permanence à chaque citoyenne et citoyen du Bénin ?

• Quel rôle les mass media doivent-ils jouer dans cette perspective ?

• Comment mettre en exploitation la sagesse, la vertu et le capital d’expériences des personnes âgées et autres notables au profit de la jeunesse en perte de repères comportementaux ?

• Quelle exemplarité développer, promouvoir ou primer au sommet et à la base de la société béninoise pour bâtir un Bénin à image future clairement définie dans le projet de société conçu et adopté?

• Comment dériver du projet de société,  tout modèle et programme de gouvernance?

• Comment formaliser l’éducation des enfants et des jeunes depuis la famille qui est l’unité de base de toute société humaine ?

• Quels garde-fous mettre en place pour purifier et contrôler l’éducation de la rue ?

• Quelle synergie développer, suivre et évaluer constamment entre l’éducation familiale et les trois ordres classiques de l’enseignement sans oublier l’éducation informelle de la rue et l’éducation en milieu professionnel ?

• De quel profil moral et technique d’enseignant le pays a-t-il besoin dans les dix, vingt, trente ou cinquante années qui viennent, à la maternelle, au primaire, au secondaire et au supérieur ?

• De quels atouts les programmes d’éducation, d’enseignement et de formation doivent-il témoigner pour permettre la réalisation du projet de société retenu ?

• De quel élan de synergie de transversalité, de compétitivité conceptuelle et opérationnelle, secteur par secteur (santé, économie, agriculture, armée, police, gendarmerie, douanes, collectivités décentralisées, industrie, commerce, recherche, innovation technologique, diplomatie, justice, énergie, transports, communications, etc.), le Bénin a-t-il besoin dès maintenant ?

• Comment créer et animer la synergie entre éducation, formation et marché de l’emploi pour aller à un taux zéro de chômage et de sous-emploi ?

• Quel réglage éducatif, économique et sécuritaire faut-il faire pour bannir la criminalité sous ses formes les plus odieuses?

• Quelle contrôle et rigueur étatiques promouvoir pour que la politique ne soit plus configurée sur l’alimentaire ou les intérêts égoïstes afin d’être, comme dans la Grèce antique, une véritable activité de construction de la Cité ?

• Où accorder sa part au libéralisme, au nom de la démocratie, dans le projet de société ?

Ce genre de questionnement systémique et transversal peut s’allonger à l’infini, mais tout doit toujours partir d’abord de la moralité à construire méticuleusement au moyen de l’éducation de l’enfant, pris dès le bas-âge, au regard des aspirations et ambitions dont sera constitué un projet de société, véritable, pour notre pays. Comme on le voit, il ne s’agit pas seulement de vision philosophique et de stratégies politiques dans ce questionnement, mais surtout d’approches pertinentes et mathématiques à haute dose d’anticipation, de projection, de probabilité, de planification, de prospective, de futurologie que doivent accompagner amour de la patrie, volonté et détermination individuelles et collectives à la fois, qui nous conduiront à dire alafia : « maintenant, rien ne va plus mal comme avant » ou « demain, c’est très sûr, tout ira mieux que par le passé et le présent » !

La volonté, permettez-moi de la mettre en relief, est plus que le devoir et le pouvoir. C’est le premier ressort sur lequel s’appuient les autres. Elle est la source de la foi que l’on a en son devoir, à faire ou en son pouvoir, à exercer. C’est pourquoi, la question du titre n’était pas « Quel Bénin devons-nous ou pouvons-nous laisser en héritage à nos enfants ? ».

2.2.      La part de responsabilité des gouvernants et des partenaires au développement du Bénin dans cette démarche novatrice

Projet de développement ainsi que projet de société dont il est tributaire ne peuvent se réaliser sans mobilisation et dépense d’énergies matérielles, humaines et financières. Le souci constant à avoir par les décideurs doit être d’éviter aux contribuables nationaux et internationaux tout ce qui peut dégénérer en investissements à perte. Pour ce faire, tous doivent rejeter toute forme de gouvernance aléatoire, approximative, fantaisiste, apatride, aggravée souvent par des tendances au pillage des ressources, à la pensée unique, à la dictature voire la tyrannie, à la navigation à vue, c’est-à-dire par une absence de projet de société à rigueur de cohérence à la fois verticale et horizontale.

C’est aux décideurs qu’il incombe d’initier le montage salutaire d’un tel projet de société, prometteur et porteur d’impacts pour le bien-être auquel aspirent les peuples et l’humanité, les populations du Bénin en l’occurrence. Sans ce montage, aucun décollage sectoriel et global ne pourra se faire nulle part, à mon humble avis.

En effet, sans un tel montage à la fois structurel et conjoncturel, parti de problèmes à résoudre, de besoins à satisfaire, d’aspirations, d’ambitions, d’objectifs sérieux à atteindre, de cohérence de pensée et d’actions, de vertu notamment, comment les financements au titre des programmes d’investissement public (PIP) et de l’aide publique au développement (APD) pourront-ils être rentables ? Et s’ils ne sont pas rentables, sait-on par là que c’est l’argent des contribuables nationaux et internationaux qui part en fumée ?

Le montage sociétal dont je parle sera bénéfique pour tous les volets du développement, en ce sens que sa cohérence conceptuelle et opérationnelle évacuera à court, moyen ou long termes de la Cité, nos lots quotidiens d’« éléphants blancs », de corruption, de chômage, de sous-emploi, de pauvreté, de mendicité, de vols à mains armées, de détournements de deniers publics ou d’enrichissements illicites, de crimes divers et d’impunité. Il s’agit en vérité d’un montage de réinvention de l’Homme dans le champ global du monde, et du Béninois dans le champ restreint de mon pays. Et sa réalisation dépendra de la volonté des décideurs cités supra qui, normalement, n’autoriseront plus de décaissement par exemple, sans une gouvernance dictée par un projet de société savamment conçu et adopté pour et par le pays, rigoureusement alimenté par un système éducatif de fond, centré sur la morale.

Au total, l’heure est venue de s’employer à bien faire au moyen d’un projet pertinent de société dont la gouvernance et d’un modèle éducatif de fond. Car c’est ce projet et ce modèle seuls qui peuvent, dans un jumelage fonctionnel, cultiver en l’Homme ce qu’il a d’humanité et démolir en lui ce qu’il a d’animalité préjudiciable au développement durable.-

Pierre ADJOTIN, écrivain, philosophe et sociologue du développement.

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