L’observation des élections en question

Il y a, sans doute, une science de l'observation des élections. Les "grands frères" qui nous accompagnent, dans notre marche vers la démocratie, y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux. L'observation des élections s'est ainsi généralisée, voire institutionnalisée.

Publicité

On a affaire à un véritable rituel. C'est le passage obligé pour qu'une élection soit tenue pour valide. C'est l'indispensable condition pour qu'une élection obtienne l'onction de la communauté internationale. Trois pistes de réflexion à explorer dans la présente chronique.

Première piste de réflexion. L'observation des élections vise prioritairement les jeunes démocraties, les pays sous-développés. En France, par exemple, on vote tranquille, sans l'intervention d'un quelconque observateur. On peut en dire autant des Etats-Unis. Alors question : pourquoi estime-t-on nécessaire de placer sous haute surveillance les élections des uns et de tenir celles des autres hors de toutes contraintes ? Comme s'il y avait des démocraties mineures. A surveiller comme le lait sur le feu. Des démocraties majeures. A faire bénéficier du préjugé d'une pleine capacité d'autogestion. 

Deuxième piste de réflexion. L'observation des élections, c'est aussi un grand déploiement d'observateurs, étrangers notamment. Ce qui ne va pas sans poser un problème de souveraineté. Pourquoi ? Parce que, estimons-nous, toute élection, dans une démocratie, ouvre un espace de souveraineté. C'est un peuple qui, à cette occasion, exerce ses droits constitutionnels, en désignant des hommes et des femmes qu'il juge aptes à le représenter dans diverses instances et à divers échelons du pouvoir d'Etat. Une élection, de ce fait, pour un peuple, sous l'angle de sa dignité, c'est d'abord un test de vérité, c'est avant tout une affaire de famille. A moins d'une dérogation spéciale, on devrait se sentir chez soi et entre soi. Ce qui, dans notre entendement, ne devrait laisser la place à aucune forme d'intrusion.

Malheureusement, nous nous fragilisons, du fait de nos compromissions, en ouvrant notre espace de souveraineté à d'autres. "Quand le mur n'est pas lézardé, assurent nos sages, l'araignée n'y entre point". Les subsides que nous recevons de nos partenaires techniques et financiers pour l'organisation de nos élections ou pour la confection de la Liste électorale permanente informatisée ont une contrepartie. Ils coûtent cher à la souveraineté nationale. Ils pèsent lourd sur l'indépendance nationale. Peut-on refuser à un investisseur un droit de regard sur l'usage qui est fait de son investissement ? Il est entendu, de toute éternité, que "La main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit".

Publicité

Troisième piste de réflexion. Quelle est, à la fin, la valeur démocratique de l'observation des élections ? La chose a beau être une science, elle accuse des faiblesses, elle montre ses limites. Elle n'échappe pas, pour autant, à toute critique. Comment une poignée d'individus, qui ont à peine vu et senti un pays, peuvent-ils engager le destin de celui-ci, rien que par un avis formulé, rien que par une conclusion tirée, à partir d'une observation plutôt sommaire ?  Qu'on ne nous parle ni de sondage ni d'échantillonnage. N'en croyez rien. Les conditions de succès d'une chose ici ne sont pas reproductibles à l'identique, ailleurs. Il y a, entre ici et ailleurs, une grande différence. Une différence comparable, parfois, à celle qu'il y a entre le jour et la nuit.

En outre, l'action d'observation des élections n'est-elle pas biaisée et les résultats fortement sujets à caution dès lors qu'elle ne se concentre que sur une seule des phases d'un scrutin ?  Tout pourrait bien se passer le jour de l'élection. A la satisfaction de nos observateurs internationaux. Qui auraient de bonnes raisons de clamer, avant de rejoindre leurs pays respectifs, un magistral RAS (Rien à signaler). Alors que dans les faits et en amont, le ver était déjà dans le fruit : recensement trafiqué, fraude massive à l'inscription sur les listes, bulletins pré-estampillés pour des votes multiples, achat des voix, des formes diverses de pression et d'intimidation exercées sur le citoyen-électeur… Qui observe tout cela ? Qui en rend compte ? Qui en tient compte dans l'appréciation d'ensemble d'une élection ?

Comprenons-nous bien : nos réserves sur l'observation des élections ne sont qu'une invite à la réflexion et à la   responsabilité. Si l'observation des élections était jugée nécessaire, voire indispensable, nous gagnerions à la repenser, mais surtout à la réinventer. Mieux vaut nous habiller de notre boubou que de nous faire paraître à l'étroit dans un complet veston cravate d'emprunt.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité