Afrique : l’équation des élections

Qui l’eut cru ? Le Nigeria s’en sort avec brio. Les élections générales chez notre grand voisin de l’Est ont été un franc succès. C’est une première. C’est également une exception qui confirme la règle générale. Celle selon laquelle l’Afrique est fâchée avec les élections. Chacune d’elles est vécue comme une épreuve, un drame. En amont, on se répand en prières pour exorciser les démons du désordre. En aval, on traine un lourd contentieux qui met à mal la paix civile.

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Pourquoi ce qui passe pour une simple formalité républicaine à Paris ou qui est vécue comme une fête démocratique à Washington devient-il un casse-tête à Abidjan ou une équation à mille inconnues à Nairobi ? L’Afrique va-t-elle à marche trop rapide vers la démocratie libérale, négligeant de donner du sens à ce qu’elle fait ?

On a le sentiment que les pays africains, dans leur immense majorité, procèdent à une réinterprétation du système démocratique. Le résultat n’est pas des plus heureux : ni rigueur méthodologique, ni cohérence idéologique. La démocratie à la sauce africaine prend assise sur un amas de matériaux aussi divers que disparates. Le tout réuni en un faisceau d’idées, les unes aussi saugrenues que les autres. En voici quelques unes. « C’est Dieu qui donne le pouvoir ». Ce qui tempère le principe de la souveraineté du peuple et de la dévolution du pouvoir par le peuple. « Le pouvoir, don de Dieu, est d’abord un cadeau fait à un homme, à une femme, à un clan, à une région. » Ce qui exalte le pouvoir personnel, magnifie l’autocratie et crédite d’un bon point la gestion patrimoniale du pouvoir. « On ne fait pas don d’un don. Ce que Dieu a donné doit être jalousement gardé, farouchement défendu ». Ce qui disqualifie toute idée d’alternance et plaide pour la confiscation du pouvoir.

Cette conception bizarre de la démocratie produit, tout naturellement, des élections bizarres, des élections à hauts risques et de tous les dangers. Ce n’est pas le bien du pays qui est visé, mais plutôt le pouvoir d’un seul, le bien être pour une minorité. Tant que prévaudra une telle conception de la démocratie, toute élection, en Afrique, sera source d’une triple cristallisation. A comprendre comme un mouvement de fixation, de stabilisation ou de crispation autour de quelque chose. D’une part, cristallisation autour du pouvoir d’un seul, qui peut vite céder au vertige d’être le maître du ciel et de la terre. D’autre part, cristallisation autour de la toute puissance d’un clan, d’un groupe, d’une communauté, une sorte de cercle doré des proches, parents, amis et alliés du chef. Enfin, cristallisation autour des intérêts d’une minorité contre l’intérêt général, contre les intérêts du plus grand nombre.

Pour voir un peu plus clair dans la complexe équation des élections en Afrique et dans la gestion plutôt catastrophique, de celles-ci, trois données majeures doivent être questionnées.

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1- Les mentalités. Nous font encore défaut, à en croire Léopold Sédar Senghor deux notions clés : organisation et   méthode. Qui se laisse régir par le temps élastique des saisons plutôt que par le temps quantifié des montres, ne peut s’empêcher d’être toujours en retard. Il peut oublier d’organiser une élection à date échue. Il peut s’autoriser de tout désacraliser. Il n’est enclin à respecter ni sa parole ni sa signature. Ce laxisme joyeux n’a qu’un nom : la tricherie. Et nous trichons en permanence.

2- La trop forte personnalisation de nos institutions. Nous tenons à ce qu’une fonction porte d’abord le nom et le prénom de celui qui l’exerce. Conséquence : le principe de la séparation des pouvoirs en souffre. Il tourne vite en une complicité entre les hommes du pouvoir. C’est la République des copains, des cousins et des coquins. Tout se passe comme si la fonction, en soi, n’était rien. Compte davantage ce qu’on en fait dans le sens de la défense des intérêts particuliers. Pour souligner la responsabilité des hommes, celle des cadres notamment, dans l’organisation de nos élections. Nos pays, finalement, sont à leur image : pauvres en esprit, riches en manigances, rentrant dans l’histoire à reculons.

3 – L’inconsistance des structures de contre pouvoir. En face de ce désordre, il n’y a presque rien. Une opinion publique informée tarde à se mettre en place. La société civile peine à éprouver sa capacité d’indignation. La presse se cherche et cherche sa voie. Les institutions de contre pouvoirs se laissent prendre dans l’engrenage du « Pi-Pan ». On le sait : un pétard mouillé ne risque pas de faire du bruit.

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