Neuf ans de « yayisme » = neuf ans de stagnation

Après neuf ans d’exercice de pouvoir, le Chef de l’Etat Boni Yayi ne cesse, lors de ses déplacements de nous promettre la réalisation d’ouvrages routiers parfois spectaculaires comme la construction d’un autopont au niveau du carrefour Sobébra ou d’une autoroute vers Porto Novo. Nous ne pouvons qu’être des plus sceptiques quant au sérieux de ces propositions. 

Publicité

En effet, pourquoi le Chef de l’Etat envisage-t-il ces projets à moins de douze mois de la fin de son deuxième mandat alors qu’il a largement disposé du temps nécessaire pour les réaliser ?

 Si, aujourd’hui, nous dressons un bilan de ces neuf années de pouvoir au niveau politique et socio-économique, nous ne pouvons, malheureusement que constater que les nobles ambitions affichées ces dernières semaines, n’ont jamais guidé son action.

 Au niveau politique, la démocratie est secouée par une grave crise qui l’a quelque peu affaiblie. Le renouvellement de la classe politique est un indicateur important de la vie d’une démocratie. Ceci passe par l’organisation régulière et à bonne date des élections. Les élections municipales qui auraient dû se tenir en mars 2013, n’ont toujours pas été organisées. N’eut été la récente décision de la Cour Constitutionnelle que nous saluons à juste titre, nous n’en serions pas plus avancés sur l’organisation des élections. Or, le non-respect des délais constitutionnels prévus pour l’organisation d’une élection est un frein au développement  de la pensée politique et ouvre la voie à la dictature.

  Le recul de la démocratie est également net au niveau de la liberté de la presse – rappelons qu’en 2005, à la fin du second mandat du Président Mathieu Kérékou, le Bénin était le pays où la liberté de la presse était totale – le Bénin occupait alors le Premier rang du continent africain et le 25e mondial. Dès 2008, deux ans après l’accession au pouvoir du Président Boni Yayi, le Bénin avait reculé à la 70e place mondiale, 91e place mondiale en 2012 et en 2015 se situe à la 84e place mondiale.

Publicité

  Ces chiffres montrent clairement les atteintes à la liberté d’expression dues au pouvoir en place – ce qui n’est pas sans conséquence sur la qualité du débat public – en particulier au niveau des débats parlementaires car les leaders d’opinion son inféodés au pouvoir afin de satisfaire leurs ambitions personnelles au lieu de se soucier en priorité de l’intérêt de la Nation. Heureusement, des citoyens résistent convaincus que la démocratie béninoise sortira renforcée de cette crise.

  De plus, les nombreuses déclarations du Chef de l’Etat à caractère belliqueux, opposant les populations du Nord et du Sud montre qu’il ne se considère pas comme le Président de tous les Béninois contrairement au serment qu’il a prêté – son attitude est des plus dangereuses car elle remet en cause l’unité de la Nation invitant les populations du Nord à envisager de manière plus ou moins consciente une partition de notre pays. Nous savons tous ce que cela veut dire : c’est la remise en cause de la Paix que notre pays a toujours su préserver. Cette attitude du Chef de l’Etat est contraire aux dispositions des articles 36 et 41 de la Constitution du Bénin qui prescrivent que le Chef de l’Etat incarne l’unité nationale.

  Dans une affaire analogue, la Cour Constitutionnelle avait déjà considéré dans sa décision du 1er août 2012 que le Chef de l’Etat avait méconnu la Constitution. Cette attitude réitérée est celle d’un récidiviste.

Au niveau socio-économique le bilan n’est pas meilleur

 Il est grand temps que les responsables politiques en premier lieu le Chef de l’Etat, prennent conscience des défis de l’explosion démographique que notre pays connaît, posent. Plus de 50% de la population a moins de 20 ans soit 6 000 000 de jeunes béninois. Leur problème quel que soit leur niveau d’étude se résume en trois mots : trouver un emploi. Il est évident que la solution passe par le développement du secteur privé – mais pour cela, le Chef de l’Etat et son gouvernement doivent impérativement offrir aux investisseurs locaux et étrangers un cadre sécurisé tant au niveau juridique, fiscal…. afin de les convaincre de s’installer. Or, les attaques qu’ont subies les rares chefs d’entreprise que nous avons, font fuir les investisseurs. Pourquoi investir au Bénin puisqu’aucune sécurité économique n’est assurée ? Ce qui explique qu’aujourd’hui le Bénin a un taux de croissance très faible en Afrique de l’Ouest : 2,5% tandis que nos voisins ont des taux de croissance deux à trois fois supérieurs – même le Nigéria malgré la baisse du prix du pétrole et l’insécurité due à BokoHaram (7%).

Autres problèmes importants : l’école, la santé, le logement, les infrastructures terrestres, la modernisation de l’agriculture

Au niveau de la formation, le Chef de l’Etat s’est engagé pour que les frais de scolarité disparaissent afin que les enfants accèdent au savoir – or que s’est-il passé ? Durant  ces neuf ans, on a assisté au phénomène inverse c’est-à-dire le décrochage scolaire apparu touchant plus particulièrement les filles. Pourquoi ? En fait, l’école publique n’est toujours pas gratuite : les parents doivent toujours financer les uniformes voire l’achat des craies et du matériel pédagogique de base. Devant la situation économique très difficile que connaît le Bénin, ils préfèrent renoncer à la scolarisation de leurs filles et les placer comme petites bonnes les condamnant à une vie misérable.

Au niveau de la santé, aucun progrès : même la césarienne soit-disant gratuite n’est pas gratuite puisque la famille doit toujours acheter les produits médicaux nécessaires à l’opération.

Aucun laboratoire capable de réaliser des biopsies dans le cadre de la recherche d’un cancer n’a été construit, aucun service de cancérologie, d’endocrinologie n’a vu le jour.

  Or les cancers, les problèmes thyroïdiens sont en forte croissance et ne peuvent être ni diagnostiqués ni soignés – seuls les plus riches se font soigner en Europe ou en Amérique du Nord.

 Au niveau du logement, les bidonvilles continuent de prospérer avec les problèmes d’insalubrité que cela pose. Régulièrement, des épidémies de choléra se développent car les sanitaires dont dispose la population ne sont pas conformes aux normes de base d’hygiène.

 Quant aux routes, malgré l’ouverture de nombreux chantiers de construction d’axes routiers importants, circuler reste toujours aussi problématique. Soit les travaux confiés aux entreprises chinoises n’avancent pas car ces dernières ne respectent pas les cahiers des charges et sont obligées de recommencer, soit les nouvelles routes de mauvaise qualité se dégradent très rapidement et ne sont pas entretenues – à croire que nous sommes condamnés à vivre avec un réseau routier défaillant. Dans le même temps, ce dernier ne cesse de se développer chez nos voisins.

 Enfin, aucun effort particulier n’a été fait dans le domaine de l’agriculture vivrière. Or, vu le doublement de la population, il est impératif de moderniser l’agriculture afin de pouvoir satisfaire les besoins d’une population toujours plus nombreuse.

 Je n’oublie pas le faible développement de l’agriculture à caractère commercial (le coton) qui n’a cessé de péricliter depuis neuf ans.

 Il est grand temps de prendre conscience de l’immense tâche qui attend tous les Béninois si nous voulons redonner une dynamique à la démocratie et assurer, enfin, un démarrage économique réel.

 Arrêtons de galvauder le mot émergence car un Etat est dit émergent lorsqu’il remplit certains critères précis (maîtrise de la croissance démographique supérieure à 5% – population entièrement scolarisée – disparition de l’analphabétisme – soin de santé de qualité accessible à tous) – ce qui est loin d’être le cas du Bénin aujourd’hui.

Jacques Migan
Ancien Bâtonnier

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité