L’infernal trio du sous-développement

Rien de nouveau sous le soleil de Cotonou. Les toutes premières pluies ont reconduit la ville dans les mêmes ornières. C’est ainsi, chaque année. Même spectacle dans la cité. Même visage pour ce qu’on tient pourtant pour la « Vitrine du Bénin ». Des flaques d’eau ici et là. Des détritus et des déchets de toute nature partout. Des marécages verdâtres au pied des maisons, véritable bouillon de culture pour toutes les affections.

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Des hommes et des femmes, des enfants et des adultes pris au piège des eaux pluviales. Ils sont en cohabitation forcée avec les grenouilles qui s’en donnent à cœur joie.

Face à quoi, on peut légitimement attendre les autorités municipales. Elles n’ont pas été élues pour applaudir les misères des populations. Mais voilà que, depuis dix ans, le fameux 3CI de M. le Maire, à savoir Cotonou en campagne contre les inondations, résonne comme un slogan. Il n’a pas prise sur le paysage humain et physique de la ville. Les populations doivent-elles continuer d’attendre Monsieur le Maire qui vient, du reste, d’annoncer sa retraite ? Autant attendre Godo, ce personnage de théâtre qu’on attend et qui ne vient jamais. Que reste-t-il alors à faire ? Que les populations se secouent. Qu’elles prennent leur destin en main. Qu’elles refusent de subir l’inacceptable et de vivre une vie de batracien.

Nous voici rendus à un point crucial. C’est ici que se joue l’avenir de tout projet de changement. Y ont rendez-vous trois types d’hommes et de femmes, ennemis farouches de tout développement, de tout progrès. Et dans l’exemple des inondations des quartiers de Cotonou que nous avons choisi, ces trois types d’hommes et de femmes s’érigent en des obstacles parfois insurmontables. C’est le trio infernal du sous-développement. Un vrai goulot d’étranglement sur le chemin de tout changement. Qui sont-ils ces trois types d’hommes et de femmes ?

Il y a, d’abord, les misérabilistes. Il s’agit de ces amoureux fous de leur propre misère. Ils aiment s’exhiber pauvres et misérables. Ils adorent se montrer lamentables et pitoyables. Ils se sentent à l’aise dans le gros village lacustre que devient Cotonou au fur et à mesure que s’installe la saison des pluies. Ils se battissent toute une philosophie de la résignation, vue par Maeterlinck comme « de l’ignorance, de l’impuissance ou de la paresse déguisée ». Ils vivent et vivront ainsi toute leur vie dans les eaux et dans les boues sales de Cotonou. Sans jamais lever le petit doigt. Sans manifester le moindre désir de desserrer l’étau de la nécessité. Et ils transmettront, à la fin, à leurs descendants toute leur charge de fatalisme. « Mahou wê djro ». C’est Dieu qui l’a ainsi voulu. La messe est dite.

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Il y a, ensuite, les minimalistes. Ce sont les partisans du moindre effort. Ils se contentent de peu. Ils illustrent, à leur manière, l’aphorisme selon lequel « Mon verre est petit, mais je bois dans mon verre ». Ils balayeront juste le pas de leur maison. Ils combleront juste quelques nids de poules. Mais jamais ils ne s’aventureront à prendre une initiative d’envergure. Jamais ils ne se porteront au-delà de leur périmètre privé, individuel. Jamais ils ne porteront un rêve de grandeur avec l’ambition de sortir des sentiers battus.  Face aux graves conséquences des inondations par exemple, qu’il leur suffise de colmater quelques brèches par-ci ou de parer au plus pressé par-là. Moins ils en font, mieux, estiment-ils, cela vaut. A quoi sert-il d’être plus royaliste que le roi ?

Il y a, enfin, les béni-oui-oui. Le dictionnaire les définit comme « des personnes toujours empressées à approuver les décisions d’une autorité établie. » En somme, des « Pin Pan »   sans aucune volonté propre. Ils n’agissent pas. Ils sont agis. Des « Pin Pan » sans aucun sens critique. Ils sont et restent la « voix de son Maître ». Ils applaudissent l’autorité à tout rompre. Ils sont prêts à faire ses quatre volontés. Prêts donc à se jeter dans un puits, la tête la première, si telle est la volonté du chef. Prêts donc à boire les eaux boueuses de Cotonou pour que la volonté du chef soit faite. Les promesses de ce dernier les rassurent. Ils peuvent continuer de faire dodo, au milieu du ballet infernal des moustiques, qu’accompagne l’orchestre tonitruant des grenouilles coassant.

Misérabiliste, minimaliste et béni-oui-oui, voilà le trio parfait d’un sous-développement assumé. Pendant que ces trois individus se donnent la main, le développement, le vrai, peut attendre. En attendant Godo…Mais jusqu’à quand ?

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