Interview de Lionel Zinsou : afro-Optimisme ou Apologie de la misère, de la dépendance économique…

(… et de 55 ans de médiocrité gouvernementale) Le premier ministre que le président YAYI-avec le « visa » de la France de Hollande- nous a donné s’exprime souvent et longuement. Professeur et habitué des prix d’excellence, il s’exprime avec clarté et précision, de façon parfois péremptoire, sur un ton laissant peu de place à la discussion, ou au débat.

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Dans une de ses dernières sorties, publiée sous forme vidéo sur le site de la Nouvelle Tribune sous le titre « Interview de Lionel Zinsou sur le développement du Benin » le premier ministre a développé un certain nombre de points de vue sur la situation du Benin qui ne manquent pas d’interpeller le citoyen que nous sommes.  

Il nous semble intéressant de revisiter ces propos et leur portée en ce qu’ils peuvent engager les destinées de notre pays à travers celui qui a (et pourrait continuer d’avoir) la responsabilité de la conduite du gouvernement de notre pays.  Devons-nous partager cet optimisme importé des rives de la Seine, ou voir la réalité de la misère persistante en face, et deviser les politiques publiques –au-delà du mécénat et des associations caritatives- a même de la réduire ?

Le BENIN : un pays debout ou « parterre » ?

D’emblée, le premier ministre enfourchant sa casquette d’afro-optimiste nous dit que les Béninois sont debout, que le Benin est debout (les 2 choses étant différentes en fait, mais la question avait trait au Benin et non aux Béninois). Une chose est pour Mr Lionel Zinsou, le banquier atypique selon le journal Le Monde-, de dire à ses collègues banquiers français qui n’avaient d’yeux que pour la Chine et considéraient l’Afrique comme un panier troue (trou qu’ils ont créé et entretenu), que l’Afrique est en marche. Autre chose est pour le premier ministre du Benin de faire un diagnostic sérieux sur la situation réelle de notre pays, ses défis, de façon à élaborer et mettre en œuvre les politiques publiques permettant de sortir du trou dans lequel nous sommes indéniablement. Certes les Béninois travaillent et travaillent dur. En ce sens les Béninois ne sont pas couchés, dans l’attente d’un quelconque sauveur. Mais le Bénin, notre pays n’est pas debout. Les enfants du Benin sont debout , mais le Benin est par terre, ruiné par 55 ans de gabegie, les dix dernières années d’hyper activisme désordonné de YAYI , ne changeant pas la situation de misère persistante , d’exploitation économique, de dépendance économique, et de kleptomanie institutionnelle,  depuis les trente ans du Général Kérékou, à peine interrompus par 5 années de tentative de  réhabilitation de l’épave Benin par Soglo – pour ne s’en tenir qu’à la période 1972 -2015.

Sans vouloir faire de ce débat une question  personnelle ou une attaque ad hominem d’un premier ministre que nous respectons , on ne peut manquer d’être scandalisé par les propos de Mr  Zinsou, qui –il faut malheureusement le rappeler- est né avec une cuillère d’argent dans la bouche –, vit avec $1000 / jour ( estimation basse des revenus d’un partenaire de banque d’investissement- ) et n’a jamais connu de près ou de loin, directement ou indirectement, la misère du béninois lambda qui lui vit avec $1/jour… La misère que l’on vit dans sa famille est différente de celle qu’on étudie cliniquement dans les think tank… et autres salons privés.

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Vit-il dans le même pays que le retraité dont la jambe est amputée, faute de diagnostic et traitement du diabète? Vit-il dans le même pays que la tante du village qui ne mange de la viande ou du poulet que lors des funérailles et se contente d’un repas par jour les autres jours ?  Ce Bénin que nous connaissons n’est pas debout, mais parterre et commencer par le reconnaitre est un préalable a la définition des moyens de le relever.

Le Benin doit il limiter ses ambitions ? Devons-nous nous contenter de voir nos femmes, nos sœurs et nos filles porter les sous-vêtements jetés par les occidentaux et exportés sous forme de friperie chez nous? Devons-nous accepter de voir nos étudiants étudier sous des tentes, ou entassés a 1000 dans des amphis de 200 ou 300 places ? Devons-nous être satisfaits de voir nos vieux –et moins vieux- mourir de la première maladie curable, dans le mouroir pompeusement baptisé Hôpital Maga, les jeunes mères mourir en couches parce que ne pouvant être acheminées en Zémidjan à la maternité distante ? Devons-nous être satisfaits de voir nos paysans le dos éreinté à force de travailler la terre avec des méthodes et outils d’un autre Age ?

Mr Zinsou semble nous dire « tant qu’on ne meurt pas de faim –et c’est vrai que peu de gens meurent de faim ces temps-ci au Benin-, tout va bien. Nous devons seulement faire en sorte que les 10% qui risquent de mourir de faim soient sauves de ce sort probable.

Non, nous ne pouvons, nous ne voulons pas végéter dans la misère endémique, en concentrant nos efforts sur la seule extrême pauvreté, celle qui choque les bonnes consciences occidentales!

Le rôle du  premier ministre n’est et ne doit pas être celui de Mère Theresa, quel que soit le respect que nous avons pour cette femme admirable !

Ce nivellement par le bas des attentes, ces ambitions minimalistes ( low expectations diraient les anglais) ne nous parait pas digne du premier ministre que nous respectons. Passe encore que les politiciens béninois comme le  président YAYI ou Mr. Holo , son président de CC nous disent qu’on vit bien au Benin, mais du Professeur d’économie, nous attendons plus de rigueur dans l’analyse des faits et de plus grandes ambitions pour notre pays!

Le Bénin : une indépendance économique à conquérir ou à consolider ?

Poursuivant dans son ode à l’afro-optimisme, Monsieur Zinsou nous dit que le Bénin aurait conquis son indépendance économique ces dix dernières années ( coïncidant étrangement avec la présidence de YAYI BONI) grâce notamment à la concurrence de pays émergents (BICS –Russie omise non par hasard) face aux puissances internationales jusque-là dominantes (on admirera au passage l’art de la litote chez notre premier ministre qui peine à dénoncer les puissances impérialistes et néocoloniales, mais bon, un premier ministre a des obligations de réserve… qu’on peut comprendre et/ou accepter). Cette méthode COUE nous parait peu persuasive !

En effet, cette affirmation d’un Bénin indépendant économiquement ne s’appuie sur aucune donnée économique solide. Le Bénin continue d’être une économie de traite à peine modernisée, servant de plateforme d’accès pour l’échange inégal : exportation de matières premières à vil prix, dépotoir de produits manufacturés ailleurs (Chine, Europe, USA etc..), avec captions de l’essentiel de la valeur ajoutée par les pays et puissances occidentales ou chinoise (nous importons même de la laitue de France !)  

Donnant l’exemple de l’accroissement de la productivité agricole, Mr Zinsou nous dit qu’en 5 ans le rendement des coton-culteurs est passé de 700kg/ha à 1000ks/ha soit 50% d’augmentation. Mais il oublie de nous dire que dans le même temps le cours du coton est passé d’un pic de $2,25 /livre en 2011 a …$0,65 / livre en 2015 soit plus de 200% de baisse! Le paysan béninois s’échine à augmenter la productivité de 50%, et la valorisation est réduite de 200%, ; on lui vole les 50% de productivité, plus 150% par l’échange inégal , avec des marchés subventionnés par les puissances occidentales pour créer la surproduction, des bourses manipulées par des traders et banquiers véreux, « ripoux » ( sans verser dans la complotiez, les manipulations des indices comme le LIBOR et des cours de devises par les Barclays, HSBC et Cie sont un exemple probant – la partie émergée de l’iceberg- de ce qui se fait et peut se faire…).  Dans le même temps le cours des intrants augmente régulièrement et de façon quasi continue (l’indice des prix des engrais est passe d’une base 100 en 1982 a 300+ en 2013…).

Le paysan béninois vraiment « debout » ou courbant l’échine sous la domination étrangère combinée à l’exploitation des hauts bourgeois nationaux, les Talon (gagnant sur les intrants et les produits agricoles comme hier la CFDT coloniale), qui financent par la plus-value soustraite aux paysans les campagnes des YAYI et Cie?

Monsieur Zinsou nous dit que le Benin est faiblement endette, mais il oublie de dire que cette situation est le résultat des remises massives de dettes intervenues dans les années 90… Allons-nous continuer de présenter notre besace au lieu de développer et capter –chez nous- les surplus qui peuvent financer notre développement ?

Monsieur Zinsou parle de la croissance à 5 ou 5.5% sur les dix dernières années (prudent il ajoute peu ou prou, ce que ne fait pas le  président YAYI qui lui parle carrément de 6% jamais atteints sous son mandat) qui serait 5 fois la croissance française. Mr Zinsou qui est certes très intelligent, prend quelque libertés avec les chiffres (est-ce déjà la contagion des politiciens béninois, -avec notre CC qui légalise l’arrondi généreux des années-?) et insulte notre intelligence collective,  en faisant la comparaison avec le taux de croissance des pays développés, comparaison dont raffolent nos politicards roublards!

Sur les dix dernières années (2005 – 2014) la croissance moyenne est de 4,09% plus proche de 4 % que de 5%, encore moins de 6%. Sur cette période la population a cru d’environ 3%, ce qui veut que la croissance nette est d’environ 1%. Pas de quoi célébrer ou même être optimiste ! Certainement loin de ce qu’il faut pour commencer à entamer la réduction de la misère endémique !

Le Bénin certes croit plus vite que la France, de même qu’un adolescent de 13 ans croit plus vite qu’un adulte de 20 ans. Mas quand même, 1% de croissance en France se traduit par plus de $25 Milliards de richesses supplémentaires alors que 5% de croissance du PIB du Bénin se traduisent par moins de $500 Millions de richesses supplémentaires, sachant en outre que la France a une croissance démographique de 0,5%, laissant une croissance nette de 0.5% qui n’est plus que la moitié (au lieu de 1/5) de notre croissance nette…

Pour la majorité des Béninois l’Independence économique n’existe  pas, la dépendance économique est une réalité quotidienne, et dire que l’on va par une (meilleure) gestion consolidée une indépendance économique que l’on n’a pas, c’est se tromper de cible. Le diagnostic précède l’action et si notre brillant premier ministre fait de mauvais diagnostics, il est à craindre que ses politiques économiques passent à côté de la cible. Il ne s’ensuit pas qu’il ne faut pas améliorer la gestion, mais c’est là un objectif tactique qui doit s’intégrer dans l’objectif stratégique de conquérir l’Indépendance économique.

Le Bénin : verre au 1/5 plein ou aux 4/5 vide ? La responsabilité des gouvernants

Le premier ministre dans son interview nous appelle à l’indulgence envers nos gouvernants et nous demande de ne pas nous auto-flageller. Rappelant qu’a l’Indépendance il n’y avait qu’un hôpital et que le nombre des scolarisés est passé de 40.000 à 4 millions. A ce rythme, on finira par décerner une croix d’honneur aux colons qui ont réalisé des croissances infinies dans ces domaines (partant de zéro ou division par zéro) ! Là encore nous ne pouvons accepter des analyses de « low expectations » comme si nous les nègres, nous devrions nous contenter de peu !

Prenons un exemple parmi tant d’autres : La Malaysie, une colonie britannique devenue indépendante après le Bénin en 1963, et qui avait elle aussi des défis (et quelques avantages). Trois fois la taille et la population du Benin, ce n’est pas un géant geographique. Les ¾ de sa population était pauvre, essentiellement agricole en 1963 (à part un peu de minerai de fer). Les techniciens malais vinrent au Dahomey d’alors étudier les techniques de culture du Palmier à huile…

Aujourd’hui la Malaisie exporte l’huile de palme raffinée au Benin, a un PIB de plus de $746 Milliard (près de 100 fois celui du Benin). Certes les Nouveaux Pays Industrialises d’Asie dont la Malaise fait partie, ont des particularités qu’il n’est pas possible de discuter en long dans cet article, mais le fait est là que partie d’une base aussi faible que la nôtre, ce pays aujourd’hui est une puissance industrielle et économique. On pourrait multiplier les exemples avec des particularités différentes, mais le point commun étant la capacité de ces pays d’Asie, d’Amérique Latine à un degré moindre de surmonter les obstacles hérités de la colonisation et de se mettre sur la route du progrès, à des vitesses et degrés divers, alors que notre pays notamment est englué dans le marasme persistant de la misère endémique.

Quelle est la différence fondamentale, si ce n’est la médiocrité de nos gouvernants, l’asservissement de nos économies aux intérêts étrangers servis par une haute bourgeoisie locale sans la moindre fibre patriotique. Et cela continue aujourd’hui !

Que Mr Zinsou essaie d’embellir la situation et d’occulter la responsabilité de nos dirigeants passes et actuels est simplement une faute majeure de diagnostic.

Il n’y a pas de vent ( favorable) pour celui qui ne sait où il va, et la bêtise –dit on- c’est de faire continuellement la même chose en espérant des résultats différents !

Poursuivre la gouvernance et la politique de dépendance menée par nos gouvernants –avec les rigueurs d’une « gestion moderne » ne peut apporter le changement majeur dont notre société et notre pays a besoin.

Mr Zinsou voit le verre Bénin plein au cinquième, nous le voyons aux 4/5 vide et pointons clairement et délibérément le doigt accusateur vers nos gouvernants et nos élites de 1960 à ce jour!

Si on peut comprendre qu’on parle de verre à moitié plein ( par opposition à moitié vide) car l’on est à mi-parcours, masquer un verre aux 4/5 vide ( nous serions au 1/5 de l’objectif d’éradication de la misère endémique selon le Professeur) en disant que le verre est un peu plein, relevé d’un sophisme soporifique, un luxe que notre peuple ne peut se permettre.

Mécénat, charité, associations caritatives et politiques publiques

Notre premier ministre est un mécène, amateur et défenseur de l’art Béninois. Il faut lui rendre cet hommage, ce d’autant qu’il a entrepris ce mécénat bien avant de penser à être mêle à la politique du Benin.

Nous convenons avec lui que l’indépendance culturelle est une nécessaire base et condition de l’indépendance économique qu’elle accompagne. Coca Cola a étendu son règne sur le monde à la faveur des films d’Hollywood, et si aujourd’hui le Bénin doit subventionner la farine d’un blé cultivé dans les plaines de Seine et Marne, pour que nos enfants puissent manger du pain français, la dépendance culturelle en est la  raison première !

Mais au-delà du mécénat que nous louons, nous attendons plus de notre premier ministre, qu’il initie et exécute des politiques publiques visant à supprimer la misère.

Les fondations caritatives, les ONG –dont notre pays regorge- ont leur place et leur rôle. Mais de même que les fondations Rockefeller et Ford, du nom de grands capitalistes américains n’ont pas joué de rôles décisifs dans la réduction de la pauvreté chez eux, de même l’impact des associations caritatives – étrangères encore plus que celles de notre frère ne peuvent être la réponse, voire une réponse a la misère endémique qui sévit chez nous❑Aux USA, les reculs de la pauvreté ont été liés à des politiques publiques conçues et menées sous la pression du mouvement ouvrier comme les reformes de Roosevelt qui instaura –entre autres- la Sécurité Sociale dans les années 1930 – , la « guerre contre la pauvreté » de Lyndon Johnson poursuivant l’élan imprimé par Kennedy- qui instaura l’assurance maladie des personnes âgées –Medicare-, celles des personnes aux ressources limitées –Medicaid et autre programmes sociaux comme les tickets repas –food stamps- etc…

Bill Gates, malgré les milliards de dollars de ressources personnelles investies dans la réduction des inégalités d’accès à l‘éducation a jusqu’ici eu des résultats limités, faute de politiques publiques supportant ces objectifs. le capital social de départ demeurant le premier déterminant des résultats scolaires aux USA.

C’est dire que de notre premier ministre, produit –dans une certaine mesure- de la méritocratie française-, nous attendons des politiques publiques innovantes, sortant des sentiers battus du FMI et de la Banque Mondiale. L’appel au mouvement associatif  ne saurait être la réponse, ou même principalement la réponse à nos nombreux défis.

A celui qui a beaucoup reçu, il sera beaucoup demandé.

Le Benin n’a certes pas beaucoup donné à Mr Zinsou, à part les gênes. Mais puisqu’il se décide à s’impliquer dans notre destinée commune, nous voulons lui demander d’être sincère et audacieux.

Sincère dans le diagnostic, audacieux dans la recherche de solutions.

Nous voulons croire que cela est possible, que le premier de la classe pourra être le premier ministre qui trace les sillons permettant de sortir de la misère endémique.

S’il le fait, il sera reconnu comme un digne fils du Benin, héritier des Béhanzin, Kabba.

Si au contraire il devrait limiter nos ambition nationales, couvrir de son autorité académique, les dérives anciennes et récentes des gouvernants et des puissances étrangères qu’ils servent, alors il ne sera qu’un de ces premiers ministres dont on a tôt fait d’oublier le nom.

Nous voulons croire que la première option sera la sienne. Il en est encore temps

Jean F. Houessou
Atlanta Usa

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