Traduction de Kassa : «L’Assemblée doit contraindre le gouvernement à aller au bout de la procédure»

Dans le cadre du dossier de prévarication dans la mise en œuvre du Programme pluriannuel d’appui au secteur Eau et Assainissement (PPEA II) financé par le royaume des Pays-Bas, le gouvernement par le biais de son chef, a saisi le 29 juillet dernier le bureau de l’Assemblée nationale afin que ‘’soient prises toutes les dispositions appropriées pour faire écouter » le député Barthélémy Kassa dont la responsabilité serait engagée.

Réuni vendredi 31 juillet 2015, le bureau de l’Assemblée nationale après avoir émis certaines réserves quant à la procédure et la compétence du chef de l’Etat à saisir le Parlement dans le cas d’espèce, a installé une commission spéciale pour étudier la requête du gouvernement. Dans une interview accordée ce lundi à votre journal, Serge Prince Agbodjan, juriste et spécialiste des questions de droit apporte des réponses à nombre de questions que se posent les Béninois. Notamment sur la procédure- viciée ou pas ?- la compétence du chef de l’Etat à saisir l’Assemblée nationale et surtout le sérieux, la sincérité et la légitimité de la requête du gouvernement. Lisez-plutôt.  

Quelle analyse faites-vous du communiqué de l’Assemblée nationale suite à demande de levée d’immunité du député Barthélémy Kassa dans le cadre du scandale PPEA II ? Et quelle est la procédure ?

Serge Prince Agbodjan : Il y a une première analyse que nous pouvons faire dans la lettre du président de la république. L’analyse nous amène à révéler que les parties sont toutes embarrassées par la procédure telle que engagée. Et le chef de l’Etat, et l’Assemblée nationale semblent à mon avis embarrassés par la procédure.  Je comprends leur attitude parce qu’en fait, nous sommes dans une double procédure. D’abord, la saisine de la Haute cour de justice qui s’explique par le fait que l’intéressé impliqué dans ce dossier est mis en examen dans une procédure liée à sa  qualité de membre du gouvernement. En effet selon les articles 137 de la Constitution du 11 décembre 1990 et 2 de la loi organique de la HCJ, la HCJ est compétente pour juger le Président et les membres du gouvernement pour les infractions commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Le législateur ajoute qu’avant d’être poursuivi, il faut obtenir une procédure particulière qui est le vote des deux tiers (2/3) des députés composant l’Assemblée Nationale. Ce qui suppose que l’infraction qu’on est en train d’imputer à monsieur Barthélémy Kassa n’a eu lieu que lorsqu’il était ministre du gouvernement, donc sans qu’on obtienne la poursuite devant la Haute cour de justice, le présumé coupable ne peut pas répondre de ses actes. La première action à mener est nécessairement l’autorisation de la poursuite devant la Haute cour de justice, une procédure très bien organisée par la Constitution du 11 décembre  1990 en ses articles 136 à 138, la loi organique de la Haute cour de justice à partir de son article 15 et le règlement intérieur de la Haute Cour de Justice en ses articles 2, 37 et 38.

Mais l’intéressé, bien qu’il soit soupçonné de l’infraction au moment où il était ministre de la république, est aujourd’hui député à l’Assemblée nationale, donc bénéficie de l’immunité parlementaire. La conséquence juridique, c’est que pour qu’il soit écouté devant une juridiction même si ici il s’agit de la Chambre  d’Accusation de la Cour d’Appel pour des infractions commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, les députés sont tenus à ce niveau-là aussi, de lui lever l’immunité parlementaire. En clair, ce sont deux procédures distinctes qui doivent être engagées contre Barthélémy Kassa.

Je comprends alors l’embarras du président de la république, quand il n’évoque dans sa lettre ni la procédure de la levée de l’immunité parlementaire ni la procédure de la poursuite parce que le monsieur en question est sous l’emprise de ces deux lois.  

Face à ce que j’appelle l’embarras du Chef de l’Etat, Chef du gouvernement dans sa lettre, j’apprécie la réponse du Bureau de l’Assemblée nationale qui de son coté évoque les questionnements sur sa lettre face aux deux procédures, décide, au regard de la non clarté de la lettre du chef de l’Etat, de demander une analyse approfondie de la question à travers la commission mise en place présidée par un magistrat dont le rapporteur est un professeur agrégé de droit.

Lire Immunité de Barthélémy Kassa : l’Assemblée émet des réserves

Ce qu’il faut retenir du communiqué de l’Assemblée nationale, c’est d’abord saluer la transparence du Parlement, notamment du bureau qui a pu mettre à la disposition du peuple béninois ce communiqué qui explique l’embarras qu’il a par rapport  à la procédure et la commission qui a été mise en place.  

Mais de toutes les façons, il y a à voter une poursuite de l’intéressé devant la Haute cour de justice et il y a à lever l’immunité parlementaire de l’intéressé.

N’est-ce pas pour résumer ces deux procédures en une seule que le chef de l’Etat dans sa correspondance a demandé « que soient prises toutes les dispositions appropriées pour faire écouter » le député Kassa ?

Non. S’ils le font ainsi, ils- les députés violeraient les textes qui réglementent la matière. L’intéressé a deux statuts. Il est devant les juridictions dans l’exercice de la fonction de ministre du gouvernement. Et la Constitution et la loi organique de la Haute cour de justice disent que quelqu’un comme lui doit faire l’objet d’une demande de poursuite. Ce qui doit être fait. L’intéressé est également député à l’Assemblée nationale. Et la loi dit qu’avant qu’un député ne fasse l’objet d’une procédure judiciaire, il faut lui lever l’immunité. Donc, on ne peut pas mettre ensemble les deux procédures. L’intéressé a deux qualités, et ces deux qualités doivent être prises en compte dans la procédure.

Le chef de l’Etat est-il compétent pour saisir l’Assemblée nationale au sujet de la levée d’immunité d’un député ?

Il suffit qu’on se réfère à la pratique en la matière. Ce n’est pas la première fois que le président de la république saisit l’Assemblée nationale en la matière. Cela avait été déjà fait à la 6ème législature qui a voté des poursuites contre des ministres pour tel ou tel fait.

Le gouvernement peut demander la procédure de poursuite d’un membre du gouvernement. Et celui qui est le chef du gouvernement, c’est le président de la république. Donc, il peut ici, dans le cadre de la poursuite du député Barthélémy Kassa, saisir l’Assemblée nationale.

Si l’infraction était constituée et que l’enquête était en cours, on aurait dû avoir une procédure engagée par le procureur général, donc c’est  la justice qui devrait demander de lever l’immunité de l’intéressé parce que le dossier est déjà en cours à son niveau et qu’il a besoin de l’écouter. Dans le cas d’espèce, la justice vient d’être saisie. Et de toutes les façons, c’est le gouvernement qui est qualifié pour demander que l’intéressé soit poursuivi devant la Haute cour de justice.

Le président est-il obligé de qualifier l’infraction dans sa lettre à l’Assemblée nationale ?

Non s’il s’agit d’une poursuite devant la haute Cour de Justice. Ce n’est pas aux députés, au regard de la procédure devant la Haute cour de justice, de chercher à comprendre l’infraction qui est prévue. Puisque c’est la saisine de la Haute cour de justice, dès lors qu’ils autorisent la poursuite de l’autorité politique qu’est le ministre, c’est dans l’instruction du dossier que le juge instructeur va faire les enquêtes pour savoir l’implication de l’intéressé. Et ils ont encore leur dernier mot à dire. Parce que la procédure, dans ce cas, lorsque le juge d’instruction finit son travail, doit leur revenir pour cette fois-ci  l’autorisation pour la mise en accusation avant l’audience proprement dite devant la Haute cour de justice. Donc, ici, on ne peut avoir les incriminations du Président de la République. Les articles cités plus hauts sont clairs sur la question.

Est-ce qu’en l’état actuel, on peut dire que la procédure est viciée ?

Je n’ose pas dire que la procédure est viciée parce que les deux autorités sont restées prudentes. Le chef de l’Etat n’a pas évoqué la procédure de poursuite devant la Haute cour ni la procédure de levée d’immunité. L’Assemblée nationale ne voyant pas si c’est la poursuite ou si c’est la levée d’immunité, a décidé de mettre en place une commission pour que cette dernière clarifie la situation. Il suffit qu’on se réfère à la pratique pour se rendre compte qu’en matière de poursuite devant la Haute cour de justice, c’est au gouvernement par le biais de son chef que la demande d’autorisation de la poursuite devant la HCJ est faite.

Doutez-vous comme l’ont fait les députés du caractère sérieux, loyal et sincère de la demande du chef de l’Etat ?

L’infraction a été constituée. Il y a eu des fonds qui ont été distraits par certaines personnes. Et même si le chef de l’Etat n’est pas d’accord pour une éventuelle poursuite des personnes impliquées, c’est aux députés de prendre leurs responsabilités. C’est à eux-les députés- de ne pas tomber dans le jeu du gouvernement si celui-ci donnait par exemple matière à réfléchir sur sa volonté à le faire. S’ils se mettent à dire qu’ils ne comprennent pas la lettre et qu’ils ne peuvent pas lever l’immunité parlementaire de leur collègue autoriser une poursuite, on rentrera dans l’analyse politique de leur décision. Il faut éviter de faire de la politique sur la procédure. Les textes sont bien clairs ; Le Président a saisi le parlement  et le parlement doit jouer sa partition dans l’intérêt du peuple.

Il faut dire dans ce dossier que tous les partenaires techniques et financiers observent le comportement de chaque acteur par rapport à la résolution de cette situation. Les Pays-Bas, dans leur communiqué, ont même parlé d’impunité. Donc chaque acteur doit jouer son rôle pour qu’il n’y ait pas impunité dans ce dossier.

S’il était question de conseiller quoique ce soit, je dirai que même si le président a omis de préciser des choses, c’est à l’Assemblée nationale de rentrer dans la procédure et d’exécuter les deux procédures telles que convenues quitte à ce que les députés ne votent pas aux deux tiers (2/3), là on comprendrait mieux. Mais on ne peut pas rester dans le jeu de courrier pour ne pas aller au bout de la procédure.  Il y va de la crédibilité de nos institutions.

Laisser un commentaire