Gouvernance : Diagnostic et solutions d’un atelier de l’Abdc du professeur Joël Aïvo

« Quelle doit être la charpente et la composition du gouvernement pour une gestion efficace du pouvoir ? » C’est sur cette problématique que ce sont tenus ce mercredi 11 novembre, au centre de documentation de la Cour d’Appel de Cotonou les deuxièmes entretiens politiques de l’Association béninoise de droit constitutionnel.

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Le workshop a été marqué par des réflexions assez nourries des acteurs politiques de tout bord, des scientifiques ainsi que des militants de la société civile. En moins de dix ans de règne, le président Boni Yayi a effectué 10 remaniements. Plus que son prédécesseur Mathieu Kérékou en a fait en dix années. Sous l’actuel régime, certains ministères clés et des sociétés d’Etat ont connu autant de dirigeants que d’années de règne. A titre d’exemple, sous le régime de Changement-Refondation qui tire à sa fin, le pays a connu 9 Gardes des Sceaux, 9  ministres de l’Intérieur, 9 ministres du Commerce et 6 ministres des Finances. «Le président Boni Yayi a utilisé en permanence la gâchette gouvernementale», a constaté le professeur Joël Aïvo, président de l’Association béninoise de droit constitutionnel (Abdc). On note, a-t- il poursuivi, « une diarrhée gouvernementale qui compromet dans certaine mesure l’efficacité des politiques publiques. De tout ce tableau, «il se dégage le constat d’une instabilité gouvernementale », a déduit l’agrégé de droit public. Quelles sont les causes de cette instabilité ? Quelles pourraient en être les solutions ? C’est toute la raison d’être de l’atelier de l’Abdc. Le workshop d’hier au centre de documentation et d’information juridique de la Cour d’Appel s’inscrit dans le cadre des entretiens politiques que le professeur Joël Aïvo et ses pairs ont décidé d’organiser sur la présidentielle de 2016. Les premiers entretiens se sont tenus mercredi 6 novembre dernier sur « Les partis politiques et l’élection présidentielle de 2016 ». Ceux d’hier ont porté sur « la rationalisation des fonctions gouvernementales au Bénin ». L’initiative est réalisée avec l’appui de la Fondation allemande Hanns Seidel et de Canal 3 Bénin. Elle a connu la participation effective d’éminentes personnalités politiques (mouvance et opposition), des professeurs d’université, des journalistes et des figures de proue de la société civile.

Lobbys religieux, clan familial et délit du mérite

Au total, trois communications pour camper le décor des «entretiens» et permettre aux participants de disséquer les tenants et aboutissants de l’instabilité gouvernementale. La première sur « les partis politiques et la formation des gouvernements au Bénin » par l’ancien ministre Alexandre Hountondji ; la deuxième sur « la stabilité gouvernementale et la bonne gouvernance sous le renouveau démocratique » par l’expert en aménagement du territoire et développement local Simon-Narcisse Tomety. La dernière sur « quel nombre et quel profil des ministres pour une efficacité gouvernementale ? » par le professeur Victor Topanou, ancien ministre. Des exposés et témoignages,  on retient qu’au Bénin « le chef de gouvernement à trop de pouvoir». « L’intelligence des membres du gouvernement se ramène à la seule volonté du chef de gouvernement », avoue Adidjatou Mathys, ancienne ministre de l’Economie et des Finances de Boni Yayi. Conséquence, « le pays ne profite pas de toutes les capacités des ministres ». Mais poussant un peu plus loin la réflexion, l’on vient à conclure que l’instabilité gouvernementale trouve ses explications dans des facteurs d’ordre socio-politiques. « La formation d’un gouvernement est une tâche éminemment politique qui tient compte des réalités politiques du moment », analyse le professeur Victor Topanou. Le chef du département de Sciences politiques de la Faculté de droit de l’Université d’Abomey-Calavi est soutenu par le ministre Marcel de Souza. «Le chef de l’Etat doit, avec la formation du gouvernement, gérer la géopolitique », a renchéri l’ancien ministre du Développement, député à l’Assemblée Nationale.  Cela devient très compliqué, quand on sait qu’au Bénin, les affaires étatiques sont conduites de sorte que chaque commune (77) veut avoir son ministre. « La préservation des intérêts régionaux pèse beaucoup », a ajouté le ministre Alexandre Hountondji. Fin connaisseur du système Yayi dont il fut conseiller spécial, il est revenu sur des critères de nomination dans l’équipe gouvernementale. Selon ses témoignages, pour entrer au gouvernement,  il faut être un tribun dans une région, appartenir à un lobby religieux ou être proche de clan familial du chef de l’Etat. « L’appartenance politique vient après », insiste-t-il. Avant de se désoler du fait que dans la formation du gouvernement « la non appartenance à une religion pose problème ». Pis, «Il y a parfois le délit du mérite».

Réformer les textes, former les têtes

L’instabilité gouvernementale est liée aux étendues du pouvoir du chef du gouvernement, le président de la République ; son style de gouvernance, la faible implication formelle de l’Assemblée Nationale dans le processus de formation d’un gouvernement et la faiblesse des partis politiques. Emiettées, les formations politiques pèsent généralement peu, ou absolument rien, dans les rapports de force. A l’exception, bien évidemment, de quelques-uns. Les faits exposés. Les causes connues. Comment inverser la tendance ? Primo. Il faut opérer des réformes. Notamment dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs des institutions, mais sans toutefois trop rogner ceux du président de la république. Secundo. Le renforcement de la charte des partis politiques.  Il faut réformer le cadre partisan de sorte à ce qu’on aboutisse à des grandes alliances politiques. « Il n’y a pas de démocratie sans partis politiques », dira le professeur Joël Aïvo. Plus encore, il ne peut y avoir une démocratie en bonne santé sans un cadre partisan sain et des formations politiques fortes. La troisième piste de solution réside dans l’éducation des élites politique. Former et éduquer, comme le postule le socio-politologue Gilles Gohy, les dirigeants et élus potentiels à la gestion de l’Etat et la gouvernance publique. Car, comme l’a diagnostiqué, le professeur Joseph Djogbénou «le Bénin n’a pas un problème de textes, mais de têtes»

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