La mémorable oraison funèbre de Moïse Kérékou à son père

Le jeudi 10 décembre au stade l’amitié de Kouhounou – qui porte dorénavant son nom- la nation toute entière rendait un dernier hommage à son président Mathieu Kérékou avant le départ de la dépouille pour Natitingou où elle a été inhumée.

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C’était l’occasion pour ses enfants aussi d’en faire autant. C’est l’ambassadeur Moise Kérékou qui, au nom de ses frères et sœurs, va lire l’oraison funèbre. Le texte est homérique. L’auteur y a mis un art exceptionnel inconnu de lui. Avec emphase et métaphore, il décrit la damnation suprême, cette mort qui n’épargne personne. Et qui, ce mercredi du 14 Octobre, rend visite au sage casanier de la résidence des filaos. Il décrit un phénomène exceptionnel auquel s’est mêlée la nature. Ce jour, une averse éclata et permit d’emporter dans une fraîcheur inattendue l’au-delà l’âme de l’illustre disparu. Moïse Kérékou salue ensuite « un homme exceptionnel, un soldat de la paix, un artisan de l’unité nationale, un partisan de la non-violence, un apôtre de la morale, un précurseur de l’humanisme universel ». Il finira en disant la dernière volonté du Général : le conduire à Natitingou pour être enterré aux côtés de mère Maman Yokossi. Cette oraison funèbre est un chef d’œuvre. Le président Boni Yayi n’a pas hésité à chuchoter à l’auteur: « Je ne savais pas que tu étais un poète ». 

S’il est une chose à laquelle tous les hommes sans exception croient, c’est à la mort. Chacun est convaincu qu’elle viendra un jour. Elle est un rare fait au sujet desquels il n’y a nulle discussion, nul doute.

Phénomène naturel et inéluctable, la mort nous rappelle constamment que dans ce bas-monde nous sommes poussière et nous retournerons poussière. A la différence de beaucoup de phénomènes terrestres, la mort est bizarre. Elle ne s’annonce pas, elle ne prévient, elle ne prend pas rendez-vous avant de frapper à la porte. Elle surprend, surgit au moment où on s’y attend le moins, au moment où on s’y est le moins préparé. C’est un invité importun d’autant plus qu’avant vous ne lui répondiez, elle ouvre la porte, perfidement et incognito. A son départ, on ne constate que désastre, tristesse, amertume et désespoir.

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La journée de ce mercredi 14 octobre 2015 a commencé comme toutes les journées, courtoise, amicale et belle. La voute céleste était ensoleillée et d’un bleu enchanté. Nul ne se doutait de ce qui allait arriver dans quelques heures. Nul ne présageait vraisemblablement de l’évènement en préparation. Sauf un homme, le vieux-sage dans le silence s’y préparait depuis surement un bon moment à cette heure fatidique. Couché comme à l’accoutumée sur son lit, il scrute d’un œil vif et pénétrant, malgré la faiblesse du corps alité, le monde invisible qui l’appelle à une autre vie. Sa vie terrestre touche à sa fin. Le sage n’est pas inquiet, son visage est serein et paisible. Il est à la fois l’acteur principal et le seul spectateur de l’évènement prodigieux qui se déroule devant son œil intérieur. Sa vie entière et ses œuvres majeures s’y déroulent comme dans un film. Une clarté surnaturelle apparut au-dessus de sa couche et enveloppa la pièce. Ses traits s’éclairèrent encore davantage.

Dans la résidence de l’ermite tout est calme, rien ne laissait entrevoir les changements qui s’opéraient, quand soudain aux alentours 13h30, un coup de tonnerre fit légèrement trembler les fenêtres. Les flots de la mer à quelques mètres répondirent en mugissant. Les vents hurlèrent et un orage éclata. Des éclairs déchirèrent le ciel de part et d’autres. Aussitôt le ciel s’assombrit et les cœurs se contractèrent. Que se passe-t-il au juste, pourquoi cette malice impétueuse du temps ? Les dieux étaient-ils en conciliabule dans le Walhalla? La météo prédisait pourtant un beaux temps. Les éléments de la nature se déchainèrent furieusement et une pluie torrentielle s’abattit sur la ville de Cotonou ; porteuse et annonciatrice d’une nouvelle aux hommes…

Le vieillard gisant sur son lit s’en fut vers ses derniers instants sans être avertis mais non sans être préparé. Il savait que son heure était arrivée. Il était prêt à quitter les siens pour rejoindre les siens. L’instant de quelques secondes, la noble et belle âme du sage procéda courageusement à l’ultime bond de l’autre côté du monde.

L’homme semblait dormir paisiblement aux dires de son fidèle serviteur, mais ce n’était qu’une apparence. En réalité il s’en est allé. Il n’était plus…

Très vite comme une traînée de poudre, la nouvelle se répandit à la vitesse du son et se diffusa à celle de la lumière, de la mer écumante du littoral, aux montagnes de l’Atacora et dans toutes les contrées lointaines du pays. En effet, l’homme qui venait de quitter ce monde n’est pas un inconnu. Ce n’est pas n’importe qui. Il s’agit bel et bien du Général Mathieu KEREKOU.

La tristesse des siens et la consternation du peuple furent indicibles. Comment le Général avait-il pu nous quitter de sitôt, à un moment où le peuple avait encore besoin de lui. C’est en reprenant le psalmiste, que peut-être les cœurs s’apaiseront. Je voudrais crier haut et fort comme David, Vous tous Peuple battez et acclamez tous des mains ! Et poussez vers Dieu des cris de joie, car l’Eternel, le Très-haut est redoutable et magnifique, Il est grand Roi sur toutes la terre. Il est le seul et unique Souverain. Il a donné et il a repris.

Chers invités, bonne arrivée, merci d’être venu et d’avoir répondu massivement à l’appel du Président de la République, le Dr. Yayi Boni. Mes frères et moi nous vous présentons la précieuse dépouille de celui qui fut votre Président de 1972 à 1991 et de 1996 à 2006. Ici, gît donc et repose douillettement dans ce cercueil préparé à cet effet, le précieux corps terrestre de notre bien-aimé et regretté Père, le Général Mathieu Tchaa KEREKOU. Que la bénédiction de Dieu repose sur lui.

Est-il besoin de le rappeler, peut-être exceptionnellement pour la circonstance aujourd’hui, que le Chef de famille KEREKOU, le patriarche de la fratrie KEREKOU est aussi le père de nombreux citoyens béninois et africains qui clament haut et fort leur filiation. Depuis que le respectable vénéré et sage s’en est allé, le continent africain est en émoi.

Qu’attendez-vous de la famille, qu’espérez-vous entendre en ce jour si ce n’est que silence, méditation et contemplation. Que voulez-vous voir d’autres. Sa vie simple, son parcours exceptionnel et son œuvre ne parlent-ils pas d’eux-mêmes ? Tel un artiste qui nous parle et qu’on ressent à travers son œuvre.

Ne voyez-vous pas la tristesse, le chagrin et la peine qui se lisent sur nos visages? Depuis le 14 octobre, nous portons le deuil. Depuis 58 jours la famille est affligée.

Mais ce deuil n’est pas seulement le nôtre. Il est le vôtre aussi. Ce deuil est national. En témoignent d’ailleurs votre présence massive laquelle peut s’expliquer par la fonction suprême que le décédé a occupée, ses qualités intrinsèques reconnues, et surtout le sacrifice énorme qu’il a dû consentir pour le bien-être de tous.

Il n’est l’ombre d’un doute que notre regretté Père, que Dieu le comble de Sa grâce, a sacrifié sa vie pour son peuple. Ce sacrifice fut immense, incommensurable à la mesure des exigences et des défis auxquels il était confronté, exigences et défis de son temps. Ce n’est ni suffisance ni vanité déplacée si nous déclarons en ce jour que le Général s’est sacrifié au prix de sa propre vie, cette vie qu’il a courageusement offerte à ce pays qu’il a tant aimé, de tout son cœur et de toute son âme.

Nous ses enfants, avions partagé ses douleurs, ses inhibitions, ses inquiétudes, ses angoisses, sa souffrance, d’une manière ou d’une autre. Nous avions fièrement porté ce fardeau sans bougonner car nous avions l’intime conviction qu’il faisait œuvre utile pour la nation et qu’il était sur le chemin de l’accomplissement de son destin.

La vie de notre regretté père, que Dieu ordonne aux anges de lui ouvrir Son royaume, nous interpelle à un examen de conscience des plus rigoureux et nous appelle à revisiter l’histoire de notre cher pays. La sagesse populaire ne nous enseigne-t-elle pas ceci : lorsque tu ne sais pas où tu vas, il faut savoir d’où tu viens. C’est le moment idéal de procéder donc à un examen de conscience comme il aimait si tant à nous le dire et aussi à une restitution de nos valeurs républicaines.

Toute la vie du Général était recherche constante de paix et de concorde. Il n’est pas étonnant qu’il ait atteint déjà ici-bas, la félicité. Puissions-nous aspirer, nous béninois, de toutes nos forces à cette Paix.

Le Général, pour y arriver a dû renoncer à lui-même au profit de son peuple.

Cette renonciation de soi dont il a fait preuve est en fait, la plus grande leçon d’humilité et de sagesse. L’abnégation dont il a fait preuve constituait à la fois sa force et le véritable legs qu’il laisse à la postérité. Quel bel exemple. Pouvoir renoncer à soi pour l’autre. Pouvoir se donner à l’autre. Ce n’est pas donné à tout le monde. Imparfait il l’était assurément, comme tout homme, mais un modèle, il le restera jamais.

Le Général avait l’art et le secret d’éduquer par et dans le silence.

Son immense sacrifice ne doit pas rester vain. Il doit être le ciment de notre union définitive du nord au sud, de l’est à l’ouest. Ce sacrifice nous engage vis-à-vis de nos familles respectives, vis-à-vis du peuple et vis-à-vis de Dieu. Ce sacrifice est devenu à la fois le flambeau qui nous éloigne à jamais des voies obscures et le socle sur lequel nous devons désormais vaillamment construire l’avenir.

Par conséquent, la meilleure et juste manière d’honorer l’homme et de lui témoigner notre respect, notre affection et notre amour, c’est de nous appuyer fermement sur ce socle et de maintenir haut le flambeau qui nous illumine et qui impose de la part des autres peuples africains respect et admiration.

A partir d’aujourd’hui, utilisons la douleur qui nous étreint pour démontrer à la face du monde que nous sommes un peuple comblé, un peuple béni, un peuple élu… un peuple responsable. Car nous béninois, avions eu ce privilège, cette grâce, d’accueillir un éminent être, un homme exceptionnel, un soldat de la paix, un artisan de l’unité nationale, un partisan de la non-violence, un apôtre de la morale, un précurseur de l’humanisme universel.

En outre, le meilleur hommage qui puisse être rendu à cet homme est de nourrir, d’entretenir cette aspiration constante et inassouvie au plus profond de nous-mêmes, à la Paix, félicité des bienheureux. Chaque béninois et béninoise doit veiller à la paix en son for intérieur d’abord, à la paix dans son foyer, à la paix pour son voisin, à la paix pour sa patrie. Ainsi une onde de force se dégagera et se propagera. Paix au Bénin et paix dans le monde, tel est désormais le crédo auquel la vie du Général nous exhorte. En cela, nous peuple béninois, devenons à partir de ce jour par le sacrifice du citoyen Mathieu Kerekou, les veilleurs de nuit, les dépositaires assermentés et les légats de la paix.

Nous le savons tous, notre regretté père que Dieu l’accueille dans son Paradis, était un soldat de valeur, convertit à la politique à l’issu du coup d’état du 26 octobre 1972, il est devenu par la force des choses dans l’exercice responsable et fidèle du pouvoir d’Etat pendant 27 ans, un socialiste convaincu, ensuite un démocrate accompli à l’issue de la Conférence des forces vives de la nation en février 1990 et enfin un homme d’Etat confirmé en avril 2006. On peut affirmer sans risque de se tromper qu’il a vécu pleinement son temps et qu’il a été utile pour les uns et les autres.

L’exercice de tout pouvoir et surtout du pouvoir suprême, du pouvoir d’Etat exige un attachement fidèle à la vertu. La vie du Général est témoignage évident de la recherche constante de la vertu. Il semblait en être l’incarnation sur terre, un génie des vertus. En tout cas, c’est ce que nous ses enfants voyons en lui.

Notre regretté père, que Dieu protège la veuve et les orphelins, était le génie de l’humilité et de la modération. Il était évident qu’il soit devenu l’ami de la simplicité, de la candeur, de la justice, de la prudence, de la droiture, de la compassion, de la générosité, de l’amour, de la modestie, du courage, de la compassion, de la fidélité et de la sagesse. C’était comme si toutes les cordes de son âme vibrait à l’unisson des vertus.

Certainement de là naquirent une force prodigieuse et exceptionnelle, confiant en la victoire du bon vouloir, et assuré de la victoire de la lumière sur les ténèbres. Beaucoup reconnaissent qu’il était un bon soldat qui assurait majestueusement le Commandement. C’était un homme de bonne foi, intègre et sincère, on en trouve plus malheureusement de nos jours. C’était un homme digne de confiance qui détestait l’injustice et rejetait les inégalités. Il était d’une grande probité intellectuelle, responsable, magnanime, courtois, honnêtes, travailleur, fin stratège, exemplaire, judicieux dans la conduite des affaires de l’Etat, discipliné, compatissant à la peine et à la souffrance de son prochain, et surtout en famille regardant et soucieux de l’avenir de ses enfants…

Assis ou debout, il était un point de repère, un roc qui protège des flots tumultueux des vicissitudes, une oasis qui désaltère, appelle le voyageur fatigué au repos et protège des simouns destructeurs. Dans la confusion totale, il éclairait par la simplicité et la justesse de ces idées, et en plus dans un humour déconcertant qui nous rappelle que tout est éphémère sur terre. Il était la solution aux préoccupations de l’heure et aux problèmes. Il était le guide, le protecteur. Il était une source de force spirituelle et un refuge de la paix.

Mathieu KEREKOU, homme de sacrifice, homme de vertu, mais aussi homme de foi. Que pouvait-il sans la foi, sans cette intimité avec Dieu ? Le comportement et la grandeur de l’œuvre de l’homme prouvent qu’il a connu Dieu, ou plutôt qu’il a finalement reconnu et accepté le Dieu unique. Tous ses grands accomplissements se sont déroulés dans la foi inébranlable en Dieu.

Ce 14 octobre de l’an 2015, il s’est éteint emportant avec lui sa foi laquelle luit à présent dans l’au-delà sous forme de lueur rose invitant le soldat intrépide au repos après ses longues luttes terrestres.

A présent, revenons pour finir aux phénomènes extra-terrestres, l’âme de l’illustre disparu s’est complétement détachée de son corps. Se tenant déjà prêt depuis un bon moment pour l’ultime bon, mais en toute confiance et dans sa fidélité légendaire attendant l’appel de son Dieu, qu’il a servi fidèlement durant toute sa vie. Il se rassoit à califourchon sur son cercueil. Que se passe-t-il ? Père vas en paix et ne craint rien, ne vois-tu pas l’approche de la nuée des anges venir t’accueillir et t’accompagner ? Tes siens sont aussi là. Comment ? Tu dis quoi ? Ta voix est si faible et mon oreille si lourde, n’oublie pas qu’une étendue de cosmos nous sépare, peux-tu crier un peu plus fort. Comment, tu refuses de partir. Ah non, tu ne nous feras pas encore ton coup favori. Tu veux qu’on te supplie une dernière fois avant que tu ne te lèves.

Le Général qui était pourtant debout à l’instant, s’est rassis. Il refuse tout bonnement de se lever Il émet un dernier souhait, celui de se rendre une dernière fois chez lui à Natitingou. Il veut s’assurer lui-même que sa dépouille reposera à côté de sa maman, Maman Yokossi et voir de lui-même la belle pyramide dont il a eu échos. Sacré Général, même dans l’au-delà il reste attaché à ses principes dont certainement le plus connu de tous est: la confiance n’exclut pas le contrôle. Ah oui, il insiste. Il ne montera pas sans s’en assurer. C’est sa volonté. En effet, c’est du sommet de la montagne qu’il compte prendre son envol. Sacré Général, tu ne cesseras de nous étonner. Que ta volonté soit faite. Nous t’amènerons alors à Natitingou. A vos ordres Général.

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