Avec les obsèques en grande pompe, la semaine dernière, du Général Président Mathieu Kérékou, le Bénin, est-on tenté de dire, sait rendre hommage à ses anciens dirigeants. Mais erreur, un tour dans le passé, en référence notamment à l’ancien Président de la République, le Général Christophe Soglo oublié de la nation, on se rend compte d’une disparité qui ne dit pas son nom.
Christophe Soglo. Ce nom, pour beaucoup de la jeune génération ne dit peut-être rien. Pourtant il s’agit de l’une des douze personnalités qui ont eu le privilège et la charge de se succéder à la tête du pays depuis 1960. Christophe Soglo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est un ancien haut gradé de l’armée béninoise, qui a dirigé par deux fois le Dahomey, actuel Bénin. Colonel puis général de brigade, il a d’abord été porté à la tête d’un gouvernement de transition formé après le coup d’Etat du 27 octobre 1963 ayant déposé le président Hubert Maga avant de rendre le pouvoir à Sourou Migan Apithy le 25 janvier 1964. Il reviendra en décembre 1965 par un second coup d’Etat en réponse à la politique d’Apithy qu’il n’a pas approuvée et dirigera le pays pendant deux années jusqu’en 1967, année où de jeunes officiers le renversent à son tour. L’ancien combattant de la guerre d’Indochine (Vietnam aujourd’hui), décide alors de se retirer de la vie politique du Dahomey.
Président réduit à néant
Quand le Président Christophe Soglo estimait qu’il devrait quitter la scène politique de son pays sans causer du tort, c’était sans compter avec la détermination du régime militaire du Colonel Alphonse Alley à lui pourrir l’existence. Pendant qu’il est en exil à l’étranger, le 29 juin 1968, par arrêté du ministère de l’Intérieur et de la sécurité, « il est interdit d’entrée et de séjour sur le territoire de la République du Dahomey » au même titre que d’autres anciens Présidents de la République dont Sourou-Migan Apithy, Hubert Maga, Justin Ahomadégbé-Tomètin. Ceci est l’acte I d’une série de représailles le visant personnellement. Quelques dix jours après l’interdiction d’entrée et de séjour dans son pays, le Général Christophe Soglo est précocement « mis à la retraite » par décret présidentiel en date du 08 juillet 1968. Acte II. Dès lors il ne lui restait qu’à percevoir sa pension de retraite. L’arrêté ministériel l’avait également mentionné : « En attendant la liquidation de leur pension, un acompte pourra être versé aux intéressés la fin du trimestre civil suivant la cessation de l’activité, dès production de leurs dossiers de pension ». Des sources administratives et politiques renseignent que le Général Christophe Soglo n’a rien reçu de sa pension avant de passer de vie à trépas. Jointe, sa famille confirme et explique que « ce n’est pas faute d’avoir essayé même si pendant un moment, son absence au pays pour interdiction de séjour l’a privé physiquement de la possibilité d’accomplir les formalités ». Seulement qu’après, à de nombreuses reprises, le dossier a été relancé sans suite.
Un dossier classé sans suite
Le Général Président Christophe Soglo, faut-il le rappeler, n’était pas le seul chassé du territoire et frappé par des mesures arbitraires. Comme lui les présidents Maga, Apithy, Ahomadégbé étaient visés. Mais tous, sauf Christophe Soglo ont été « grassement dédommagés ». Ceci comme l’a recommandé la Conférence des forces vives de la nation de février 1990 qui a amnistié tous les militaires et autres y compris ceux très décriés de la période révolutionnaire. Dans l’optique d’avoir gain de cause, sa famille entreprend des démarches à l’endroit de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la période révolutionnaire jusqu’à ce jour. Mais rien n’y fit ! Même pas sous le régime de son neveu Nicéphore Soglo. Celui-ci ayant hérité d’un pays économiquement exsangue et tenant au redressement de l’économie ne s’est pas précipité pour régler une affaire qui le concerne aussi. Il avait, révèlent nos sources, rassuré la famille du Général de ce que le dossier serait réglé dès que la situation économique du pays le permettrait. Mais Nicéphore Soglo perdra le pouvoir en 1996 au moment même où il remettait le pays à flot, économiquement.
Avec le retour au pouvoir du Président Kérékou, plusieurs lettres ont été à nouveau adressées par la famille aux autorités. En témoigne une réponse du cabinet militaire en date du 05 novembre 2005. On y lit que « le dossier a été transféré au ministère de la Défense nationale pour étude et suite à donner ». Depuis lors, aucun retour. Aussi, la famille s’est-elle finalement adressée au Médiateur de la République. Celui-ci prend l’affaire à bras-le- corps et mène les diligences qui lui incombent. Il en informe la famille. Mais toujours rien à ce jour de la part des autorités.
Sans assistance ni inhumation quelconque
Cet homme qui a présidé aux destinées du Bénin aura connu un des plus humiliants traitements pour une personnalité de son rang bien qu’il n’ait jamais été accusé de quelque horreur ni prévarication. Des explications de la famille, apprend-on, durant sa retraite, l’ancien chef d’Etat du Bénin n’a bénéficié d’«aucune assistance médicale ». « Incroyable mais vrai ! », s’indigne la famille qui révèle qu’il avait été informé qu’on l’évacuerait pour des soins à l’étranger. Mais qu’au jour-J, le Président souffrant est resté devant son portail, valise à côté, durant toute une journée sans que personne ne s’en fût le chercher. On aura donc fait poiroter l’ancien Président de la République dans un état de santé délicat. Comme si cela ne suffisait pas, cette humiliation à lui faite durant sa retraite aura continué jusqu’après sa mort. En effet, décédé, le 07 octobre 1983, il connaîtra une inhumation quelconque. Pour toute contribution à la cérémonie de ses obsèques, ce n’est qu’une enveloppe de 200.000 FCFA que la famille aurait reçue. Elle confirme mais précise que les autorités lui avaient dit que l’armée s’occuperait de l’enterrement de son officier. Cependant, la famille relève qu’aucun hommage digne de son rang n’a été rendu à l’ancien chef de l’Etat. « Le Général-président Christophe Soglo n’a pas de mausolée. Il n’a jamais reçu de pension de retraite malgré ses multiples réclamations, n’a jamais été assisté médicalement durant toute sa retraite, a été interdit de séjour dans son propre pays durant son exil, lui qui, devenu président de la République, avait volontairement renoncé à sa nationalité française pour ne conserver que celle dahoméenne. Il n’a jamais reçu d’honneur présidentiel » fait observer la famille. « Pourquoi cette marginalisation frustrante ? Y a-t-il des êtres supérieurs face à la mort ? » est-on tenté de se demander. Davantage quand on sait qu’il y a un an, aucun membre du régime de Boni Yayi ne s’est présenté à la commémoration du 30ème anniversaire du décès du président Christophe Soglo , alors que des invitations ont été officiellement envoyées. Autant d’actes qui en rajoutent au bannissement dont est victime feu le président Christophe Soglo.
Formaliser les hommages d’anciens Présidents de la République
En attendant que le tort causé au président Christophe Soglo et à sa famille, soit réparé comme il se doit, et sachant que les frustrations sont souvent sources de tensions voire de crises, il faudrait œuvrer à ce que ce genre de discrimination ne se reproduise plus jamais. A ce propos, notre pays pourrait élaborer un règlement ou une charte qui dispose clairement de tout ce qui entrera en ligne de compte pour les hommages à rendre aux présidents de la République du Bénin ou autres personnalités de leur vivant ou à titre posthume
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