Fier de l’entendre opiner, la voix tremblotante, le discours clair, le verbe relevé, l’esprit haut, le chapeau au milieu de la tête comme une crinière, l’intelligence sans ride, l’audace contagieuse, l’art subtile et pertinent un peu altéré par l’âge et une reconversion religieuse affirmée jusqu’à un ultime baptêmerécemment consacré paraît-il par le chef des catholiques béninois en personne.
Normal. Rien n’est trop beau quand il s’agit de Frère Melchior. Je veux dire que le clergé a été bien inspiréd’honorer un ancien séminariste devenu par la force des idéaux qu’il porte et par la foi qui l’habite, une référence incontournable pour ses compatriotes mais surtoutun modèle de génie et unmilitant visionnairequi aura essayé en vain de faire du minimum social commun*de chaque béninois notre cause commune* .
Certains se seraient rangés pour de bonaprès tant d’ardeur investi à convaincre un peuple qu’on veut voir vivre ensemble* modestement mais dans la dignité. La politique aidant, il aura été combattu, insulté, volé, trahi. Des coups, il en a donné aussi, et pas des petits. Mais… plus important, a-t-il seulement été compris ? Question ouverte.
Manifestement,Tévoédjrè ne rumine pas longtemps les échecs. C’est un croyant et un intellectuel fécond et coriace. Rapporteur mémorable de la conférence des forces vives de la nation, alors même que la peur tenait encore captifs quelques septiques, alors même que le peuple béninois et le monde entier s’attendaient à entendre un rapport classique, long et ennuyeux sur le déroulement d’une conférence nationale épique, Tévoédjrè s’exclama au nom de tous, tel un survivantde Tchernobyl : Nous avons vaincu la fatalité ! Le ton et la fermeté de l’homme levèrent la salle qui, spontanément, entonna l’hymne national comme pour conjurer définitivement le spectre de l’échec qui planait encore sur la conférence. Une exclamation atypique qui révéla un homme atypique.
Ce discours-rapport de Tévoédjrè, déplacé dans le contexte actuel relève du fâ. Il prévient : quand l’intelligence déserte le forum, la médiocrité s’installe et tout fini en dictature. Et la dictature, ce n’est pas seulement des répressions sanglantes, des chars dans les rues, des enfermements arbitraires et des tortures. La dictature c’est aussi les abus : abus de position dominante, abus de pouvoir, les menaces et les chantagesetc…
Rien de mieux que le temps pour nous donner à mesurer la dimension du politicien visionnaire mais aussi du citoyen attaché à des valeurs et à des principes. J’ai le sentiment que les temps qui courent nous font l’obligation absolue d’aller déterrer ce discours pour le diffuser par les moyens et outils de communications modernes afin de le rendre accessible aux plus jeunes en quête de bréviaire.
Changer nos habitudes
De la même manière que nous avons la critique soutenue contre ceux de nos aînés qui nous déçoivent en cédant à l’appel de la clochardisation et de la vanité, de cette même manière nous devrions célébrer ceux d’entre eux qui nous inspirent du respect et de la fierté en résistant à l’usure du temps et à des perversions honteuses. Il ne s’agit pas de décerner à l’unanimité des titres et des mérites à l’un ou à l’autre. On est libre de ne pas être d’accord. Ce que je suggère qu’on change c’est le complot du silence. Il est tacite. Il est pernicieux. Il est culturel. L’on se tait pour ne pas célébrer avec l’autre, ses gains ; personne ne veut féliciter les réussites mais l’on prend du plaisir à montrer les échecs. Le silence grossit plus par cynisme que par sagesse.
Vu que nous avons décidé de rompre avec les habitudes vieilles qui nous ont considérablement ruinés sur tous les plans, il serait salutaire de rompre aussi avec le complot du silence.
Le professeur Albert Tévoédjrè mérite notre reconnaissance et notre hommage ici et maintenant. Ceci d’autant plus que, contrairement à son jeune cousin d’Adjaraconnu pour être un marchand de bétail électoral, versatile et acrobate de talent, ces vingt six dernières années n’ont pas réussi à défaire la réputation de Tévos malgré quelques controverses compréhensibles par ailleurs. Il est facile d’apprécier par ces temps de grandes turbulences et des lendemains incertains, combien son leadership revit, combien il pèse dans le débat public. Même si de son propre aveu, sa vigueur s’étiole, le militant est toujours dans l’arène, plus présent que jamais, debout,aux côtés de son peuple pour lui faire entendre les murmures indiscrets de ses convictions.
L’on peut ne pas être d’accord avec Tévoédjrè mais lui nier ses mérites c’est faire preuve de mauvaise foi manifeste. Le drame de ses détracteurs c’est que le monsieur vole si haut que rien ne l’atteint. Chapeau Professeur !
Ousmane Alédji
Metteur en scène, dramaturge
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