Trois tendances lourdes du processus démocratique Béninois

Les « social scientists », notamment sociologues, psychologues et historiens de l’Université d’Abomey-Calalvi, ne sont guère contents d’avoir été royalement ignorés dans la composition de la Commission Nationale Technique chargée des réformes politiques et institutionnelles. Bien sûr que l’incontournable professeur Félix Iroko était là, seul, mais c’est loin du compte.

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En effet, l’analyse en profondeur du système politique en particulier, du système sociétal en général, est un prérequis de toute entreprise de réforme. Il est vrai qu’à part quelques-uns,  les sociologues, psychologues et autres se retranchent souvent dans leur brousse d’Abomey-Calavi, totalement orientés vers le CAMES. On ne les convie que rarement aux nombreux séminaires et colloques nationaux ; quand ils en organisent intra muros, les thèmes développés sont si doctes que le Béninois moyen n’y saisit que dalle ! L’heure est grave, chers collègues, car quand le clerc déserte le forum, toute sorte de philistins croient leur heure venue de parler au nom de la République réduite bien sûr aux faits et gestes du Prince.  Même si nous avons perdu à jamais l’étiquette du quartier latin de l’Afrique, tentons dans un ultime essor d’ouvrir les yeux et de faire fonctionner notre esprit critique. Foin des flagorneries  de lèche-grolles. Parce qu’il n’y aura jamais rien de nouveau sous le soleil de notre nation, sauf l’euphorie forcément éphémère d’un changement de régime. Parce que les lois de fonctionnement des formations sociétales sont conservatoires : sauf dans de rares cas et on parle alors de révolutions  ou de vraies ruptures, les mêmes eaux jaunâtres coulent toujours entre les mêmes rives plates avec au bout la tristesse de vieillir sans rien voir de nouveau. A ceci près que des malins pècheront en eau trouble et augmenteront leurs avoirs et leurs privilèges. Les sociologues, anthropologues, psychologues et historiens du Bénin se doivent de rappeler à leurs concitoyens de telles constances sur l’homme et la société pour que nous soyons définitivement rangés du côté des peuples sages, raisonnables, guéris de la mentalité primitive de la pensée magique et des incantations soporifiques.

Eh oui ! C’est une tendance lourde  de notre socio-anthropologie politique que de nous accrocher solidement à cette lubie que tout changement de régime est révolutionnaire et porteur de grands espoirs. Et cela vient de loin. Le 28 octobre 1963, le Président Hubert Koutoucou Mage démissionna sous la poussée de la rue, cédant ainsi le pouvoir au Colonel Christophe Soglo devenu ipso facto général. De tels putschs sont plus que courants dans l’histoire socio-politique des peuples du monde entier. Bien sûr, Ils peuvent être soit la conséquence d’un vrai mouvement populaire alors révolutionnaire ou soit simplement un coup d’Etat militaire mettant à profit avec une singulière opportunité rien d’autre qu’une simple grève générale. Mes concitoyens dahoméens ne s’étaient guère posé une telle question ; Ils embouchèrent  presqu’à l’unisson la trompette de la soi-disant révolution du 28 octobre 1963 ! Or le régime PDD –Wologuèdè qui suivit était loin d’être un régime né des espoirs révolutionnaires du peuple  dahoméen lors donc que ce monstre à deux têtes s’enlisa dans les crises institutionnelles nées de conflits d’attribution entre le Président de la République et le Président du Conseil dont le dernier concernait la nomination du magistrat Cyprien Aînadou comme Président de la Cour Suprême à la place de Valentin Djibodé Aplogan, un séide du Président Sourou Migan Apithy. L’impasse constitutionnelle déboucha sur une série de coup d’Etat pendant la période novembre-décembre 1965 qui finirent par laisser le  pouvoir au Général Christophe Soglo.  Il sera à son tour renversé en décembre 1967 et de soi-disant Jeunes Cadres de l’Armée se hissèrent au pouvoir avec la promesse d’un vrai changement dont la pénible recherche les conduisit à remettre en selle le Docteur Emile Derlin Zinsou ; mais la Rénovation Nationale fit long feu. Nous connûmes cahin caha le Directoire, le Conseil Présidentiel  et puis bingo ! Le 26 octobre 1972 le Capitaine Mathieu Kérékou devenu ipso facto commandant proclama une nouvelle ère révolutionnaire avec le Gouvernement  Militaire Révolutionnaire. Le Programme d’Indépendance Nationale puis l’orientation marxiste-léniniste (donc stalinienne) dura 17ans et finira dans une impasse politico-constitutionnelle d’une rare gravité. Il se produisit avec la mort de l’Etat PRPB, une vraie rupture dans le système politique avec la tenue d’une Conférence Nationale des Forces Vives. Avec ces assises dont on ne trouve les précédents qu’avec les Etats Généraux de 1789 en France et la Conférence de Russie dans la Russie du Gouvernement Provisoire de Kerenski, le Bénin entra dans une nouvelle ère sociopolitique : le Renouveau démocratique. La personnalité du premier Président de la république Nicéphore Soglo fit regretter un soi-disant consensus national et en 1996, le Général Mathieu Kérékou revint au pouvoir comme une meilleure incarnation du Consensus national ; la deuxième tendance lourde de notre socio-anthropologie politique ! Patrice Talon tranche avec Boni Yayi par sa défiance d’avec le consensus national et ses paradigmes : équilibre régional, équilibre du genre, paix sociale. Mais il peine à revêtir ces habits neufs qui conférèrent à Nicéphore Soglo ce charisme qu’il n’a jamais perdu malgré le poids des ans. Vivement la gouvernance charismatique, notre troisième tendance lourde !     

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