Bénin : Regards croisés sur les actes de Talon et du Ministre N’Koué

Le vent de rupture orienté par le nouveau régime en place au Bénin depuis le 6 avril 2016 a soufflé aussi sur le secteur du tourisme et de la culture. Ici, le Président Talon et son Ministre en charge de ce secteur ont posé des actes au cours des 100 premiers jours qu’apprécient ici deux acteurs, professionnels et témoins valables de l’évolution des événements dans ce milieu.

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Alougbine Dine et Pascal Wanou. Comédien et metteur en scène, le premier est un ancien Directeur du Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb) et Fondateur de l’Ecole internationale de théâtre du Bénin (Eitb). L’autre, aussi ancien Directeur du Fitheb, dirige aujourd’hui la Fédération nationale de théâtre du Bénin (Fenat). Il est aussi le Vice-président de la Confédération béninoise des acteurs des arts et de la culture (Cbaac) du Bénin. Les avis sont partagés entre ces deux personnalités culturelles. Lisez plutôt.

Pascal Wanou : « C’est un bilan décevant »

Après 100 jours de la Rupture, quelle est votre appréciation du bilan en tant qu’acteur culturel ?

D’emblée je dois dire que c’est un bilan décevant. Décevant parce que marqué d’un certain piétinement, d’un certain immobilisme. En cent jours de gouvernance dans le secteur culturel, nous n’avons rien vu bougé encore. Nous n’avons noté que deux grandes décisions phares. Si l’une de ces décisions peut être saluée à sa juste valeur, la seconde par contre suscite beaucoup d’amertume et beaucoup de découragement dans le milieu.

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De quelles mesures s’agit-il ?

L’une que nous pouvons qualifier de salutaire dans un certain sens, c’est la création d’une agence chargée du développement du tourisme et de la promotion du patrimoine. C’est une mesure salutaire parce que désormais, la nouvelle vision est de créer la passerelle entre le tourisme et la culture. Il n’y a pas de développement touristique sans développement culturel. La culture est la route du développement touristique. Pour promouvoir la destination Bénin, on ne peut le faire que par le biais de notre patrimoine culturel qui est immensément riche et encore vierge aujourd’hui, pas encore exploité. De ce point de vue, c’est une très bonne vision que le Chef de l’Etat a eu en mettant en place cette agence spécialisée. Elle permettra de revaloriser notre patrimoine et celui-ci permettra de vendre la destination Bénin sur le plan touristique.

N’y a-t-il pas un risque de faire face à un monstre à deux têtes lorsque le Chef de l’Etat décide de la placer sous sa tutelle alors qu’il y a un ministère ?

Je ne pense pas. Le Chef de l’Etat a su bien le faire. Cela démontre sa volonté de s’occuper personnellement de ce secteur qui n’a que tant souffert dans notre pays. C’est un secteur presque vierge, inexploité alors que nous avons tant d’atouts. Cela traduit la détermination du Chef de l’Etat à faire du développement de ce secteur, une priorité, un défi personnel qu’il entend relever. Il ne peut pas relever ce défi sans s’appuyer sur son ministre. Le ministre, il est le coordonnateur général de l’action gouvernementale dans le secteur de la culture et du tourisme.

Revenant sur les deux mesures phares dont vous parlez, quelle est la seconde ?

C’est celle qui, de mon point de vue est pour le moins négative et préjudiciable pour le développement du secteur culturel. C’est cette mesure d’abattre de 25%, le budget du Fonds d’aide à la culture. Nous acteurs culturels, ne pouvons pas comprendre ça. Ceci pour la simple raison que le secteur culturel a toujours été jusqu’à présent, le secteur le plus pauvre en matière d’investissement. Or, il devrait être la locomotive de développement du Bénin. Par quel miracle le Président Boni Yayi est passé de 350 millions à 1 milliard, à trois milliards puis à cinq milliards cette année ? C’est le fruit d’une volonté politique affirmée. Autre chose, la culture est un secteur sensible et c’est un secteur de souveraineté nationale parce qu’il s’agit de patrimoine culturel national. Les cinq milliards sur le budget national de l’Etat béninois, ça représente combien ? C’est encore ridicule par rapport aux recommandations de l’Unesco en la matière. L’Unesco a recommandé aux Etats de mettre 1% de leur budget pour le financement de la culture. Nous en sommes encore loin. Je ne peux pas comprendre qu’aussitôt arrivé, ce nouveau régime abatte de 25%, soit du quart, ce budget du Fonds d’aide à la culture. 25% c’est énorme pour un secteur comme celui-là qui souffre déjà de manque de financement.

L’injection à veau-lot de ressources financières dans un secteur garantit-il  l’atteinte des objectifs fixés ?

Je parle de la culture. C’est la locomotive du développement du Bénin. Bien vrai qu’on ne peut pas mettre en place les ressources financières sans s’assurer de leur bonne gestion. Les deux vont de pair. Lorsque vous mettez en place des ressources pour une finalité donnée vous devez en assurer la bonne gestion. Sinon, c’est l’échec.

Que reprochez-vous au ministre Ange N’koué pour cette période de 100 ?

Malheureusement dans le secteur culturel, le gestionnaire que le Chef de l’Etat a nommé a plutôt versé dans les antagonismes pendant ces 100 jours. Il n’a pas su se mettre à la hauteur. Dès son arrivée, beaucoup de gens, tant du monde culturel que de l’administration l’ont pris en sandwich, ils l’ont pris en otage pratiquement pour lui raconter plein de bêtise. Dans un premier temps, il a cru devoir prendre en considération ce qu’on lui racontait. Ce qui a fait qu’il y a eu tous ces bouillonnements qu’on a vécus dans le secteur et qu’on continue de vivre depuis son arrivée à la tête du ministère.

Vous n’êtes pas sans savoir que  ce problème,  à savoir la crise au Fonds d’aide à la culture ne date pas de son arrivée non ?

C’est vrai qu’à son arrivée, il y avait un problème brûlant sur le tapis, celui du renouvellement du Conseil d’administration du Fonds d’aide à la culture. Voulant profiter de ce vent de la rupture, certains acteurs culturels ont cru devoir tout de suite l’emmailloter et ils l’ont conduit dans le décor et il a versé lui-même dans la mise à l’écart de certains acteurs clés du milieu, des organisations faîtières, des fédérations qui animent la vie du secteur pour ne se fier qu’à ces individus qui ne représentent en réalité que leur propre ombre. Parce que ceux-là avaient des griefs contre X ou Y, donc ils avaient trouvé l’opportunité de la rupture pour se régler leur propre compte. Certains cadres de l’administration sont rentrés dans le mouvement croyant sauvegarder leurs fauteuils en jouant ce jeu-là. Malheureusement ça a joué énormément sur la mission que devrait jouer le ministre en tant que gestionnaire en chef de ce secteur. C’est cela qui a créé l’immobilisme, le piétinement dont je parlais.

Que lui conseilleriez-vous maintenant ?

D’abord, il faut qu’il fasse montre d’une gestion participative. Aujourd’hui, le ministère en charge de la culture souffre d’un mal criard. C’est l’absence de ressources humaines spécialisées. Des cadres administratifs, il y en a. Mais le cadre spécialisé en culture pour attirer l’attention du ministre sur les directions dans lesquelles il faut orienter les ressources en fonction de l’existant, il n’y en a plus. C’est un véritable problème parce que c’est comme si le ministère navigue à vue désormais. C’est l’une des raisons pour lesquelles le nouveau ministre est intellectuellement malmené. Il doit obligatoirement composer avec les hommes du milieu  sinon il ne pourra pas réussir sa mission. A ce sujet, la loi portant charte culturelle du Bénin dispose que les acteurs culturels sont des partenaires du ministère de la culture. Pour cela le ministre a besoin d’établir une passerelle d’échanges  avec ces acteurs. C’est ce que j’appelle une gestion participative. Au lieu de les écarter pour une raison ou une autre, il lui serait plus utile de les associer chacun selon sa compétence à la gestion des problèmes spécifiques de la maison. Il ne s’agit pas de nomination à des postes donnés, mais de mise en place d’un organe de travail commun. Sinon, nous serons tout le temps exposés à des crises, des antagonismes entre l’administration et les acteurs. Il faut nécessairement établir ce dialogue permanent.

Est-ce à dire que vous êtes toujours à l’écart des négociations pour la résolution de la crise au Fonds d’aide à la culture ?

Non ! Heureusement, le ministre a commencé par comprendre ce qui se passait. Dès lors qu’il a compris, il a renoué avec le dialogue et là nous sommes en train de travailler.

Peut-on eu égard de ce dialogue, dire que la résolution de la crise est proche ?

Bien sûr que oui ! Cette crise ne peut d’ailleurs pas continuer à perdurer. Ce n’est pas possible. Le ministère n’est pas le ministère du Fonds d’aide. C’est le ministère en charge de la culture et le ministre doit s’occuper d’autre chose que le Fonds d’aide. Ce n’est que l’arbre qui cache la forêt.

En dehors de l’autorité, que recommandez-vous à vos pairs acteurs culturels ?

Que chacun sache d’abord raison gardée. Que chacun comprenne que ce n’est pas en s’attaquant à l’autre ou en voulant le détruire qu’il va réussir. De façon individuelle, chacun de nous doit travailler selon ses aptitudes. Nous sommes complémentaires. Chacun a reçu un talent spécifique qu’il doit travailler à exploiter au service du développement culturel. Chacun doit faire l’effort à son niveau de taire les querelles inutiles, discipliner son égo. J’en appelle au sens de responsabilité et d’humilité de chacun. Ensuite, chacun doit comprendre que dans un milieu d’homme, il faut un minimum de règlementation. Il nous faut se soumettre à la démocratie qui est la dictature de la majorité. Donc j’en appelle à l’autodiscipline au sein de nous acteurs culturels. S’il y a des points de divergence comme il y en aura toujours, qu’on puisse poser le problème devant tout le monde. C’est ainsi que le secteur va s’apaiser et on aura le développement escompté. Aucune exclusion ne peut arranger la cohésion dans notre secteur

Propos recueillis par Olivier Ribouis

Alougbine Dine : « Le départ est éloquent ; je me suis dit tout est compris »

A la tête du Bénin depuis le 6 avril 2016, un nouveau régime qui annonce faire de la culture une priorité. 100 jours sont passés. Quelle appréciation faites-vous des premières actions dans le secteur culturel ?

Le nouveau régime a raison de vouloir faire de la culture le socle du développement. Le contraire m’aurait étonné. La culture et l’éducation sont des préalables incontournables pour un développement durable dans toute nation digne du nom. C’est trop tôt de vouloir faire le bilan d’un ouvrage aussi colossal en 100 jours. Seulement, ce que je puis dire, c’est que les ambitions se dessinent, et je crois que c’est l’un des chemins, les meilleurs pour arriver à ce que nous visons. Lorsqu’on me parle de mise en place d’une agence pour la promotion du tourisme et de la culture, je trouve que c’est ce qu’il faut. En plus, les outils dont il –le président Talon- se sert sont de bons. C’est dire qu’il a confié cette tâche à quelqu’un, José Pliya, qui est à mon avis compétent pour nous faire quelque chose de bien, de beau, pourvu qu’on lui laisse les mains libres.

Mais placée celle-ci sous la tutelle du Président de la République alors qu’il y a un ministère du tourisme et de la culture, vous ne craignez pas une dualité de pouvoir ?

Non. Ça c’est des susceptibilités d’homme. Il faut le bannir. Pour développer il n’y a pas de susceptibilité qui tient. La question du tourisme et de la culture est une question fondamentale, c’est le socle du développement. Si on met des hommes qu’il faut, il n’y aura pas de rivalité, ils seront obligés de se compléter pour mener à bien le travail. Je suis content et fier que le Président prenne cette agence en main, qu’il dise « je vais m’occuper de ça particulièrement avec quelqu’un qui s’y connaît, on va aller ensemble». Je trouve que c’est bien fait comme ça.

En quoi la création de cette agence constitue pour vous un meilleur chemin pour atteindre les objectifs ?

La création de cette agence va résoudre les problèmes réels qui sont les freins au développement du secteur de la culture et du tourisme parce qu’il y a trop de désordre ; rien n’est à sa place ; on a une Direction de promotion de la culture qui ne sert à rien ; c’est inutile. Il y a un fonds d’aide où c’est vraiment du désordre. Le ministère est mal structuré ; le ministère manque d’outils de travail, singulièrement de ressource humaine vraiment compétente. On ne va pas dire que c’est vide mais c’est très insuffisant. Aussi, la léthargie, la méchanceté, c’est ce qu’il faut corriger. J’en ai vécu. J’ai eu la chance d’être Directeur du Fitheb et  de faire partie des gens qui décident dans ce ministère à un moment de ma vie. Avec quelques 4 ou 5 ans là, j’ai été convaincu d’avoir fait un bon choix de ne jamais travailler pour l’Etat ne serait-ce que dans cette administration telle qu’elle est aujourd’hui, c’est vraiment de la ‘’merde’’. Et un cadre ne peut pas s’épanouir dans cette circonstance où on abandonne certains cadres, parfois les plus compétents, parce qu’ils ne sont pas du régime, parce … plein de raisons. Les ministres aussi, au lieu de s’occuper du travail, s’occupent de la politique, de l’électorat. Maintenant, il faut que les ministres travaillent dans ce pays ; qu’ils n’aillent pas s’occuper de l’électorat du Président dans leur fief mais qu’ils s’occupent du ministère dont ils ont la charge.

A propos de celui à la tête du Département du tourisme et de la culture, est-ce que vous sentez en lui les qualités du genre de ministre que vous souhaitez ?

Je ne l’ai pas approché. Je ne sais pas qui il est mais de loin j’ai appris une de ses décisions que j’ai trouvée salutaire. C’est tout ce que je puis dire de lui.

Quelle est cette décision ?

C’est lorsqu’il a empêché la réélection des administrateurs du Fonds d’aide à la culture qui crée véritablement de problème parce qu’il y a beaucoup de mécontentement. Il y a vraiment un antagonisme très sérieux qui pouvait engendrer des choses graves. Ça a été comme dans la jungle où les plus forts dominent les plus faibles. Je trouve que c’est vraiment une très bonne décision d’arrêter pour qu’on revoie comment faire désormais. Pour moi, c’est vraiment un bon départ.

Mais on n’a pas encore vu le bout du tunnel.

Pourquoi vous voulez voir le bout du tunnel en trois mois ? Mais c’est d’une restructuration il s’agit. Il faut considérer l’existant et l’objectif, essayer de concilier les deux pour que la décision soit bien pensée. Il faut qu’il prenne le temps de mûrir les choses, de consulter, de rassembler les idées, de pouvoir soumettre à la hiérarchie supérieure pour des décisions vraiment définitives parce qu’il ne s’agira plus de tâtonner. Il faut aller droit au but. Et pour ça, il ne faut pas aller n’importe comment.

Puisque vous parlez de décision, une autre prise par le nouveau régime, c’est la réduction de 25% du budget du Fonds d’aide à la culture. Quelle est votre appréciation ?

C’est très bien, mais il ne faut pas s’arrêter là parce que c’est vraiment à ce niveau qu’il y a le désordre. Ceux qui travaillent sont lésés et ceux qui ne travaillent pas s’engraissent. J’ai éclaté de rire un jour lorsque quelqu’un m’a dit, « nous, on travaille » et le travail  c’est de former des fédérations, c’est de former des confédérations. Nous sommes dans le secteur des arts.  Avant même la structuration il faut travailler. C’est autour de l’existant qu’il faut structurer. Rien n’existe et vous structurez quoi ? C’est ça le vrai problème. Et le monde des arts, le monde de la culture, est envahi par des retraités, des gens qui abandonnent leur secteur parce qu’ici il y a de l’argent gratuit. Je dis argent gratuit parce que je ne comprends pas comment dans un même secteur où des gens travaillent, il puisse avoir une si grande différence où certains n’ont peut-être que 3 millions l’an et d’autres ont plus de dix fois 3 millions. Qui sont-t-ils, et qu’est-ce qu’ils font et qui n’a pas de visibilité ? Maintenant il faut remettre les choses à leur place.

On constate qu’en 100 jours le ministre n’était véritablement que sur le dossier du Fonds d’aide à la culture comme si le Ministère de la culture ne se résume qu’à cela ?

C’est le nerf de la guerre. Rien que ça peut être source d’une véritable guerre entre artistes où ils peuvent s’entretuer parce qu’il y a une vraie injustice, une injustice révoltante. A ce propos, il a raison de marquer un arrêt là-dessus, de pouvoir se consacrer là-dessus pour régler progressivement ces problèmes-là. Avec l’état de pourriture qu’on a là, ce n’est pas en 100 jours que cela peut se régler.

Si vous deviez faire des propositions ou des recommandations à l’endroit du régime pour un véritable développement du secteur de la culture et du tourisme, que diriez-vous ?

Je n’ai pas mieux à faire que ce qui se fait. J’ai passé mes beaux jours au Gabon où je connais déjà le fonctionnement d’une agence pour la promotion artistique et culturelle puisque j’ai travaillé beaucoup pour cette agence. Lorsque j’ai entendu une telle agence au Bénin, ça m’a réjoui surtout lorsqu’on la relie à la culture, ça fait un couple formidable. Je me suis dit tout est compris, il suffit que le début soit bien pensé, et c’est fini. Faire des recommandations, ce serait défoncer une porte ouverte. Le départ est assez éloquent. Seulement, je réaffirme que la culture et l’éducation sont des socles incontournables pour le développement. Il en déduit indubitablement que dans les réformes sur l’éducation, il faut absolument faire une part belle à l’éducation artistique dans les écoles.

Propos recueillis par Blaise Ahouansè

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