La diplomatie parlementaire : contribution à la compréhension d’un concept controverse

Au moment où l’Assemblée nationale de la République du Bénin organise des journées sur la diplomatie parlementaire, il m’a paru nécessaire d’apporter ma modeste contribution à la connaissance de ce concept controversé mais abondamment utilisé dans les relations internationales.

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Le concept, serait apparu, selon Anne Buchon, au moment de la guerre froide. Pendant cette période, les relations directes entre certains Etats étaient complexes et de ce fait, laissaient la place à l’instauration de relations plus informelles, par l’intermédiaire en particulier des parlementaires . Son émergence semble être liée au phénomène de la mondialisation et à la complexité sans cesse croissante des relations internationales. Bill Graham disait que « la mondialisation fait en sorte que, tôt ou tard, chaque pays est touché par les problèmes des autres, et les parlementaires ont le devoir d’intervenir sur les phénomènes et les politiques qui ont un impact sur le devenir et le mieux-être de l’ensemble de la société. La diplomatie parlementaire se situe désormais au cœur des enjeux de notre temps » . Quant à Roger Paquin, il pense qu’elle est l’un des moyens qui s’offre aux élus des parlements régionaux et nationaux pour renouveler leurs rôles afin que ceux-ci répondent de façon adéquate aux besoins et aux préoccupations de leurs commettants . Il ajoute que d’intra-frontalier qu’elle était encore il y a quelques années, la mission du parlementaire est en voie de devenir transfrontalière . Par ailleurs, le lien étroit entre « politique de dehors » et « politique de dedans » a fini par développer une sensibilité des parlementaires aux  grandes problématiques qui modifient l’horizon décisionnel et affectent les souverainetés  .

Au Bénin, sous le renouveau démocratique, la notion est à la mode. Le parlement est actif sur la scène internationale. Il est présent dans les organisations interparlementaires et les parlements régionaux. Il organise des conférences au sommet et a présidé à maintes reprises aux destinées de certains.  Il mène également une action bilatérale. L’article 17 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale stipule que le Président représente le parlement dans la vie nationale et internationale. A ce titre, il effectue des déplacements à l’étranger et rend visite aux personnalités et missions diplomatiques. Il saisit l’occasion de ses séjours officiels à l’étranger, pour soutenir, si possible, l’action extérieure du Bénin à travers son implication personnelle dans certains grands dossiers en négociation par le gouvernement. Les actions du Président sont renforcées par celles des groupes d’amitié et les réseaux interparlementaires. Les groupes d’amitiés  relèvent à la fois de la tradition et de la pratique parlementaires classiques .

Il convient de faire remarquer que cette présence constante du parlement dans les instances décisionnelles des organisations interparlementaires, des parlements régionaux et l’ensemble des activités qu’il y mène, pour diverses motivations, sont appelés diplomatie parlementaire. Mais, il faut reconnaître que le concept est contesté, car impropre pour certains auteurs et un non-sens pour d’autres.

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Hubert Védrine, ancien Ministre des Affaires Etrangères de la France, prenant ses distances avec le concept, disait lors d’une intervention dans le cadre du colloque organisé conjointement par le Parlement et le Sénat français sur la diplomatie parlementaire, qu’elle sonne comme le « rôle législatif des gouvernements » ou le « rôle exécutif des parlements »  . Il met ainsi en exergue le sens impropre du concept, car la diplomatie est incarnée essentiellement par les Gouvernements et « les parlementaires n’ont pas à se fondre dans le moule diplomatique et devenir des envoyés diplomatiques parmi d’autres » .

Alphonse Rivier disait qu’ « on appelle diplomatie la science et l’art de la représentation des Etats, et des négociations » . Dès lors, parler de l’action internationale des parlements ou de coopération parlementaire siérait mieux à ce type d’activités auxquelles s’adonnent les parlementaires. Guy Carcassonne disait d’ailleurs, qu’elle répond à des attentes incertaines, poursuit des finalités hétérogènes et met en œuvre des compétences aléatoires . Les attentes incertaines se traduisent pas le désintérêt notoire et notable des populations considérées comme bénéficiaires vis-à-vis de cette diplomatie, car leurs besoins n’ont pas été préalablement identifiés. L’hétérogénéité des finalités d’une telle diplomatie s’exprime à travers la pluralité des objectifs « non nécessairement compatibles » ; c’est notamment le lien à trouver entre le rôle d’ « ambassadeurs collectifs » qu’ils entendent jouer pour leurs Etats et les intérêts de leurs circonscriptions électorales pour ne pas donner l’impression de s’occuper « d’affaires si lointaines » des préoccupations de leurs « mandants ». Il faut compléter ce tableau par l’absence de professionnalisme, car il s’agit d’un métier et de continuité dans l’action. Guy Carcassonne parlait de compétence aléatoire pour désigner cette incompétence avérée.

Pour l’ensemble de ces auteurs, la diplomatie est une activité régalienne et demeure dans le secteur du pouvoir exécutif. Guillaume Devin fait d’ailleurs remarquer, non sans ironie, qu’ « il est devenu courant de qualifier de diplomatie toutes sortes de transactions entre les acteurs les plus divers sur la scène internationale » .

En sus de tout ce qui précède, Assane Coly souligne, qu’il est difficile de trouver une définition qui saurait prendre en compte tous les contours de la diplomatie dite parlementaire et qui peut faire l’objet d’unanimité entre les observateurs et les acteurs de ce phénomène nouveau et ce malgré les avancées constatées ces dernières années dans ce domaine .  On lui reconnaît deux sens différents.

D’abord, elle est perçue comme l’activité diplomatique des parlements. A ce titre, on constate que les missions réglementaires des Assemblées parlementaires ont un lien direct avec la diplomatie traditionnelle. Mais en sus desdites missions, les parlements participent ou prolongent l’action extérieure de leur pays soit sur sollicitation des acteurs traditionnels, en l’occurrence le Gouvernement, soit qu’il s’agisse de démarches propres relevant de l’action extérieure du parlement. C’est le cas lors des séjours d’information et de formation auprès des parlements d’autres pays, de missions spéciales pour négocier avec d’autres parlementaires sur des sujets précis qui touchent la vie des populations de leur pays respectif. Aussi se forment-ils au parlement de nombreux groupes d’amitié bilatéraux et régionaux, qui peuvent prendre des initiatives en matière de relations internationales. La visite d’élus français du groupe d’amitié France-Syrie au Président Bachar Al-Assad, le 25 février 2015 est un exemple éloquent. Cette visite, du reste, s’inscrit dans une démarche contradictoire avec la position officielle de l’Etat français.

Ensuite, la diplomatie parlementaire est aussi vue comme une activité de négociation dans un cadre multilatéral. C’est ainsi que, selon l’Union Internationale des Parlements (UIP), le terme « diplomatie parlementaire » décrit les échanges et contacts entre parlementaires dans le cadre d’institutions ad’hoc, comme l’UIP, elle-même, ou les Assemblées parlementaires liées aux institutions internationales.

Le caractère polysémique de la notion a ouvert la voie à plusieurs types de critique. Christian Poncelet, ancien Président du Sénat français en a identifié trois. La première consiste à dire que « l’action internationale des assemblées permet de compenser leur absence de pouvoirs réels dans les domaines de la législation et du contrôle. La deuxième critique consiste à positionner la diplomatie parlementaire comme concurrente à la diplomatie professionnelle et prétentieuse car ne disposant ni des moyens ni des compétences de celle-ci ; elle se résumerait à une distraction des ressources de l’Etat, à une activité non productive. Enfin, elle serait sans consistance et sans fondement et de ce fait artificielle » .

En résumé, malgré l’émergence du concept et la réelle implication des parlements dans les affaires internationales, la diplomatie parlementaire continue de susciter des interrogations quant à son sens, sa portée et son positionnement par rapport à la diplomatie classique et traditionnelle. Malgré, ces interrogations qui s’apparentent à des controverses, il importe de dire que le rôle des parlements dans les relations internationales est de plus en plus accru et peut s’avérer indispensable , tant pour le fonctionnement de l’organe législatif lui-même, que pour sa participation à la conduite de la politique étrangère de l’Etat. Pour autant, les activités des parlements sur la scène internationale ne sauraient être qualifiées de diplomatie parlementaire mais d’actions internationales des parlements pour me référer à Rivier.

Eric Padonou, Docteur en Science Politique et Relations Internationales

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