Résurgence du débat sur le régionalisme : Quand le voleur crie au voleur

Consubstantiel au discours politique béninois, le débat sur le régionalisme a toujours été une préoccupation récurrente ici. Tel  un serpent de mer, il refait surface de façon cyclique surtout chaque fois qu’un nouveau président arrive au pouvoir. Et ses vrais chantres comptent hélas parmi les hommes politiques les plus prisés du pays. Ceux justement qui sont à la quête d’estime auprès des leurs ou de promotion politique.

Publicité

Dans une récente lettre adressée aux secrétaires généraux des centrales syndicales et présidents d’Ong de lutte contre le régionalisme et la corruption, Théophile Yarou, ancien ministre de la défense du président Boni Yayi présente la situation au sein de l’administration publique béninoise avec la résurgence, selon ses propres constats, du régionalisme. Il fait ainsi exception au mutisme politique et à la misère intellectuelle entretenus depuis l’avènement de Patrice Talon au pouvoir. A première vue, la démarche du ministre Yarou est fort louable. Elle apparaît comme un acte de bravoure d’un défenseur des droits de l’homme et de la justice sociale. Qui donc ne soutiendrait pas une telle cause dans un pays où une minorité, souvent politique, s’accapare de la richesse nationale au détriment de la grande masse des citoyens ? Mais en vérité, et à voir de près, Théophile Yarou se fait le chantre du régionalisme rampant qui sévit ici, affirmant sans scrupule qu’il s’agit d’une « épuration ethnique et régionaliste ». Ainsi, le ministre affirme : « Et comme la solidarité est un vain mot dans la construction de la nation Bénin, toute initiative tendant à tirer vers le haut ceux qui sont en retard est traitée de régionalisme surtout lorsqu’elle provient des autorités originaires de ces régions ». Le ministre s’insurge contre l’abolition des quotas, une sorte de   discrimination positive conçue et promue dans le seul but de favoriser la partie septentrionale du pays considérée comme en retard sur  celle méridionale. Au nom de cette thèse, il faut réserver un certain nombre de places pour les ressortissants des communes du nord lors des examens et concours de recrutement dans la fonction publique et privilégier la même zone pour la construction des infrastructures sociocommunautaires. Il est bien curieux de voir le ministre Yarou prendre comme un droit ce qui n’est qu’une faveur car en vérité, les quotas ne sont que l’expression de l’assassinat de l’excellence dans la mesure où un candidat moins bon peut être choisi au détriment d’un autre très bon en fonction de leurs régions d’origine. Puis le ministre enchaîne :« Dites au peuple que sur 21 ministres, seulement 4 sont du nord même si vous pouvez le justifier par le retard hérité de la colonisation et par leurs Qi inférieurs à ceux de leurs frères du sud ». Autant on s’étonne de ce critère du nombre de ministres du  nord pour mesurer le régionalisme, autant on peut s’étonner de l’usage grossier des substantifs « nord » et « sud » dans les écrits de quelqu’un comme lui qui a assumé les hautes fonctions de l’Etat. Où est passé la grandeur républicaine ? Bien qu’ayant occupé de hautes fonctions dans l’administration d’Etat, le ministre a toujours gardé une lecture très primaire de la notion de la république. L’analyse du ministre aurait été plus pertinente si dans sa démarche il était allé plus loin en comparant ce ratio à celui des autres départements. Il aurait constaté que les départements de l’Ouémé-Plateau n’ont que 3 ministres et ceci lui aurait permis de relativiser sa position. Autre curiosité de l’argumentaire du ministre, au même moment qu’il donne le nombre exact de ministres du « nord », il n’arrive pas malheureusement à étayer ses déclarations sur l’éviction des cadres du nord de l’administration par des statistiques. Combien sont-ils à être ainsi dégagés ou remerciés par le gouvernement de Talon ? Le ministre Yarou n’en dit rien. Revenant sur la personne du ministre, il ne serait pas superfétatoire de rappeler que son discours présente de grandes similitudes avec celui tenu par Boni Yayi lors de la tournée effectuée dans le nord quelques jours après la formation du premier gouvernement de Talon. Inutile et superfétatoire aussi de rappeler que Yayi est le président qui a le plus secoué l’unité nationale en déclarant publiquement un 1er août qu’il va envoyer « les siens » venir affronter ceux du sud. Pendant dix ans, il a œuvré pour cela et Théophile Yarou, son ministre de la défense, n’a pas, en son temps, dénoncer le fait. S’il le fait aujourd’hui, alors que ce régime ne fait que 5 mois, c’est sûrement pour se faire remarquer ou pour se faire aduler par la grande masse en agissant sur sa psychologie. On peut donc dire que c’est le voleur qui crie au voleur.

Quand les bourreaux se muent en victimes

Pour mieux comprendre l’attitude et les motivations réelles du ministre Yarou, il est important de faire recours à l’histoire. De 1996  à 2016, soit en vingt ans d’histoire politique, on n’a pas entendu un seul homme politique ou cadre du septentrion dénoncer le régionalisme. Cette période correspond aux deux décennies de pouvoir des présidents Kérékou et Yayi, tous du septentrion. Pendant cette période, doit-on comprendre qu’aucun acte politique de ces deux présidents n’a effleuré le régionalisme ? Non. C’est que le plus gros lot des victimes se trouvent être les gens et les cadres du sud, souvent plus modérés et plus raffinés quand ils veulent parler de régionalisme. C’est cette modération, cette capacité à transcender les clivages régionalistes qui a fait éviter au pays, pendant ces 20 ans, des insurrections qui pourraient générer des troubles. Mais à peine cinq mois qu’un président non originaire du septentrion ait pris le pouvoir que l’impatience monte dans le rang des hommes politiques du nord, Yayi en tête. Pendant le quinquennat 1991-1996 où le président Soglo était au pouvoir, on avait vu monter la même contestation régionaliste, allant jusqu’à inciter à la partition du pays. C’est pendant ce quinquennat qu’un sous préfet, originaire du sud mais exerçant au nord a disparu à jamais et des officiers déserteurs de l’armée ont lancé des tirs de roquette sur le Centre international de  Conférences qui devrait abriter le sommet de la francophonie. On se rappelle aussi des violences perpétrées contre les ressortissants du sud en  1991, lorsque le président Soglo a gagné la présidentielle. Au regard de cette grille chronologique, on se demande si ce ne sont pas les chantres même du régionalisme qui crient tout le temps en être victimes

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité



Publicité