Le turbulent activiste panafricaniste et chroniqueur géopolitique Kemi Seba, très engagé dans la lutte contre l’esclavage des haratines (les maures noirs en Mauritanie), lance, accompagné de l’ONG Urgences Panafricanistes et l’IRA, un appel au boycott du poisson mauritanien. Nous avons voulu en savoir plus sur cette action.
La Nouvelle Tribune: Kemi Seba bonjour. Nous apprenons que vous avez lancé, à travers l’ONG Urgences panafricanistes, un appel au boycott du poisson mauritanien. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette démarche?
Kemi Seba: Bonjour à vous. Pour faire simple, notre démarche s’inscrit dans une double perspective au sujet de l’esclavage des haratines . Nous voulons continuer à sensibiliser l’opinion internationale sur ces questions. Et d’autre part, nous voulons frapper les autorités mauritaniennes là où ça leur fait mal suite à l’incarcération injuste et inique de nos frères de l’Ira, militants anti-esclavagistes qui ont été emprisonnés il y a quelques semaines maintenant. Incarcérés pour rien. On veut pousser le gouvernement à revenir sur sa décision de museler des hommes et des femmes qui se battent pour une société plus juste. Et la meilleure façon de bousculer le gouvernement, c’est de s’attaquer à son porte-monnaie en organisant le boycott des produits qui leur rapportent le plus, comme cela à été fait à l’époque contre les produits exportés par l’Afrique du Sud pro-apartheid ou plus récemment encore avec les produits israéliens. Nous avons grâce aux efforts de recherches combinés d’Urgences Panafricanistes et de l’IRA, trouvé quels étaient les produits exportés qui rapportaient le plus à l’ETAT Mauritanien.
Et dans cette liste, le produit qui nous a le plus intéressé, car le plus accessible, c’est le poisson.
La Mauritanie est une des régions les plus poissonneuses du monde grâce à un écosystème littoral exceptionnel : l’existence de hauts-fonds engendre la prolifération d’herbiers qui alliée à la confluence de courants par remontées d’eau des profondeurs (« upwellings ») favorise la reproduction des espèces marines.
De ses espèces marines, le poisson, commercialisé dans le cadre de la SMCP (Société Mauritanienne de Commercialisation du Poisson) est probablement l’un des produits qui rapporte le plus à l’Etat Mauritanien. Leur poisson est vendu en Asie, en Europe, puis en Afrique. Si les diasporas africaines là où elles sont, suivent le boycott, et si sur le continent chacun s’applique à demander mécaniquement la provenance du poisson qu’ils achètent, on peut faire rapidement bouger les lignes
La Nouvelle Tribune: N’avez vous pas peur que le gouvernement mauritanien décide à la suite de cet appel au boycott contre l’un de leurs produits phares de vous attaquer?
Kemi Seba: Non. Nous n’avons peur d’aucune attaque du gouvernement mauritanien. Cela ne veut pas dire qu’ils ne feront rien. Biram et les membres de l’Ira nous ont formellement dit que le gouvernement d’Aziz nous avait dans le collimateur. Ils tenteront quelque chose c’est sûr et certain. Cela fait partie des risques. Mais nous n’avons pas peur. Notre seule peur, c’est d’être des lâches, de ne pas être à la hauteur des enjeux, de ne pas être à la hauteur de l’Histoire africaine qui s’écrit actuellement. Notre peur, c’est de préférer choisir des causes beaucoup plus faciles qui ne dérangent personne, qui confortent notre égo, mais qui in fine, ne changeront rien à la situation des nôtres. Ma peur à titre personnelle, c’est que mes enfants me posent un jour la question, « papa, qu’as-tu fait pour lutter contre l’esclavage des Noirs en Mauritanie« , et que je sois incapable de leur répondre. C’est cette peur de toutes ces choses que je viens de vous évoquer qui nous pousse à dépasser les limites autorisées, et à essayer à notre niveau, non pas de simplement lire l’Histoire passée, mais écrire celle du présent, que nos enfants par la suite liront.
La Nouvelle Tribune: Comptez vous, comme vous l’avez fait pour le Franc CFA (lire ici), demander à d’autres personnalités africaines de vous soutenir dans cette démarche?
Kemi Seba: Oui, c’est prévu. La grande force des esclavagistes en Mauritanie est que ce crime contre l’Humanité est tabou. La méconnaissance de ce drame par le grand public africain permet à ces tortionnaires d’un autre âge de continuer leurs exactions. Si d’autres personnalités africaines « grand public » se saisissent de cette affaire, cela amplifiera la caisse de résonance. Ce n’est pas à négliger.
La Nouvelle Tribune: Comment expliquez vous que la plupart des autres Etats Africains ne se prononcent pas sur l’esclavage en Mauritanie?
Kemi Seba: Les gouvernements des autres pays africains ne peuvent agir que s’ils se sentent concernés. Il faudra tôt ou tard briser un tabou. Celui-ci consiste à dire que si l’esclavage des haratines est certes l’une des formes de servitude les plus barbares qui existent aujourd’hui en Afrique, le système de caste, et d’esclavage moderne des plus pauvres dans des pays déjà très pauvres est quelque chose qui existe partout sur notre continent, à différents degrés. Et je pense que cela, inconsciemment, rend encore plus lâches les gouvernements africains vis-à-vis de la situation des esclaves maures noirs en Mauritanie.
Quand Urgences Panafricanistes insiste chaque jour pour dire que le panafricanisme doit prendre à bras le corps la problématique des inégalités sociales effroyables sur nos terres, les gens font mine de ne pas entendre car on aime pas se remettre en question. On aime juste parler des impérialistes exogènes. Mais il faudra tôt ou tard que chaque africain, regarde potentiellement, l’impérialiste qui se cache en nous quand on se regarde dans le miroir. Il faudra le faire tôt ou tard
La Nouvelle tribune: Merci à vous Kemi Seba
Kemi Seba: C’est moi qui vous remercie. J’espère que l’Afrique, gangrenée par le tribalisme, s’intéressera dans son ensemble à un problème qui concerne l’africain dans sa globalité.
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