Affaire Ajavon : « Tout se passe comme si nous étions un désert de compétences » Robert Dossou

Le Bénin à nouveau agité par une affaire de portée internationale. Depuis vendredi 28 octobre, le richissime homme d’affaire et président du patronat béninois Sébastien Ajavon arrivé troisième à la dernière présidentielle et soutien de Patrice Talon, l’actuel chef d’Etat est accablé par une affaire de drogue retrouvée dans l’un des conteneurs de sa société Comon SA.

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Approché sur ce dossier brûlant de l’actualité, l’ancien Président de la Cour constitutionnelle, éminent spécialiste du droit et du droit maritime fort de près d’un demi-siècle d’expérience en la matière, Me Robert Dossou, livre en exclusivité à La Nouvelle Tribune sa lecture et son analyse de l’affaire. Il relève de graves irrégularités et se désole de l’absence de professionnalisme pouvant permettre d’élucider ce qu’on appelle désormais « Affaire Sébastien Ajavon » au Bénin.

Président Robert Dossou, vous êtes une importante personnalité du Bénin et le pays connaît actuellement une agitation avec l’abracadabrantesque affaire Sébastien Ajavon, le patron des patrons béninois gardé à vue à cause de « 18 kilos de cocaïne pure » retrouvés dans un des conteneurs de sa société, Comon SA ? Quelle est votre lecture et votre analyse de cette affaire ?

Je vais vous dire tout de suite, sans hésiter, que cette affaire Sébastien Ajavon, vraiment, nous révèle un peu comme si notre pays était un désert de compétence. Parce que l’affaire est menée, de mon point de vue, hors de tout professionnalisme. Je soulignerai trois points clés. Le premier point clé, c’est qu’il faut partir du droit maritime et de tout le processus du transport maritime. C’est le point capital et jusque-ici, je n’entends personne aborder cette question. Deuxième point, c’est l’instrumentalisation de nos institutions. Troisième point, je me demande pourquoi cette récurrence dans nos errements. On peut se tromper une fois dans une nation, mais il y a une récurrence qui m’effraie, m’intrigue et parfois même, me révolte.

Alors du premier point, le droit maritime, que voulez-vous nous expliquer ?

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S’agissant du point conditionnel, la condition première à ce dossier, c’est le droit maritime… Il est très important que nous soulignions qu’il y a une condition technique qui relève du droit maritime. Tout se fait comme si le droit maritime n’existait pas dans cette affaire-là ou comme si Ajavon Sébastien a fait un voyage en portant ses conteneurs dans ses bras, sur son dos ou sur sa tête et on l’a attrapé la main dans le sac. Il faut qu’on sache en matière de droit maritime, c’est-à-dire le droit qui s’applique au commerce qui se fait par voie maritime. En d’autres termes, quand vous commandez des marchandises, il y a au point de départ, celui qu’on appelle le chargeur. C’est le chargeur qui est le vendeur. Il va quantifier les marchandises et prend un mandataire qui se charge de leur embarquement. Avant l’embarquement, on met les marchandises dans un conteneur et on prend toutes les précautions. Parfois, il y a un service de surveillance qui vérifie que c’est bien les marchandises commandées qui sont en train d’être embarquées. Une fois que les marchandises sont à bord, c’est-à-dire dans le navire, elles sont aux mains du transporteur qui se charge de les transporter du point de chargement jusqu’au point d’arrivée pour le débarquement. La marchandise peut faire une ligne directe, du point d’embarquement au point de déchargement. Mais la marchandise peut subir un transbordement. Il semble que ce fut le cas dans le cas d’espèce. Un navire transporte du point d’embarquement jusqu’au point de transbordement qui n’est pas le point de destination. C’est un point où le navire qui a pris les marchandises au point de départ, va les remettre entre les mains d’un autre navire. Donc il y aura une manutention qui va s’appliquer à ces marchandises pour les déplacer de l’intérieur d’un navire sur un autre navire qui va les transporter jusqu’à la destination.

Lorsqu’on arrive à destination, comment l’opération s’effectue ?

Arrivé à destination, un navire qui rentre dans un port, n’a pas le temps d’attendre. C’est pour ça que chaque navire à des agents qui peuvent être des agents directs ou des mandataires à savoir, un transitaire ou un consignataire. Le capitaine du navire remet les marchandises entre les mains de son agent ou de son mandataire. Jusque-là, les marchandises sont encore entre les mains du transporteur qui en est gardien et le destinataire aura à payer les frais de débarquement de douane et de gardiennage. Mais il y a un délai pour que le réceptionnaire vienne prendre les marchandises. Sinon, il y a des surestaries, c’est-à-dire prolongement des frais et charge dus au gardiennage, entre autres. Le destinataire encore appelé réceptionnaire ne vient pas au port. Il prend généralement, un autre mandataire qui doit être muni du connaissement original portant la liste des marchandises, leur spécification, leur quantité, le nom du navire… Ce connaissement en droit est le titre qui représente la marchandise. Et c’est seulement au vu de ce connaissement que le représentant du transporteur va remettre la marchandise entre les mains du destinataire ou réceptionnaire. La question qui se pose est de savoir si le conteneur objet de la présente affaire a déjà été remis entre les mains du destinataire ou de son mandataire. Sous réserves, selon mes informations il semble que non. Mais pour que le mandataire du réceptionnaire prenne possession de la marchandise, il doit payer les frais de douane et autres. A la réception, il va vérifier si les conteneurs sont intacts. S’il constate que les plombs d’origine ont été falsifiés, il a droit à réclamation.

Que fait-on lorsqu’on découvre un produit prohibé comme c’est le cas d’espèce ?

Dans le cas d’espèce, lorsqu’on découvre une marchandise prohibée dans un conteneur qui plus est, a eu ses scellés cassés et remplacés par d’autres qui ne sont pas des scellés d’origine, on fait d’abord l’enquête. Les scellés ont été cassés par qui ? Quand ? Dans quelle circonstance ?. On interroge les deux transporteurs. On vérifie au départ si c’est parti intact. Si c’est le cas, on suit la chaîne de transport. Mais le réceptionnaire ne peut pas être au départ de cette enquête. C’est clair et c’est net, c’est une incompréhension radicale, totale et une aberration de mon point de vue. Voilà, le droit maritime est formel et le destinataire n’a pas encore la possession physique des conteneurs. Mais attention, il a une possession juridique. Ce n’est pas celle-ci qui intéresse le droit pénal. Le droit pénal s’intéresse aux faits et le juge pénal est toujours saisi in rem par rapport à la chose non à la personne. La chose, dans le cas d’espèce, c’est le conteneur, la marchandise prohibée. Cette marchandise est entre les mains de qui ? Par quelles mains elle est passée jusqu’à être débarquée au port de Cotonou ? Qui en avait la garde ? Voilà les questions techniques qu’on doit se poser au départ. C’est bien après qu’on peut interpeller et interroger le destinataire. Mais on ne peut pas dire que le destinataire va pervertir les preuves. Comment ? Il va courir pour faire toute la chaîne de transport? Lui, il n’a pas demandé de transbordement. Quand vous commandez une marchandise, vous ne demandez pas au chargeur, le vendeur de faire le transbordement nécessairement.

Me Robert Dossou, vous nous dites bien qu’on aurait dû faire une enquête sur les scellés qui ont été brisés selon le destinataire, avant son interpellation ?

C’est le point de départ parce qu’un conteneur ne part jamais clandestinement du point d’embarquement. On met des scellés qui portent la marque de la compagnie qui doit transporter et on ferme.

De la déclaration du procureur, on relève que 24 heures avant l’arrivée au port des conteneurs, le destinataire a déposé une déclaration sommaire pour les récupérer par une procédure spéciale et rapide. Est-ce que c’est un élément accablant contre le destinataire ?

Je ne crois pas, sous réserves, parce que je ne connais pas le dossier. Mais il y a toute sortes de procédures au port. Surtout qu’il s’agit de produits frigorifiés, vous pouvez demander une procédure d’urgence et vous payez les frais. Il arrive même que la procédure de livraison soit entamée par le destinataire avant l’arrivée du navire… J’ai plus d’un demi-siècle de pratique du droit maritime et du droit tout court, j’en ai vu de toutes les couleurs, mais pas le cas d’espèce, c’est une première. Dans le fait de demander une procédure spéciale pour accélérer, il faut se demander si cela est dans les pratiques du port de Cotonou. la qualité d’un port est d’accélérer la sortie des marchandises. Ce fait ne peut créer une suspicion ni être un élément constitutif d’infraction.

Autre chose signalée par le procureur, c’est qu’il y a eu une collaboration internationale qui a permis de déceler ce trafic de drogue. Est-ce que cet élément ajouté à la demande de procédure spéciale, ne plonge pas le destinataire ? 

C’est le troisième point que je voudrais aborder, mais je l’aborde tout de suite. Je vais vous dire qu’au Bénin, nos manières de procéder nous font douter de nos compétences. Alors, il y a un cas que j’ai connu il y a une trentaine d’années, d’un Béninois vivant à Lyon. C’était l’époque où le Bénin a commencé à être impliqué dans les histoires de drogues. Le type est arrivé ici à Cotonou et a chargé avec d’autres marchandises, de la drogue dans deux à trois cantines puis il a fait le fret aérien à son adresse à Lyon… A Lyon, les chiens des policiers reniflaient toutes les marchandises. Leur reniflement a révélé la présence de drogue dans les cantines. Les policiers ont relevé le nom du destinataire. Ils ont posté des observateurs et ils ont attendu… Ce Béninois a requis un de ses copains ayant une bonne voiture pour l’amener prendre possession de ses trois cantines arrivées du Bénin. A leur arrivée, on lui a livré les trois cantines, il a déchargé et les a mises à bord du véhicule. Ils allaient démarrer lorsque la police les a arrêtés. Après les interrogatoires, on a libéré le copain qui a prêté sa voiture et retenu le Béninois qui a importé de la drogue… Les policiers ne se sont pas précipités. Ils ont attendu. Pourquoi ici, on n’attend pas ?… Il y a un manque de professionnalisme.

Vous avez parlé d’instrumentalisation des institutions. Dans le cas d’espèce, quelle institution est instrumentalisée par qui ?

Il y a instrumentalisation. Par qui ? Je ne sais pas. Je distingue l’instrumentalisation de la règle et l’instrumentalisation de l’organe. On recourt à une règle de droit pour frapper quelqu’un même si la personne n’est pas coupable. J’ai pensé à cela parce que j’étais au Canada à l’université d’Ottawa. Avec le professeur Jean de Gaudusson, ancien président de l’université Bordeaux IV et le professeur Joël Aïvo, Doyen de la faculté de droit d’Abomey-Calavi, j’ai traité de l’instrumentalisation des institutions. Quand l’affaire Ajavon a éclaté, j’ai dit, c’est une illustration de ce dont nous venons de parler à l’Université d’Ottawa. L’instrumentalisation peut venir d’un simple citoyen qui en veut à Ajavon pour une raison ou une autre. Elle peut venir d’une autorité, de toutes sources et de tous horizons. Maintenant pour le savoir, il faut faire l’enquête selon les règles techniques.

Ce que vous venez d’expliquer à propos de l’instrumentalisation des institutions est d’ordre général. Dans le cas d’espèce, qui du procureur et du commandant de la compagnie de gendarmerie du port a été instrumentalisé?

Je ne peux pas répondre à ça. Mais je dis simplement que tous les acteurs impliqués dans cette affaire doivent être professionnels et techniques en se conformant au droit maritime pour chercher : qui a la possession matérielle de ce conteneur-là ? Entre quelles et quelles mains ce conteneur est passé jusqu’à ce qu’on y découvre de la drogue ?

Pensez-vous qu’on a pu piéger le conteneur d’Ajavon?

J’ai connu le cas d’un ancien ministre, Yacoubou Fassassi qui a fait le même gouvernement que moi et a été nommé ambassadeur à New York. Il est arrivé à Cotonou et quelqu’un lui a confié un colis à remettre à un proche à New York. Dans le colis bien emballé, il y avait de la drogue. Arrêté avec, il a dit que c’est telle personne qui lui a remis le colis qu’il n’a pas ouvert. Ça été établi ainsi et il a été acquitté. Alors, la preuve est faite que l’’on peut piéger vos bagages. Ça arrive tout le temps. C’est arrivé à une autre personnalité béninoise dont je ne donne pas le nom. Il y a un autre cas sous la révolution ou il y a eu pas mal de délations et de pièges… A l’époque sous la révolution, même quand nous garions nos voitures sous le soleil, on préférait fermer les vitres. Parce que quand on les laisse, les gens vous glissent des tracts dedans et vont prévenir la police. Vous démarrez cinq minutes après, on vous arrête. Les choses comme ça, nous le savons. Alors, le sachant et les hommes de justice, la police, la gendarmerie le savent, on doit en tenir compte.

C’est pour ça que vous parlez d’errements ?

C’est là, la récurrence de nos errements. Nous tournons en rond, on répète les mêmes errements. Parce que des gens se sont moqués de moi à l’étranger et j’ai eu honte pour mon pays. On dit : Dossou, votre police là, comment peut elle arrêter le destinataire ? C’est d’autres personnes qu’il faut rechercher et arrêter. Je suis resté bouche cousue. Parce que la question qu’on me posait était pertinente. Tout comme en 1975, on a eu des problèmes ici. On me dit mais c’est quoi votre histoire-là. Parce qu’on a dit qu’on a tué un officier disant qu’on l’a surpris en train de coucher avec la femme du président. Des années après, on dit le médecin personnel veut empoisonner, il va chercher le poison en Israël, il va chercher l’ancien ministre du président…vraiment !!! On a encore dit qu’il y a un expert-comptable qui veut faire putsch avec un commandant qui n’a aucun commandement. J’ai honte !! Il faut que ça cesse !! Que notre pays ne se présente pas comme un désert de compétences. Et que le professionnalisme, la déontologie pénètre et s’établisse à l’intérieur de chaque métier, de chaque corps. La magistrature a sa déontologie. Les avocats ont leur déontologie. La police et la gendarmerie ont la leur. Il faut qu’on ait la technique, qu’on soit professionnel. Seule la déontologie et le professionnalisme sauvent et font avancer.

Au-delà de tout, celui dont on parle est quand même le patron des patrons béninois…

Ça n’a rien à avoir. Il est un citoyen d’abord avant d’être patron. Il est opérateur économique avant d’être patron. Il a commandé des marchandises, c’est ça qu’il faut voir. Si on veut s’en prendre au patron des patrons, ceci n’a rien à voir avec ça.

Mais étant patron des patrons, est-ce qu’il n’aurait pas eu droit à un traitement autre que celui qu’on lui inflige aujourd’hui ?

Même le citoyen lambda a droit au respect de ses Droits en tant qu’Homme. Tous nos textes en vigueur le clament.

Est-ce qu’il y a respect des Droits de l’Homme dans ce dossier-là ?

Je m’étonne, mais je ne pourrais pas être affirmatif. Il faut que tout se termine et en ce moment, je pourrai être affirmatif. Je m’étonne de ce que cette enquête ne soit pas menée de façon technique et professionnelle. Je l’ai signalé. Nous sommes en matière de transport maritime. Nous ne sommes pas en matière de bagages accompagnés. Si l’intéressé voyage avec son bagage que lui-même a fait, qu’il met dans la soute d’un avion et qu’il voyage avec, ça c’est bagages accompagnés. Dans ce cas, si on trouve un truc anormal, c’est lui qu’on interpelle d’abord. Quitte à lui de renvoyer vers d’autres.

Est-ce qu’on peut conclure que son arrestation a quelque chose de….

Non ça me parait bizarre. Parce que la garde à vue pour détruire prétendument les preuves, cette garde-à-vue ne me paraît pas pertinente. Ce n’est pas approprié.

Vous emploierez le mot arbitraire ?

Non, je n’emploie pas encore le mot arbitraire. Je ne suis pas syndicaliste. Et j’entends être mesuré dans l’emploi des termes à l’étape actuelle. Et je dis que, des choses de ce genre, des instrumentalisations de ce genre, ce n’est pas le Bénin seul. C’est tout notre continent africain qui recourt à ce genre de choses.

Quelle est votre appréciation de l’attitude, du silence du gouvernement dans ce dossier ?

Cette question m’a été posée aussi. Et j’ai répondu que ce n’était pas l’affaire du gouvernement. Parce qu’on dit qu’il y a séparation des pouvoirs ou il n’y a pas séparation des pouvoirs. Maintenant, le Gardes des Sceaux peut donner des instructions au procureur. Le procureur peut respecter comme ne pas respecter. Je ne peux pas me battre pour l’indépendance de la justice et invoquer en même temps que le gouvernement vienne intervenir dans cette affaire.

Est-ce que la subordination du procureur au Garde des sceaux n’est pas déjà une forme d’implication du gouvernement dans le judiciaire?

Non. Pas forcément. Parce qu’il y a une règle. Le procureur peut ne pas exécuter l’ordre du Garde des sceaux. Le principe est qu’il peut l’exécuter comme ne pas l’exécuter.

Que dites-vous de la déclaration de Me Atita faisant état de ce que, ce sont les services de renseignements qui ont informé la compagnie de brigade maritime. Le patron des services de renseignements, est quelqu’un qui est lié à la personne du chef de l’Etat, donc le Président Talon est informé ?

A l’étape actuelle du dossier, je ne peux pas dire que le chef de l’Etat est impliqué. Parce qu’il est trop intelligent pour monter lui-même ou par personne interposée, un coup aussi grossier. C’est ce que je pense. Lui (Patrice Talon) victime des errements de ce genre, je ne peux pas croire qu’il peut monter un coup comme ça jusqu’à nouvel ordre. Maintenant, lorsque l’enquête va révéler qu’il est derrière tout ça, je me prononcerai aussi nettement que je le fais aujourd’hui. Je le connais (Patrice Talon), et c’est quelqu’un de très intelligent pour monter un coup pareil.

A qui profite ce qui se passe actuellement ?

Ce qui se passe actuellement, peut provenir de quelqu’un qui a lancé ce machin pour cogner la tête de Ajavon contre celle de Talon. J’ai plusieurs pistes dans cette affaire. C’est pourquoi je ne prends pas encore position. Personne connaissant le processus du transport maritime, ne peut croire en cela. C’est comme l’affaire empoisonnement. Personne n’y a cru.

Olivier Ribouis & Vincent Foly

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