Déclaration de patrimoine: Houngbédji et 75 députés sommés par Holo et ses pairs

La loi sur la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin fait obligation aux élus du peuple de déclarer leur patrimoine dans un délai de quinze jours après leur entrée en fonction.

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Mais cette disposition de la loi n’est pas respectée par certains députés notamment soixante-seize (76) parmi lesquels le président de l’Assemblée nationale, Me Adrien Houngbédji qui a accompli la formalité de manière partielle. Saisie d’une requête par laquelle le juriste Serge Roberto Prince Agbodjan forme un recours pour « méconnaissance des dispositions des articles 3 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin et 35 de la Constitution … », la cour constitutionnelle a tapé du point sur la table. Par la décision Dcc 16-167 du 02 novembre 2016, le président de la cour constitutionnelle, Théodore Holo, et ses pairs de la haute juridiction ont jugé que la deuxième personnalité de l’Etat ainsi que soixante-quinze autres députés ont méconnu l’article 34 précité de la Constitution les ont enjoint à accomplir cette formalité légale. Et ce, « immédiatement ».

Lire ci-dessous l’intégralité de la décision de la cour constitutionnelle

Décision Dcc 16-167 du 02 novembre 2016

La Cour constitutionnelle,

Saisie d’une requête du 03 mai 2016 enregistrée à son secrétariat à la même date sous le numéro 0843/050/Rec, par laquelle Monsieur Serge Roberto Prince Agbodjan forme un recours pour « méconnaissance des dispositions des articles 3 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin et 35 de la Constitution … » ;

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Vu la Constitution du 11 décembre 1990 ;

Vu la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;

Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;

Ensemble les pièces du dossier ;

Ouï Madame Marcelline-C. Gbèha Afouda en son rapport ;

Après en avoir délibéré,

Contenu du recours

Considérant que le requérant expose : « … En se fondant sur le rapport de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption (Anlc) sur la déclaration de patrimoine des membres du Gouvernement, des institutions, des cadres des ministères et organismes de l’Etat de 2011 à 2016, point actualisé au 31 janvier 2016il est indiqué que six (06) des quatre-vingt-trois (83) députés à l’Assemblée nationale, 7ème législature, ont satisfait à l’obligation légale de déclaration de patrimoine… Il s’agit des honorables Abimbola Babalola Jean-Michel Hervé, Kassa Barthélémy, Aké Natondé, Gibigayé Mohamed, N’Da Kouagou Eric et Djogbenou Joseph. De cet extrait du rapport, il est donc clair que même le président de l’Assemblée nationale de la septième législature n’a pas cru devoir se conformer à cette exigence législative dans les quinze (15) jours suivant l’entrée en fonction, comme le demande l’article 7 du décret n° 2012-338 du 02 octobre 2012 portant modalité d’application des articles 3 et 10 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011…

Selon l’article 35 de la Constitution … “Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun ”.

L’accomplissement de la mission républicaine des députés de l’Assemblée nationale passe par le respect des lois dont ils sont auteurs. Pour ne pas avoir observé cette disposition législative, les soixante-dix-sept (77) députés de l’Assemblée nationale, 7ème législature, qui se sont refusés de la respecter … dans le délai des quinze (15) jours suivant leur entrée en fonction viennent de violer leur propre loi. Ce comportement est pour nous un mépris grave à nos lois et mérite la censure de votre haute juridiction. » ; qu’il demande « Au vu de tout ce qui précède … de déclarer contraire aux articles 3 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin et 35 de la Constitution…le comportement des soixante-dix-sept (77) députés de l’Assemblée nationale, 7ème législature, ainsi que de leur Président qui, jusque-là, n’ont pas pu satisfaire à l’obligation légale de déclaration de patrimoine. » ;

Instruction du recours

Considérant qu’en réponse aux mesures d’instruction diligentées par la Cour leur demandant de faire tenir à la haute juridiction leurs observations sur les allégations du requérant, le président de l’Assemblée nationale, Monsieur Adrien Houngbédji, écrit :

« La déclaration des biens… est une obligation qui incombe personnellement au citoyen astreint à cette exigence.

En conséquence, le président de l’Assemblée nationale ne peut qu’exhorter ses collègues à se conformer à la loi, ce que je n’ai pas manqué de faire en réunion du bureau, à la conférence des présidents et, plus récemment, à l’adresse de tous les députés au cours de la séance plénière du lundi 23 mai 2016… » ; que pour sa part, le secrétaire général de la Cour suprême, Monsieur Victor D. Adossou, a communiqué « en deux tableaux, le point des déclarations de patrimoine des députés de l’Assemblée nationale du Bénin, 6ème et 7ème législatures quittes de l’obligation légale de déclaration de patrimoine comme prévu aux articles 3 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin et 35 de la Constitution » ; qu’il indique : « Il ressort desdits tableaux qu’aucun des députés de la sixième législature présidée par le Professeur Mathurin Coffi Nago n’a satisfait à cette obligation.

En ce qui concerne la septième législature, six (06) députés ont effectivement fait la déclaration de leur patrimoine dans les formes prescrites par la loi. Il s’agit des nommés :

1- Abimbola Babalola Jean-Michel Hervé ;

2- Gibigayé Mohamed ;

3- Kassa D. Barthélemy ;

4- Aké Natondé ;

5- N’Da Kouagou Eric ;

6- Djogbénou Joseph.

Il faut relever que si le député Marcel de Souza et Maître Adrien Houngbédji, actuel président de l’Assemblée nationale, ont bien procédé à leur déclaration, ils ne l’ont pas assortie du dépôt des pièces relatives aux biens déclarés tel que prévu par la loi. De ce fait, les récépissés de dépôt ne leur ont pas été délivrés en bonne et due forme.

Quant à Monsieur Robert Gbian, deuxième vice-président de l’Assemblée nationale, il n’a accompli la formalité de déclaration de ses biens que le 28 juin 2016.

En conclusion, à cette date, on peut retenir que :

1- aucun député de la sixième législature n’a satisfait à la déclaration de patrimoine ;

2- sur les quatre-vingt-trois députés de la septième législature, sept (07) ont régulièrement déclaré leurs biens dans les formes prescrites ; deux (02) n’ont satisfait qu’en partie à cette obligation et doivent procéder au dépôt des pièces justificatives relatives à leurs biens. » ;

Analyse du recours

Considérant que Monsieur Serge Roberto Prince Agbodjan sollicite l’intervention de la haute juridiction pour apprécier la mise en œuvre de l’article 3 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 par les députés des sixième et septième législatures ; que l’appréciation d’une telle demande relève d’un contrôle de légalité ; que la Cour, juge de la constitutionnalité et non de la légalité, ne saurait en connaître ; qu’en conséquence, il échet pour elle de se déclarer incompétente de ce chef ;

Considérant que toutefois, aux termes de l’article 114 de la Constitution : « La Cour constitutionnelle est … l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics » ; que par ailleurs, selon l’article 34 de la Constitution : « Tout citoyen béninois, civil ou militaire, a le devoir sacré de respecter en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre constitutionnel établi ainsi que les lois et règlements de la République » ; Considérant que les députés, citoyens béninois, attributaires du pouvoir législatif, ne peuvent se soustraire aux lois qu’ils ont eux-mêmes régulièrement votées, lois devenues exécutoires soit par promulgation par le Président de la République, soit sur décision de la Cour constitutionnelle après saisine par le Président de l’Assemblée nationale conformément à l’article 57 alinéa 6 de la Constitution ; que la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 a été votée par l’Assemblée nationale le 30 août 2011, promulguée par le Président de la République le 12 octobre 2011 et publiée au Journal officiel sous le numéro spécial 05 bis du 06 mars 2012 ; que cette loi fait partie de l’ordonnancement juridique du Bénin ; qu’en ne procédant pas à la déclaration de leur patrimoine tel que prescrit par la loi sus-visée et son décret d’application, les députés des 6ème et 7ème législatures ont méconnu l’article 34 précité de la Constitution ; que, dès lors, il échet pour la Cour de dire et juger que les députés de la 7ème législature, à l’exception de ceux qui l’ont déjà fait, sont tenus de procéder immédiatement à ladite déclaration ; et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens ;

Décide :

Article 1er : La Cour est incompétente pour statuer sur la violation de l’article 3 de la loi n°2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin.

Article 2 : Les députés de la 7ème législature qui n’ont pas encore fait la déclaration de leur patrimoine sont tenus d’y procéder immédiatement.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Monsieur Serge Roberto Prince Agbodjan, à Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, à Monsieur le Président de la Cour suprême et publiée au Journal officiel.

Ont siégé à Cotonou,

le deux novembre deux mille seize,

Messieurs Théodore Holo                Président

Zimé Yérima Kora-Yarou                  Vice-président

Simplice Comlan Dato                     Membre

Bernard Dossou Dégboé                 Membre

Mesdames           Marcelline- C. Gbèha Afouda     Membre

                               Lamatou Nassirou                      Membre

Le Rapporteur,                    Le Président,

Marcelline C. Gbèha Afouda           Prof. Théodore Holo

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