Gouvernance Talon : Des réserves sur la philosophie du PAG

Le 6 avril 2016, à travers une alternance saluée par la communauté internationale, le peuple du Bénin a investi Patrice Talon quatrième Président de la République de l’ère du renouveau démocratique.

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Après 10 ans de gouvernance calamiteuse, le souhait ardent des Béninois est de voir dans les actes du nouveau Président de la République le serment renouvelé d’une lutte farouche contre la pauvreté, l’impunité et la mauvaise gouvernance. Le vendredi 16 décembre 2016 le Programme d’action du gouvernement tant attendu a été enfin révélé au grand public. Mais ce PAG peut-il répondre aux aspirations profondes et préoccupations quotidiennes des Béninois ?

L’effort de se doter d’un document référentiel de travail est à inscrire au crédit du gouvernement. Une agence publicitaire de renommée mondiale et de notoriété internationale a été recrutée pour s’occuper de la mise en scène. Le spectacle fut beau, voir éblouissant. Même si cela a un coût que le contribuable doit supporter. De façon pratique, comme Kérékou en 1997 et 2001, Boni Yayi en 2006 et 2011, le régime du nouveau départ vient de donner auxBéninois, comme un cadeau de noël, un outil de suivi, dans l’espace et dans le temps, de l’action gouvernementale durant les cinq années à venir.

Par rapport à la pertinence du contenu du document, il n’y a aucun doute que les exposés si brillant des ministres n’ont pas réussi à dissiper toutes les réserves quantau contenu du PAG dans sa globalité. D’ailleurs, Il suffit simplement de remettre en évidence la présentation du résumé exécutif par le ministre d’Etat en charge du plan pour s’en convaincre. En effet, dans son exposé ‘’si brillant’’, qui fait entre autre est la synthèse du PAG, le ministre d’Etat BioTchane, très convaincu, affirme ce qui suit : « le développement économique et social d’un pays c’est deux choses fondamentales : les reformes et à côté de ces réformes, des investissements massifs ». Ces propos nous interpellent parce qu’ils révèlent la philosophie et la vision globale du PAG, « Le Bénin Révélé ».

Une philosophie très discutable

Depuis l’avènement du renouveau démocratique, de 1991 à 1996, le président SOGLO avait fait des réformes qui, dans leur ensemble, n’étaient pas des réformes dont le pays avait besoins.  Mais, plutôt, des reformes imposées par les institutions de Breton Wood dans le cadre du PAS (Programme d’Ajustement  Structurel). Il n’est plus trop utile d’épiloguer sur la conséquence désastreuse des PAS dans les Etats africains qui les ontappliqués. Ensuite, de 1996 à 2006 le général Mathieu Kérékou avait conduit des réformes pour des résultats que la conscience collective retient à jamais. D’ailleurs deux de ces réformes font encore l’objet de débat et de procès jusqu’à ce jour. On s’en souvient que c’est l’actuel ministre d’Etat A. BioTchane alors ministre des finances du General qui avait piloté la privatisation de la SONACOP pour le résultat que nous connaissons tous qui n’est rien d’autre que l’état actuel de la société. Sous le même régime du Général Mathieu Kérékouet ensuite sous le mandat Boni Yayi, toujours au nom des reformes, des usines d’égrenages de la Sonapraont été bradées dans le cadre d’une réforme de la filière coton. Pour quel résultat ?Les ministres ayant conduits ses réformes sont, pour certains, encore présents dans le gouvernement du nouveau départ. Enfin, toujours dans le chapitre des réformes, on ne saurait ne pas évoquer les dix ans de Boni Yayi qui, en la matière, avait battu tous les records. Le « To fà » l’avait même comparé au Roi Guezo dont il serait l’incarnation. Pour quels résultats ? Dans sa préface du document « En marche vers l’émergence ! » (Document de vulgarisation du Plan Bénin Emergent), le ministre Pascal Irénée Koupaki concluait en ces termes « le Bénin vient de loin. Le gouvernement veut aller loin et le Bénin peut aller loin et plus vite…. ». Malgré toute l’énergie que les Béninois reconnaissent à Boni Yayiet le sérieux collé à  sonancien homme-orchestre ministre Koupaki, le régime défunt a laissé le pays dans une situation catastrophique sans précédent selon le régime du nouveau départ.

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Depuis 1991, le Bénin est en perpétuellement réforme avec les mêmes acteurs qui s’inter-changent de façon cyclique. Comme constat, il parait clair que les réformes en soi ne constituent pas des médicaments génériques qu’un Etat doit consommer pour se guérir de la pathologie du sous-développement. Autrement, le Bénin qui en a consommé à dose homéopathique depuis 1991 serait déjà guérit. Dans une vision globale, notre pays a pour défis : l’amélioration effective de la qualité de la gouvernance, la spécialisation de la vie publique, le perfectionnement des institutions publiques et la transparence dans les processus. Toute réforme qui ne porte pas ou qui n’intègre pas ses éléments ne serait qu’une escroquerie intellectuelle.

Les risques de surendettement

En ce qui concerne « les investissements massifs », l’idée en soi est séduisante et très bonne. Mais, analysée en profondeur, elle prend beaucoup plus la forme d’un effet de manche et le sens d’une promesse électoraliste. En matière d’investissements massifs, s’il ne fallait que ça, le régime de Boni Yayi n’aurait pas tant déçu les Béninois. Mais, la pertinence de l’affectation ou de l’orientation des investissements est un préalable qui semble dépasser le simple cadre des annonces. De même, la méthode de mobilisation des investissements mérite une attention particulière. Car, « l’investissement massif » qui constituerait un surendettement des générations futures sans pour autant garantir à ces dernières l’héritage d’un Etat fort et d’une nation rayonnante est à combattre. Avec beaucoup de recul, l’endettement n’est pas le moyen le plus efficace de développement socio-économique. Le régime du nouveau départ, dès son installation, n’avait-il pas vilipendé le régime défunt pour l’ardoise colossale de dette du pays ? Or en l’état, le plan « d’investissements massifs » du Pag ressemble davantage à un plan d’équipements du pays qu’à une vision de transformation et de projection du Bénin dans le futur.

Au regard de tout ceci, un souci ardent de remettre les pendules à l’heure par rapport aux propos du Ministre d’Etat s’impose. En effet, dans le contexte sociopolitique béninois, il y a lieu de convenir que, sans pour autant dénier au propos du ministre une portée possible, le développement économique et social exige trois choses fondamentales : le capital (humain et financier), le travail (la productivité nationale) et la confiance (entre les acteurs institutionnels d’une part, et, entre les gouvernants et les gouvernés, d’autre part.).

En ce qui concerne le « capital », après huit mois de gouvernance, la promotion des cadres par mérite c’est-à-dire par appel à candidature, l’une des promesses phares du Président de la République pendant la campagne, n’a jamais été exécutée. Et même si la plateforme http/compétences.presidence.bj est lancée, elle ne saurait incarner un véritable outil de promotion des cadres en fonction de leur compétence mais plutôt selon les diplômes. Elle servira simplement de fichier d’inscription des citoyens à la recherche d’un emploi ou d’une situation meilleure d’employabilité. Il nous semble que, le chef du gouvernement et les membres du gouvernement devraient être en mesure de détecter dans leurs environnements respectifs les cadres compétents et les plus méritants et faire leur promotion sans aucune discrimination. Quant au capital financier, il est souhaitable que les maigres ressources dont dispose notre pays soient utilisées de façon rationnelle et transparente. Est-ce le cas actuellement ?

Par rapport à l’élément « travail », il n’y a de doute aucun que les béninois sont de vaillants travailleurs. Trouver les moyens et les méthodes pour mobiliser et orienter l’effort de tous vers un objectif commun, le développement, reste le défi majeur pour le gouvernement. Le travail, pour être vecteur de développement, s’accompagne toujours d’une politique de redistribution équitable des richesses. Chaque béninois devrait pouvoir gagner sa vie selon sa contribution à l’effort national et non selon sa position sociopolitique. Autrement, en supprimant certains primes aux agents publics alors que dans une certaines mesures ces primes sont maintenues pour le personnel politique, on pourra affaiblir la productivité de ces agents.  

Crise de confiance

Enfin, la confiance est l’élément indispensable pour relever notre pays. Il s’agit de la confiance entre les acteurs institutionnels et de la confiance entre les gouvernants et les gouvernés. Dans le premier cas, le régime du nouveau départ ne rassure pas assez. Il est vrai que huit mois sur les soixante que compte le quinquennat paraissent insignifiants pour apprécier. Cependant, certains faits peuvent être saisis comme des signaux préoccupants et inquiétants. On peut citer le désamour entre le régime et les syndicalistes, la méfiance qui s’est installée entre le régime et une grande partie des hommes d’affaires du pays, méfiance amplifiée par l’affaire de la cocaïne retrouvée dans un container destiné au Président de Conseil National du Patronat du Bénin M. Sébastien Ajavon. Si nous partons du fait que, pour l’exécution du PAG, le gouvernement entend mobiliser 61% des ressources nécessaires au niveau du secteur privé, il parait logique que cette mobilisation exigera un environnement de confiance mutuelle entre le gouvernement et le secteur privé. Est-ce le cas aujourd’hui ? L’absence du Président Cnpb à la cérémonie de lancement du PAG laisse le débat ouvert. Toujours, en ce qui concerne la confiance entre les acteurs, l’accalmie observée au parlement depuis le 06 avril 2016 va tenir jusqu’à quand ? Quand plus de soixante-dix députés exigent, dans une déclaration commune, un consensus national sur la carte universitaire et que le gouvernement adopte et valide par décret la nouvelle carte universitaire sans tenir compte des réserves de ces parlementaires, la confiance entre les députés et l’exécutif peut être éprouvée. Enfin, par rapport à la confiance entre les gouvernés et les gouvernants, l’agressivité et l’arrogance de la méthode « TOBOULA » heurte de façon frontale la sensibilité des Béninois. De façon historique et constante, Cotonou a toujours été le bastion de la contestation contre le régime en place. Etant le centre névralgique du pays, la perception des Cotonois sur le régime se répand lentement et rapidement dans le pays. Trouver les méthodes qu’il faut est un grand challenge pour tout réformateur. Du moins, si les reformes ne sont pas perçues par les citoyens comme vitales pour l’amélioration de leurs conditions de vies, ils ne les soutiendraient pas. Et sans le soutien des populations, il serait difficile d’atteindre les objectifs qu’on pourrait assigner à une réforme.

A l’épreuve, et en considération de ses trois éléments fondamentaux que sont le capital, le travail et la confiance, la gouvernance sous le régime du nouveau départ doit davantage convaincre. En peu de mots, sans aucune prétention, il semble que les ambitions séduisantes du Président de la République sont encore à l’étape de la théorie. Du moins, dans sa pratique du pouvoir d’Etat, elles sont en attente de révélation. Nous le souhaitons pour le bonheur des Béninois si tel est l’engagement du Chef de l’État.

Djidénou Steve KPOTON
Citoyen engagé/ JLB, Promotion 2015.

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