La fosse commune. J’emprunte volontiers ce titre à Evariste Folly Amouzouvi. Dans une de ses derrières œuvres, non encore publiée d’ailleurs, ce caricaturiste aux talents immenses a réussi à émouvoir ma fibre émotionnelle.
L’artiste avait dessiné le timonier national au bord d’un abîme qu’il dénomme « fosse commune » et qui devrait recevoir non pas les débris des casses opérées à Cotonou et dans les grandes autres villes du pays mais les nombreux cadavres qui s’en suivront. Le caricaturiste a vu loin. Selon ses réflexions d’artiste, la campagne de déguerpissement en cours engendrerait, au-delà des démolitions et destructions en cours, un massacre silencieux des « gagne petit » et des débrouillards de Cotonou. L’image nous amène à la réalité de cette opération conduite manu militari ici à Cotonou par le bouillant préfet Modeste Toboula. Réalité déconcertante d’un projet applaudi publiquement mais qui hélas fait pleurer des milliers de familles dans la confidentialité de leurs pièces. La fosse commune est donc celle-là qui devrait recueillir les dépouilles de ces Béninois qui vivent de la rue à travers de petits métiers de service et comptent sur des revenus modestes pour survivre avec leurs petites familles. Et Dieu sait qu’ils sont nombreux à Cotonou.
Petits ouvriers officiant dans son atelier, bonnes dames tenant leurs petites gargotes ou un commerce de fortune, laborieuses vendeuses de bouillie, de beignets d’haricot, vendeurs intrépides d’essence frelatée…Tous geignent à voix basse. Privés d’activités et de leurs revenus modestes, ils finiront par accepter la fatalité à laquelle ce projet confie leurs sorts. A aucun moment, les concepteurs du projet n’ont pensé à eux. Ils sont envoyés impitoyablement à la mort lente et silencieuse de ceux qui, faute de soutiens moral et financier, de moyens de subsistance, d’oreilles attentives pour les écouter, de propositions alternatives se résignent et démissionnent devant la vie. Imaginez la pauvre veuve qui vivait et payait les frais de scolarisation de son fils étudiant à l’Université d’Abomey Calavi à partir des modestes revenus de son activité de vendeuse de beignet. Imaginez le jeune vulcanisateur dont la baraque est démantelée par les bulldozers de Toboula et qui se retrouve sans activité, sans sécurité sociale et sans parents à Cotonou pour l’aider à survivre en attendant la traversée du désert. Imaginez aussi la vendeuse de « divers » du quartier qui tient son commerce à partir d’un prêt consenti auprès d’une structure de micro finance de la place. A-t-on pensé un instant à ses nombreux « gagne petit » qui essaiment le pays et qu’ondéverse brutalement dans le gros lot des chômeurs endurcis ?
La brutalité connue dans l’exécution de ce projet et l’absence totale de mesures d’accompagnement pour des gens aux revenus faibles majoritairement victimes des démolitions, ouvre la voie à toutes les formes de spéculation, surtout celle qui distille partout que le gouvernement a un plan d’épuration humaine pour Cotonou et les autres grandes villes concernées. Il se susurre dans les arcanes du pouvoir qu’à terme, l’objectif est de nettoyer les grandes villes de leurs « déchets humains » et de leur donner le visage des grandes villes d’Occident. Dans les années à venir, on ne devrait plus retrouver dans ces mégapoles, ces conducteurs de zémidjans mâchant de longs cure-dents les matins et qui n’ont pour lit et chambre que leurs motos. Idem pour les femmes tenant des gargotes et les petits ouvriers qui rendent des services dans toutes les rues de la ville. A leurs places, on devrait retrouver des conducteurs de taxis villes très modernes, des restaurants de luxe, des garages et entreprises bien équipés et agréés pour divers services. Le rêve est grand mais le gouvernement doit nous préserver de cette fosse commune. Dans un pays de pauvres, un gouvernement, fût-il d’ultralibéraux, doit privilégier le bien être des populations. Celui-ci a hélas l’air d’une machine à broyer les pauvres.
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