Landu Jah/Expo sur l’immigration: «Pour ou contre, des vies sont en danger,… il faut prévenir»

Né en 1977 en République démocratique du Congo, Landu Jah est plasticien. A la quête d’un cadre d’expression libre de son art qu’il n’a pas eu sur sa terre natale, il s’est  installé depuis 2008 au Bénin où il vit et travaille désormais.

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Depuis mardi 14 février 2017 à l’Espace Joseph Kpobly du Bénin à Cotonou, l’artiste autodidacte, expose à travers une douzaine de toiles accompagnées d’une vidéo, sous l’intitulé ‘’Exodus’’, son alerte et son plaidoyer sur l’immigration. Dans cette interview, il nous retrace son parcours de migrant, et les motivations d’une telle exposition ouverte jusqu’au 1er avril prochain.      

Vous êtes au Bénin depuis 2008. Dans quel contexte y avez-vous migré ?

Je suis venu au Bénin un peu d’abord à cause de l’instabilité politique et économique de mon pays, et aussi du fait du manque d’infrastructures culturelles qui ne permet pas aux artistes de montrer leurs talents. Moi, je faisais déjà de l’art à l’âge de 7 ans. A cet âge, j’étais déjà bien dans la couleur, dans la peinture. Mais c’était contre l’avis de ma mère, qui voulait que je poursuive mes études pour devenir médecin. Mais après sa mort à l’âge de 13 ans, tout a changé. J’étais obligé de cesser mes études. La situation est redevenue difficile dans la famille et dans mon environnement en général. Je devais vraiment prendre mes responsabilités au sérieux dès mon jeune âge. Là, j’ai commencé par faire des caricatures, à monter mes propres bandes dessinées. Mais par manque de moyens pour les imprimer, j’ai cessé. J’ai décidé de m’occuper un peu de ma grande mère. C’est après sa mort, que je me suis dis non, pourquoi ne pas faire ce qui me semble bon à faire, ce qui est à côté de moi. Et c’est là je me suis fixé un objectif, ne travailler rien que sur l’art plastique.

Mais pourquoi ne l’avoir pas faire au Congo ?

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Dans mon pays, pour faire de l’art, il faut avoir une formation académique parce qu’on a une académie des beaux arts. Moi je suis un artiste autodidacte, je n’avais pas les moyens d’intégrer l’académie des beaux arts. C’était difficile de présenter mon travail dans ce milieu, c’était difficile d’intégrer la communauté artistique, j’étais un peu persécuté. C’est vraiment cela qui m’a poussé à venir au Bénin.

Pourquoi le Bénin et non un autre pays ?

Si je suis au Bénin, ce n’est pas par hasard. Je me rappelle bien qu’un jour à la maison, j’étais en train de lire quand je suis tombé sur un livre de Mathieu Kérékou. Je l’ai lu. Une année après, un artiste béninois était venu faire une performance. C’était le grand frère Dominique Zinkpè. Grâce à son travail qui m’a beaucoup inspiré, j’ai commencé un peu à analyser la situation artistique du Bénin. Après, je suis encore tombé sur un magazine ‘’revue noire’’, qui était uniquement dédié aux artistes plasticiens béninois. J’ai vu le travail de Hazoumè, de Tchif, de Charly d’Almeida et d’autres artistes. J’ai vu qu’au Bénin, les artistes sont libres sur le plan créatif. J’ai vu que cela allait dans le sens de mon travail. Je me suis dis, comme chez moi les gens ne me comprennent pas, pourquoi ne pas me faire comprendre là bas, là où il y a un peu quelque chose de parallèle à mon travail.

Depuis 2008, comment vous sentez-vous au Bénin ?

Je me sens beaucoup plus à-l-aise au Bénin. Et puis, le béninois comprend l’art.

Quelles sont les motivations de la présente exposition que vous présentez après 9 ans d’exil?

Ce qui m’a vraiment poussé à faire ce projet d’exposition sur l’immigration, c’est que je suis moi-même issu de l’immigration. C’est quelque chose que je ne suis pas allé chercher loin. Ça se trouvait juste à côté de moi, et je n’entendais que cela. Quand j’ouvre la radio, quand je capte la télé, quand je vais sur internet, j’étais un peu débordé par tout ça. Et il fallait m’exprimer, pas seulement un point de vue sur l’Afrique, mais sur un contexte un peu plus large, dans le monde. Regardez sur l’une des toiles, c’est écrit, « dites non aux constructions de mur ». Ce n’est pas en Afrique qu’on construit des murs. J’ai essayé de partager l’idée avec d’autres immigrés qui ont vécu cette expérience. Je n’ai pas voulu que tout vienne de moi. Dans la vidéo, ce sont des immigrés qui ont confié leurs expériences par rapport à tout ce qu’ils ont vécu. Et moi, j’ai essayé de les mettre en lumière.

A quelle fin ?

J’ai parlé de tout ça parce que des vies sont en danger. Il faut aussi prévenir les nouveaux candidats à l’immigration ; mettre en lumière toute la situation de l’immigration qui demande une responsabilité collective.

Quand on voit le travail, on n’aperçoit pas votre position sur la problématique ?

Ce n’est pas une question de pour ou contre. J’ai juste posé le problème pour faire appel à une conscience collective, pour trouver des solutions durables aux différents facteurs de l’immigration que j’expose ici.

Que conseillez-vous aux candidats à l’immigration notamment clandestine ?

Compte tenu des expériences que j’ai vécues et d’autres que j’ai entendues, il y a plusieurs facteurs. Il y en a d’ordre politique, social, religieux, ethnique, etc. Il y a des pays où c’est les problèmes de conflits politiques qui poussent les gens à l’immigration. Dans d’autres pays, certains sont obligés de partir parce qu’ils ont étudié, ont obtenu des diplômes comme il le faut, s’attendaient à trouver un travail et une vie meilleure mais au bout de 5 ans, 6 ans, ils n’ont rien. Donc on ne peut pas aller dans un seul sens. Chacun à son histoire dans tout ça.

Vous n’avez pas de réponse à leur désir de partir ?

Si quelqu’un vient me parler de sa situation, je ne vais pas  l’encourager à partir mais l’inviter à encore réfléchir. Moi, je ne peux pas prendre de décision à leur place. Peut-être que la solution n’est pas de partir, peut-être qu’elle est encore à côté.

Pour exprimer tout ceci dans votre art, vous utilisez le pagne comme matériel principal. Quel est le rapport ?

Je n’utilise, pas tout ce tissu pour des raisons esthétiques. C’est pour sensibiliser mes concitoyens sur les problèmes de la consommation locale. Le pagne envoie des messages. Il y a beaucoup à dire sur un pagne dans la tradition et la culture africaine.

N’est-ce pas aussi votre passion d’enfance pour les couleurs ?

Pas forcément. L’immigration c’est la couleur, c’est la diversité.

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